Hameye Foune Mahalmadane, Président du SYLIMArn« La justice malienne va très mal »

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Pour le secrétaire général du Syndicat libre des magistrats, Hamèye Founé Mahalmadane, la justice malienne est une écurie qu’il convient de laver à grande eau si l’on veut préserver la cohésion sociale. Tout en insistant sur la nécessité, pour les magistrats, de respecter leurs éthique et déontologie, M. Mahalmadane déplore la gestion du Prodej, se prononce sur les rapports du Vérificateur général et évoque l’affaire du site de la nouvelle Cour d’appel de Bamako. Interview.
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rnLes Echos : Le Syndicat libre de la magistrature vient d’organiser un séminaire sur le thème déontologie et éthique de la magistrature. Qu’est-ce qui justifie le choix de ce thème ?

rnHamèye Founé Mahalmadane : Le Sylima a cru nécessaire de parler de déontologie et d’éthique de la magistrature à ce moment précis parce qu’il constate que jour après jour, les récriminations à l’endroit de la justice s’accroissent. A l’analyse, ces récriminations se présentent généralement sous la forme du manque à la déontologie et à l’éthique. Il faut rappeler que le Sylima s’est fixé comme objectif de réussir la saine distribution de la justice. Dans ces conditions, c’est donc naturellement qu’il s’est décidé à appeler les magistrats pour qu’ensemble nous nous disions ce qui ne va pas dans la famille judiciaire et qu’ensemble nous réfléchissions sur les solutions à cette situation d’incompréhension entre le peuple et la justice.
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rnLes Echos : Qu’est-ce qui ne va pas réellement au sein de la justice ?
rnH. F. M. : Pour vous parler le langage de la vérité, la justice va mal. Elle va mal à cause de toutes les incriminations dont je parlais tantôt. Elle va mal à cause des incompréhensions existant autour d’elle. Elle va mal à cause de ses conditions de vie et de travail. Avec l’organisation du forum national sur la justice en 1999, on avait pensé que des solutions seraient trouvées à tous les problèmes de la justice. Malheureusement, le Prodej, qui en est issu, n’a pas comblé toutes les attentes. Aujourd’hui, le Prodej semble être un projet à la disposition de quelques privilégiés ou dominent des règles qui jurent avec le bon fonctionnement de la justice, l’équité et l’intérêt public. Le peu de matériels que le Prodej semble mettre à la disposition des juridictions est reparti à la tête du client et souvent avec des considérations qui n’ont rien à voir avec le service public. Par ailleurs, la magistrature estime aujourd’hui qu’elle est la grande incomprise. Elle sait qu’elle n’est pas parfaite, qu’elle n’est pas irréprochable à 100 %, mais elle pense que beaucoup de critiques trouvent leur origine dans des situations qui lui sont totalement étrangères. Enfin, elle continue à croire bien contrairement aux discours officiels que les conditions pour rendre une justice crédible ne sont pas réunies.
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rn Les Echos : La justice est fortement mise en cause par les justiciables et même par certains magistrats. Qu’est-ce que le Sylima entend faire pour donner une bonne image des magistrats ?
rn H. F. M. : Comme je le disais tantôt, le Sylima s’est fixé comme objectif d’exiger des magistrats une justice de qualité. Cela veut dire que le Sylima est aujourd’hui conscient que la distribution de la justice pêche quelque part. Le Sylima a donc décidé de mettre les magistrats devant leur responsabilité. Ensuite, il est convaincu que cette responsabilisation et surtout la remise en cause qui en est attendue ne se feront qu’à la suite de formation de qualité. Il estime aussi qu’il est temps que tous les acteurs et partenaires de la justice, chacun en ce qui le concerne, assume ses responsabilités. Que le juge s’assume, que le citoyen qui s’estime lésé par des comportements peu orthodoxes des magistrats ait le courage de se plaindre, que l’Etat ne s’accommode plus de la mauvaise distribution de la justice et que le Conseil supérieur de la magistrature qui est l’organe disciplinaire occupe toute sa place.
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rnLes Echos : Le Mali dispose d’une institution de contrôle appelée Vérificateur général. En tant que magistrat, pensez-vous que le Vérificateur général peut lutter contre la corruption et la délinquance financière ?

rn H. F. M. : Vous savez, la lutte contre la corruption et la délinquance financière est une œuvre de longue haleine et impliquant plusieurs acteurs. Le bureau du Vérificateur général pourra certainement jouer sa partition. Je reste convaincu qu’une lutte contre la corruption et la délinquance financière qui se ferait sans la justice ne pourrait jamais aboutir. En fait, il appartient à la justice de lutter contre la corruption dans la société. Le bureau du Vérificateur général procède à une enquête administrative et établit un rapport destiné à des autorités administratives et politiques. Dans ce sens, oui il contribue à lutter contre la corruption et la délinquance financière en mettant le doigt sur les plaies constatées au cours de ses inspections et en faisant des suggestions aux autorités destinataires de ses rapports pour corriger le tir. Mais, le Vérificateur général n’est pas un officier de police judiciaire. Il contribue peu à la procédure judiciaire. Peut-être qu’il y a lieu de revoir son statut pour essayer de l’impliquer dans la procédure judiciaire. Alors, sa contribution à la lutte contre la corruption sera notable. Je voudrais avant de terminer sur ce point poser le problème de la médiatisation et de la diffusion sur Internet des rapports du Vérificateur général. Cette situation s’accommode mal avec la présomption d’innocence. Nous sommes dans un Etat de droit où la séparation des pouvoirs et des fonctions est déterminée. Il n’est pas normal qu’une autorité administrative fut-elle indépendante puisse déjà condamner des citoyens à la suite d’un contrôle administratif.
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rnLes Echos : Quel jugement portez-vous sur les rapports du Vérificateur général ?

rn H. F. M. : J’ai déjà effleuré la question en vous disant que pour moi, c’est des rapports administratifs. Ces rapports sont nécessaires aux autorités administratives et politiques et leur permettent de prendre des décisions, soit de poursuivre tel fait signalé en justice, soit simplement d’apporter des correctifs dans la gestion des affaires. Ils sont donc utiles. Mais, ils ne constituent pas des jugements rendus en dernier ressort au nom du peuple mali
en. Et c’est ce qui m’amène à dire que le grand tintamarre qui se fait autour d’eux au moment de leur publication est une atteinte grave à la présomption d’innocence.
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rn Les Echos : Jusqu’en 2006, date de création du Sylima, il n’y avait qu’un seul syndicat de magistrats appelé Sam. Qu’est-ce qui justifie la création d’un deuxième syndicat que vous présidez ?
rn H. F. M. : Nous sommes un certain nombre de magistrats qui ne se reconnaissaient plus au Sam. Le Sam avait accumulé un certain crédit au niveau de l’opinion publique nationale relativement à ses prises de position sur certaines questions concernant la justice et la nation. La direction qui s’était installée au niveau du Sam a de par son comportement dilapidé tout ce crédit de telle sorte que les magistrats ne s’y reconnaissaient plus. Mais pour nous aujourd’hui, ce débat est dépassé. Nous avons pu prouver à la face des magistrats l’utilité du pluralisme syndical. En effet, il a fallu la création du Sylima et le dépôt de son cahier de doléances pour que l’autre syndicat sorte de sa torpeur en essayant de présenter quelque chose. Nous pensons donc rien qu’en jouant ce rôle de sentinelle, le Sylima a été une bonne chose.
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rn Les Echos : L’actuel site de la Cour d’appel à Banankabougou avait fait l’objet de litige foncier. Est-ce que les juridictions avaient été saisies au préalable par des personnes qui se réclamaient propriétaires dudit terrain ?
rn H. F. M. : L’affaire de l’actuel site de la Cour d’appel de Bamako n’a été connue d’aucune juridiction au Mali. En fait, cette parcelle avait été distribuée à des citoyens. Quand la Cour d’appel y a été implantée, ces citoyens ont dû se plaindre au niveau du ministère des Domaines de l’Etat (Ndlr : le titulaire du poste à l’époque était Aboubacar Sidiki Touré) qui leur avait vendu la parcelle. A ce niveau, une procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique avait été engagée et les intéressés ont été dédommagés par la commission administrative mise en place sans que le problème arrive en justice. Le problème aurait pu arriver en justice si les parties ne s’étaient pas entendues sur l’indemnisation préalable. Mais en l’espèce, elles se sont entendues et nous avons été surpris d’entendre encore une fois que l’Etat était condamné à payer. Je voudrais simplement dire que l’Etat soit condamné ne relève pas de l’extraordinaire dans un Etat de droit. En effet, dans un Etat de droit, l’Etat est un sujet de droit et il répond de ses actes.
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rnPropos recueillis par Mohamed Daou – 19.12.2007
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