Ibrahim Yahaya Ibrahim : J’ai été invité par le docteur Hamidou Magassa, pour faire une présentation à l’université de Ségou. J’avoue que c’est une opportunité que j’ai beaucoup aimé car je soutiens la décentralisation du savoir au Sahel. Les universités dans les pays du Sahel se trouvent dans les capitales, cela réduit l’opportunité pour les étudiants qui sont dans les provinces. L’université de Ségou est un modèle dans la sous-région qui devrait être encouragé dans d’autres pays du Sahel pour permettre à d’autres étudiants d’avoir accès au savoir. Pour moi, venir ici et faire une conférence est un grand plaisir.
YEKO : Le thème de la conférence « Insurrection islamique et processus sociopolitiques au Sahel : analyse comparative entre le Niger, le Mali et la Mauritanie » quel est cette comparaison ?
Ibrahim Yahaya Ibrahim : Cette comparaison est d’ailleurs un bilan contraire à ce que je croyais. Ma découverte a été surtout la capacité des Etats à faire des compromis en même temps qu’à brandir la répression qui explique pourquoi dans certains cas nous avons l’insurrection et dans d’autres cas nous ne l’avons pas. C’est le grand dilemme auquel je m’étais attelé depuis 2 ans, expliquer pourquoi il y’a eu insurrection au Mali et en Mauritanie et pas au Niger, malgré que ces trois pays font face au même problème. Pourquoi encore il y a eu une escalade de violence au Mali et pas en Mauritanie. Enfin, pourquoi le Mali a connu la défaite de son armée au nord et les problèmes qui ont surgit au sud.
Au début, j’avais pensé que c’était des questions liées à la société. Mais qu’est-ce qui motivent les gens à s’insurger ? En faisant mes recherches, je me suis rendu compte que c’est surtout la capacité des Etats à gérer le problème, à utiliser la carotte et le bâton en même temps qui empêche à ce problème de surgir et même quand il surgit, c’est aussi la capacité de l’Etat à réprimer quand la répression est nécessaire et à se compromettre quand s’est nécessaire qui, explique les variétés la réussite ou la non réussite de ces insurrections-là.
YEKO : Vous, en tant que chercheur, quel regard portez-vous sur l’insurrection au Mali et quelle solution politique peut-elle se dégager ?
Ibrahim Yahaya Ibrahim : Ce que le Mali a connu est malheureux, mais c’est dû à un long processus. On a toujours pensé que la démocratie serait la solution à nos problèmes. Force est de constater qu’au Mali la démocratie est la cause réel des problèmes. Cette démocratie n’a pas créé les institutions qu’il faut pour faire face aux problèmes sociaux. Alors pour qu’il y ait insurrection, il faut deux concepts : la motivation et l’opportunité.
Pour moi, la cause de la déliquescence de l’Etat au Mali est l’incapacité institutionnelle à faire usage de la répression, quand il le fallait et aussi l’amnésie des institutions démocratiques du pays.
La solution pour moi est une solution qui serait de longue durée et est surtout de savoir comment créer des institutions qui répondent à nos aspirations. Malgré tous les efforts qui ont été consentis par les organisations traditionnelles et de la société civile, nous tardons à avoir les résultats positifs. Il va falloir que nous repensions nos systèmes politiques, les adapter à nos valeurs et à nos cultures pour répondre aux exigences de la population. Il va falloir également que nous ne badinons plus avec l’aspect répressif de l’Etat. Un Etat n’existe que par sa capacité à monopoliser la violence sur son territoire et pour le faire, il faut une armée très forte. L’Etat malien doit revoir son armée en créant une armée plus institutionnalisée, structurée, opérationnelle et disciplinée. C’est une solution qui va prendre beaucoup de temps, mais c’est la grande solution à mon avis.
YEKO : Comment avez-vous trouvé l’université de Ségou ?
Ibrahim Yahaya Ibrahim : j’ai eu beaucoup de plaisir d’être à l’université de Ségou. J’ai été étudiant au Niger qui n’est pas différent d’être étudiant au Mali. Je connais les problèmes auxquels les étudiants généralement font face. Je dis qu’il est toujours possible de réaliser son rêve avec des dépassements de soi. On connaît la fougue de mobilisations, de contestations estudiantines, elle est utile quand c’est nécessaire. Il serait important que les étudiants cherchent le savoir en tant que tel.
Pour l’administration, je leur souhaite beaucoup de courage, je vois bien qu’elle essaye de faire fonctionner l’université dans des conditions difficiles. Il faut un dépassement de soi, du courage, car la vision qu’elle donnera à cette université fera d’elle une université modèle pour d’autres universités qui seront créées dans la sous-région et dans d’autres provinces.
Propos recueillis par
Albert Kalambry
Daouda Coulibaly