La 7e édition du festival culturel Dogon Ogobagna 2022 s’est tenue du 24 au 30 janvier sur la place du cinquantenaire, sous le thème : la place de la femme dans les traditions. Le vice-président du groupe socioculturel Ginna-Dogon, Hamidou Ongoïba, dans cette interview, fait le bilan de cette 7e édition. Il porte son regard sur la situation sécuritaire au centre et à Bandiagara.
Mali tribune : La 7e édition du festival culturel Dogon Ogobagna a fermé ses portes ce dimanche 30 janvier. Qu’est-ce qu’on peut retenir globalement de cette édition ?
Hamidou Ongoïba : Plusieurs activités ont marqué le festival de cette année : dont des animations villages, des prestations des troupes traditionnelles et des soirées culturelles Soninké, Tamasheq/arabe, Ginna Dogon, Ir Ganda, Bozo, peul, Bwa.
On voulait favoriser le brassage et cet échange culturel qui est absent à travers ces soirées.
La lutte traditionnelle dogon, une activité phare du festival, s’est tenue au palais de la culture Amadou Hampaté Ba.
Outre ces activités, le festival Ogobagna a aussi organisé des concerts géants avec des artistes en herbe et grands artistes dont Cheick Tidiane Seck, Ben Zabo, Petit Goro, Nabintou Diakité, Mylmo, Maïchata Sampana. Un village d’exposition de vente était également installé. Une manière pour nous de valoriser nos jeunes artistes talentueux.
L’innovation était la forte délégation de l’association invitée d’honneur, les Soninkés. Aussi toutes les communautés étaient invitées. Avec la situation sécuritaire de notre pays aujourd’hui, tout ce qui peut rassembler le monde, ce serait une bonne chose. C’est pourquoi Ogobagna n’a pas failli à sa tradition.
Autour « de la place de la femme dans les traditions », nous avons organisé des conférences débat sur cette thématique importante. Oui, la femme a une place importante dans notre société. C’est pourquoi, nous les ainés, sommes, des fois, désorientés quand les ONG nous dissent que la femme soit primaire, qu’elle n’a aucun droit dans notre société.
Mali Tribune : Justement quelle place occupe la femme dans la culture dogon ?
H O. : Elle est économiquement indépendante dans la culture dogon. Au village, par exemple, il y a un grand grenier mal pour la « ginna » c’est-à-dire la grande famille. A côté, vous trouverez que chaque femme possède un grenier où l’homme n’a pas droit d’y rentrer. Ensuite, elle garde aussi certains objets que l’homme n’a aucun regard là-dessus.
Aussi, la femme a toujours un lopin de terre, en dehors des champs de la grande famille, sur lequel elle cultive. Elle fait ce qu’elle veut de ses récoltes. Maintenant, quand l’homme est en difficulté, elle peut intervenir et l’aider.
Mali Tribune : Après sept éditions, est-ce que l’objectif du festival culturel Ogobagna a été atteint ?
H. O. : Dans le domaine culturel, on ne finit jamais d’atteindre l’objectif. Cependant, bien avant Ogobagna, le comité national qui est Ginna-Dogon organisait déjà des journées culturelles tous les trois ans. La première édition a été organisée en 2005 à Bankass. Nous avons tenu d’autres journées à Douentza, Bandiagara, Koro et Mopti. Les dernières journées culturelles que nous avons faites remontent en 2018. Entre-temps, la jeunesse a estimé que trois ans étaient trop longs, qu’il fallait créer un évènement entre ces journées culturelles.
Finalement, ils ont opté pour la formule festival et à Bamako. Pourquoi ? Parce que ça a coïncidé avec la détérioration de la situation sécuritaire au centre.
C’est pourquoi elle a jugé le pays dogon à Bamako. Ça a permis aux gens d’avoir une idée de l’organisation de la société dogon. A nos artisans et guides touristiques de ne pas rester inactifs aussi. Et ça a été un succès parce que le ministère de la Culture a inscrit le festival dans le programme national des activités culturelles de l’année.
Les journées culturelles, quant à elles, ont été un aussi un succès. On remarque aujourd’hui une renaissance de la culture dogon. En plus, on profitait aussi de ces journées culturelles, pour apporter un certain nombre d’actions de développement social. A Koro, par exemple, en 2015, on a fait plus de 3 000 opérations de la cataracte.
Si on évalue ces deux rencontres culturelles, nous pouvons dire que le bilan est positif. Mais, on peut mieux faire.
Mali Tribune : Sous ce « bilan positif », certains citoyens réclament la tenue du festival Ogobagna au pays dogon. Est-ce que le projet est à l’étude ?
H.O.: Ogobagna est une institution ici. Il n’empêche pas la tenue des journées culturelles. C’est deux choses différentes. Les journées culturelles se font au pays. C’est au cours de ces journées culturelles qu’on a essayé de faire revivre la culture dogon, lui donner une certaine renaissance. Le festival Ogobagna est destiné à ceux qui ne peuvent pas aller au pays dogon. On transporte le pays dogon à Bamako, en quelque sorte.
Mali tribune : La 7e édition d’Ogobagna s’est tenue dans un contexte marqué par la crise sanitaire et sécuritaire. Quelle est la situation sécuritaire actuellement au centre et précisément à Bandiagara ?
H O.: Nous avons souligné dans nos propos, à l’ouverture de l’évènement, que cette édition se tenait, d’abord, au lendemain des 61 ans de l’armée malienne et du deuil national décrété suite au décès du Président Ibrahim Boubacar Keïta. Le Président IBK était un très grand ami de la culture.
Nous avons souligné qu’il se déroulait dans un contexte d’insécurité. Mais, on a remarqué que depuis quelques semaines, surtout depuis le massacre de Songho, où la population a fait une désobéissance civile pour montrer leur ras-le-bol, il y a eu une amélioration.
On peut dire que les autorités ont mis le paquet. Pour preuve, des membres du comité d’organisation du festival sont venus de Bankass. La route du poisson qui était régulièrement coupée, il y a maintenant une certaine accalmie là-bas. Mais bien avant, les terroristes avaient appréhendé trois bus, il y a jusqu’à présent 70 personnes entre leurs mains.
Pour le moment, il y a du mieux, on ne peut pas dire que la situation s’est résolue. On pourra mesurer la réussite de ces opérations seulement dans les six mois à venir, c’est-à-dire au moment des récoltes. Parce que depuis pratiquement quatre ans, le pays dogon, qui est un grenier, n’arrive pas à planter.
Nous espérons que cette accalmie va continuer. C’est une nécessité.
Recueillis par
Kadiatou Mouyi Doumbia