La force militaire française Barkhane qui opérait au Mali et dans le Sahel dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, quitte définitivement le Sahel. L’annonce a été faite par le Président français Emmanuel Macron. Même si la France en tant que telle reste sous d’autres formes de coopération, ce départ crée un vide sécuritaire qu’il faudrait combler. Ibrahim Maïga donne sa recette pour venir à bout aux défis sécuritaires dans le Sahel après ce départ.
Mali Tribune : La force Barkhane quitte le Sahel, cela doit-il interpeler les gouvernements du Sahel ?
Ibrahim Maïga : La fin de Barkhane doit d’abord interpeler les gouvernants de la région. C’est la fin d’un processus, d’une architecture de stabilisation, d’une décennie dans le Sahel avec l’opération Serval qui est intervenue en 2013 et qui par la suite à prolonger son action en mutant et devenant l’opération Barkhane. Donc c’est une interpellation faite aux chefs d’État de la région, aux États de la région pour relancer la coopération multilatérale parce que Barkhane avait ses objectifs d’amener les pays du G5 Sahel à coopérer davantage et contribuer collectivement à la sécurité et à la stabilisation de la région.
La fin de Barkhane doit amener les États de la région à réfléchir sérieusement au mécanisme de sécurité collective par les États de la région eux-mêmes. Cela doit aussi interpeler les uns les autres sur l’issue d’une opération militaire qui si elle n’est pas subordonnée à un objectif où à des objectifs politiques précis peut s’achever de façon dramatique. La situation dans la région du Sahel et surtout la fin de Barkhane confirme cela.
Mali Tribune : Et le G-5 Sahel, après ce départ de Barkhane ?
I M. : C’est la fin de Barkhane dans son format tel qu’on l’a connu depuis 2014 mais la France continue d’être engagée non seulement dans Sahel mais également dans la région Ouest-africaine. On attend encore de voir des détails sur ce déploiement et cette présence française dans la région. C’est la fin d’une ère. Le G5 Sahel depuis le retrait du Mali, son action est compromise dans la région parce que le Mali assurait une forme continuité territoriale, une dynamique régionale également. Et le retrait du Mali a compromis tout cela.
Les États de région sont revenus à n’approche plus classique qui est l’approche bilatérale, deux États qui se mettent ensemble et qui décident de combattre un ennemi commun, à frontières communes. On voit de plus en plus d’opérations entre le Niger et le Burkina Faso. Le Tout nouveau Président du Burkina Faso s’est rendu à Bamako dans le cadre de sa première sortie du territoire Burkinabé. C’est un signal important cela veut dire que le Burkina compte relancer sa coopération avec le Mali. Il faut espérer que le Mali se joigne à ce duo donc au Niger et au Burkina Faso pour qu’ensemble ces États reprennent rapidement la coopération militaire mais plus largement la coopération sécuritaire.
C’est l’une des conditions pour ramener une relative stabilité dans la zone des 3 frontières qui est aujourd’hui l’épicentre de la crise sécuritaire dans le Sahel.
Mali Tribune : Des spéculations d’une présence de Wagner au Mali, continuent, si cette présence était vraie, pourraient-elle remplacer Barkhane au Mali, voire dans le Sahel ?
I M. : C’est difficile de penser qu’une milice d’un millier ou de plusieurs milliers d’hommes puisse arriver about d’une insécurité multiforme. Alors même que vous aviez toute une armada présente dans le Sahel avec des moyens importants voire des moyens colossaux. Cela est lié au fait que cette insécurité est multiforme. Elle n’a pas qu’un visage.
Ce n’est pas qu’une action armée de groupe non politique, c’est aussi la présence des groupes d’autodéfense, la présence des milices communautaires, souvent la présence des groupes armés avec revendications politiques. Il y a un ensemble de dimension qui fait que la réponse ne pas être uniquement sécuritaire. Wagner ou même le partenaire Russe peut éventuellement dans un premier temps et à court terme est un recours à ce vide que laisse derrière elle Barkhane. Que laisse le G5 Sahel même si elle a mené quelques opérations dans la zone des 3 frontières mais son action n’a pas été décisive. Il faut tout en regrettant la suspension du moins la mort presque clinique du G5 Sahel et sa force conjointe, il ne faut pas perdre de vue que ces instruments ont montré énormément de limites.
L’un des moyens de remédier à cette situation c’est de reconnaître que ces mécanismes ont eu leurs limites et d’essayer de corriger les insuffisances et les limites de ces mécanismes. L’une des limites essentielles au dispositif de sa stabilisation qui a été mis en place c’est l’absence justement d’objectif politique très clair et protéger par les différentes parties et donc par les parties prenantes à la crise. C’est un élément qu’il va falloir résoudre si on veut durablement stabiliser le Sahel. C’est à ce prix qu’on peut avoir une solution militaire qui produit du sens et qui produit des résultats sur le terrain. Ce n’est pas tant lié à la nature du partenaire ou à ses moyens mais plutôt à cet ensemble d’éléments.
Mali Tribune : Comment voyez-vous l’horizon sécuritaire au Mali et dans le Sahel dans les jours à venir ?
I M. : La situation est très difficile en particulier dans le Nord du pays où on a une recrudescence des attaques armées revendiquées ou attribuées à des groupes djihadistes en particulier à l’Etat islamique au Sahel. Cette situation sécuritaire dégradée a entrainé un afflux de population donc déplacement de population vers les centres urbains. C’est peut-être l’une des tendances inquiétantes que nous constatons.
Ce déploiement de la menace à l’intérieur des frontières nationales, mais des espaces ruraux, des zones rurales vers les espaces et les centres urbains avec son lot de défis supplémentaires tant sur le plan politique, social qu’humanitaire. Les États doivent redoubler de vigilance, doivent redoubler de force, de courage également. Ils doivent se concentrer davantage, de dépasser les égos nationaux. C’est à ce prix qu’on peut améliorer la situation sécuritaire dans la région. Par ce que la situation sécuritaire du Mali a un impact sur la situation sécuritaire au Niger et inversement. Donc on ne peut pas sécuriser de façon isolée le Mali en espérant que la situation sécuritaire dans la région s’améliorera de facto. Si on veut durablement sécuriser et stabiliser la région, il va falloir aussi stabiliser et sécuriser le Mali, c’est une des conditions sine qua none de l’amélioration de la situation sécuritaire dans la région.
Propos recueillis par
Koureichy Cissé et
Mohamed H. Maïga
(stagiaire)