La forte mobilisation des Maliens contre le projet de révision constitution ne fait, semble-t-il, ni chaud ni froid au président de la République du Mali, Ibrahim Boubacar Keïta. Une attitude « étonnante, mais surtout inquiétante », selon l’honorable Amadou Thiam, premier vice-président de la Plateforme « An Tè, A Bana. Touche pas à ma constitution !». Dans une interview exclusive accordée à L’Aube, l’honorable Thiam rappelle les raisons qui motivent leur combat contre ce projet. Et pour amener le président IBK à retirer son projet de révision constitutionnelle, la Plateforme envisage plusieurs actions, y compris la désobéissance civile. Lisez plutôt !
L’Aube : De la création du mouvement « An Tè, A Bana. Touche pas à ma constitution !» à maintenant, si on vous demandait d’évaluer le chemin parcouru…
Honorable Amadou Thiam : La Plateforme « An Tè, A Bana », créée le 11 juin 2017, est constituée de toutes les composantes majeures de la société. Il y a la Cstm, qui est une centrale syndicale de travailleurs, le Sylima (syndicat libre de la magistrature), des centaines d’associations de la société civile, des chroniqueurs, des artistes, des musiciens. Il y a également une quarantaine de partis politiques de l’opposition et certains non membres de l’opposition. Dans l’histoire politique du Mali, c’est vraiment la première fois qu’un tel rassemblement se fasse autour d’un sujet et que ça ait autant d’adhésions en si peu de temps.
En moins d’une semaine après sa création, la plateforme a organisé une marche citoyenne, le 17 juin dernier, qui a enregistré une participation record en matière de mobilisation des Maliennes et des Maliens pour dire non au projet référendaire. Cette marche a été suivie, le 1er premier juillet, d’une mobilisation d’envergure. Une seconde marche a été organisée le 15 juillet. Elle a rassemblé plus de monde que la première marche.
Ensuite, le 3 août dernier, nous avons fait un meeting citoyen qui a coïncidé avec l’arrivée de l’un de nos porte-paroles, Ras Bath. Tout Bamako en a parlé. Les médias internationaux étaient présent pour voir cette marée humaine, ce rassemblement grandiose pour de dire NON à cette tentative de prise en otage de notre démocratie, cette tentative de mise en mal de nos acquis républicains et démocratiques et de cette tentative de partition du pays.
Précision : le 15 juillet, il y a eu des manifestations dans les capitales régionales du Mali, notamment à Sikasso, Ségou, Kayes, Koulikoro, Mopti…
Dans ces régions, la Plateforme a des coordinations, tout comme à l’étranger (New York, Paris, Washington) et dans presque tous les pays limitrophes du Mali. C’est dire combien ce mouvement a pris de l’élan et combien les Maliens sont déterminés à combattre cette tentative de révision constitutionnelle.
Pourquoi vous vous opposez à ce projet de révision constitutionnelle ?
Tout d’abord parce que cette révision survient dans un contexte sécuritaire inquiétant. Aujourd’hui, des pans entiers du territoire malien échappent au contrôle de l’Etat. Le drapeau du Mali ne flotte pas à Kidal, il n’y a aucun sous-préfet dans les régions de Ténenkou et Youwarou. On nous parle d’insécurité résiduelle, de terrorisme… Les gens citent l’exemple de la France, de Nice, du Bataclan. Ce sont là des attaques contre des lieux, mais aucun endroit sur le territoire français n’a été occupé par des djihadistes de façon permanente. C’est ce que nous nous vivons au Mali. Il y a des zones comme Kidal, Youwarou, Ténenkou où les djihadistes sont encore présents. L’armée de l’Etat a été chassée. Il y a aucune sécurité dans ces zones. Aujourd’hui, l’Etat central est en train de travailler à négocier le cessez-le-feu entre les différents groupes armés qui s’affrontent encore à Ménaka, à Anéfis…
La constitution que le régime veut réviser dit en son article 118 (alinéa 3), qu’on ne peut pas organiser un scrutin référendaire quand une commune ou même un hameau échappe au contrôle de l’Etat. Le référendum est différent de l’élection présidentielle, parce que c’est dans le contexte du référendum qu’on parle de l’intégrité du territoire. Quand cette intégrité est atteinte, on ne peut engager une révision constitutionnelle. A la limite, il est dangereux de parler de referendum en ces temps qui courent et dans les conditions actuelles.
Aussi, faut-il le rappeler, la constitution de 1992 a été écrite avec le sang des Maliens et dans le consensus le plus total. 25 ans après, le président de la République Ibrahim Boubacar Keïta veut réviser cette constitution sans consulter, de façons formelle et exhaustive, les forces vives de la nation, l’opposition politique et la société civile. Le texte proposé, qui a été fait par un expert français et un ministre malien, est tombé sur la table de l’Assemblée nationale sans aucune consultation au préalable. Pour nous, il faut revoir le processus, faire en sorte que les Maliens puissent dire leur mot.
Dans le fond, nous constatons que le projet de révision construit un hyperprésident de la République avec des pouvoirs renforcés. Il y a également la question du Sénat dont le chef de l’Etat nomme le tiers. Alors qu’il convient que les membres du Sénat soient élus au suffrage universel direct comme il est le cas pour les députés. Si les sénateurs doivent contrôler l’action du gouvernement et voter des lois, alors qu’ils ont été choisis par le président, cela pose une problématique par rapport à la séparation des pouvoirs.
Egalement dans ce nouveau texte, il est donné la latitude au chef de l’Etat, avec son parlement, de pouvoir apporter des modifications à la constitution sans passer par le référendum. Cela est une grande fenêtre qui s’ouvre et qui peut amener le président et la classe politique à décider à la place des Maliens. Aujourd’hui, nous savons que nos institutions ne sont pas encore assez fortes pour s’opposer à certaines dérives qui peuvent émaner des pressions extérieures. Si nous ne prenons garde concernant cette ouverture dans la constitution, nous pouvons aller vers des extrêmes.
Avez-vous formellement saisi le président de la République qui est l’initiateur du projet de révision ?
Nous avons saisi le président de la République à deux reprises. La première lettre a été envoyée au lendemain du 11 juin, juste après la création de la plateforme. Dans cette lettre, nous avons nommé les griefs. Malheureusement, cette lettre est restée sans suite. Après, on a fait un rappel, en adressant une seconde lettre au chef de l’Etat. Celle-ci a même été publiée. Jusqu’à présent, le président de la République reste sourd aux revendications de la plateforme.
Comment interprétez-vous alors l’attitude d’IBK ?
Le comportement du président est étonnant et surtout inquiétant, vu tous les défis auxquels le Mali fait fasse. Aujourd’hui, la paix, l’unité nationale et la cohésion sociale sont plus que jamais menacées. Au lieu d’être un chef de l’Etat à l’écoute des Maliens, ce qui permet d’éviter beaucoup de choses, il reste sourd et n’accord vraiment pas d’importance à cette force qu’est la Plateforme qui regroupe des Maliens.
Depuis une semaine, le président a entrepris une série de consultations des forces vives. Est-ce que la Plateforme a été déjà approchée ?
Nous n’avons pas été conviés pour l’instant. Ceux qui ont été conviés à Koulouba ne sont pas réellement ceux qui s’opposent au référendum. Les opposants à ce projet sont dans la Plateforme « An Tè, A Bana. Touche pas à ma constitution !». Et aujourd’hui, nous assistons à l’émergence d’une nouvelle société civile. Il ne faut pas perdre cela de vue. Donc, il faudrait que le président s’attaque directement au problème. Cela lui permettra de gagner du temps.
Certains tenants du pouvoir vous accusent de vouloir déstabiliser le pays. Qu’en est-il ?
Depuis quatre ans, le président de la République est à la tête du pays, mais on ne s’est pas lever. Comprenez donc que ce n’est pas une question d’IBK, mais plutôt de projet de révision. Aujourd’hui, c’est autour de la question de référendum que sont regroupés les Maliens. En plus de ceux qui sont en train de lutter contre la révision de la constitution, il y a ceux qui dénoncent surtout le contenu. Ils pensent qu’il faut se lever et faire barrage à cette tentative qui mettrait en cause l’intégrité du territoire. Au-delà, je crois qu’il y a un malaise social créé par la mauvaise gouvernance du régime en place.
C’est d’ailleurs déplorable de penser que ceux qui sont contre la révision soient vus comme des ennemis du Mali. En le faisant, les tenants du pouvoir contribuent à installer la surenchère verbale et la haine qui amènent tous ce que nous connaissons en termes d’agressions.
La plateforme se mobilise pour le retrait de la constitution, mais nous avons avec nous le peuple. Les gens ont souvent diverses raisons de manifester. Ce qui est vrai, c’est qu’ils ne sont pas que contre la constitution, ils pensent aussi que la gouvernance actuelle n’est pas bonne. Il ne faut pas que les autorités se trompent d’’analyse. Il ne faudrait qu’elles pensent que ce sont les politiques qui instrumentalisent les gens. Ces populations se lèvent, puisqu’elles ne veulent plus accepter certaines dérives du pouvoir.
Le peuple exprime son opinion dans la rue. C’est pour ça que, lors de nos manifestations, certains demandent le départ du président. Cela n’engage pas forcement la plateforme, mais c’est indicateur du malaise actuel dans le pays.
Lors de votre Assemblée du lundi dernier, des intervenants ont demandé de passer à la vitesse supérieure pour que le président de la République retire le projet. Quel est votre avis ?
Le président de la République est supposé être le garant de la constitution. Mais en décidant d’aller au référendum, il viole lui-même la constitution de 1992. Aujourd’hui, il y a des membres de la plateforme qui n’exclus pas d’appliquer une disposition de cette même constitution qui est la désobéissance civile. La question est sur la table. Il y a aussi la question de l’ultimatum, au-delà duquel nous allons entreprendre d’autres actions constitutionnelles pour obtenir satisfaction. Beaucoup d’éventualités qui sont là sur la table du directoire de la plateforme « An Tè, A Bana. Touche pas à ma constitution !».
Propos recueillis par I B D