La communauté des Kel tamasheq noirs, communément appelés « bella », demande une loi criminalisant le phénomène en cette année 2014. Un cri de cœur lancé à l’endroit des plus hautes autorités à l’occasion du 5ème forum culturel statutaire de TEMEDT, Association de développement, de la consolidation de la paix, de la protection et de la promotion des droits humains. Une rencontre qui s’est tenue du 10 au 12 avril 2014 au Carrefour des jeunes à Bamako. Nous avons profité de ce forum pour nous entretenir avec Gogé Maïmouna Gazibo, directrice générale de l’Agence nationale de lutte contre la traite des personnes et les pratiques assimilées au Niger, une participante
Le Guido :Comment peut-on lutter efficacement contre le fléau ?
Gogé Maïmouna Gazibo : Il faut aller vers le lobbying, parce que ceux qui luttent beaucoup plus pour le maintien de la pratique, j’en suis convaincu, sont constitués de chefs traditionnels des communautés concernées. Il faut les sensibiliser, et aussi sensibiliser les victimes, tout en leur signifiant qu’on porte atteinte à leurs droits et libertés. Cela permettra, de mon point de vue, d’avoir une loi acceptée de tous.
Le Guido : Que peut-on retenir de la rencontre ?
D’abord, il n’ya pas une grande différence entre la stratégie de lutte que mène le Mali et le Niger en la matière. En d’autres termes, il y a eu au cours de la rencontre qui s’est achevée beaucoup de thèmes se reportant à la culture, à l’identité des esclaves. Ce que je voulais ajouter, c’est qu’à la fin des travaux, on réalise qu’en matière de législation, le Niger est quand même en avance sur le Mali. Contrairement au Niger, le Mali est toujours au stade de plaidoyer pour sensibiliser les communautés encore réfractaires pour dénoncer les pratiques esclavagistes. Ce qui n’est pas mauvais. Au Niger, pour votre information, la pratique de l’esclavage a été criminalisée depuis 2003. C’est vous dire qu’en matière de volonté politique, le Niger est nettement en avance sur le Mali.
N’est-ce pas que l’initiative de TEMEDT, l’association qui lutte contre l’esclavage au Mali, doit être encouragée et soutenue ?
Absolument. Il n’ya aucune constitution au monde qui prône l’esclavage comme une valeur. C’est même aberrant de voir exister encore en 2014 des types de pratiques d’exploitation de l’homme par l’homme. Je réalise aussi qu’au Mali, malheureusement, l’esclavage demeure un tabou. Bon nombre de participants ne se sont pas sentis à l’aise en s’exprimant sur le sujet. Alors que c’aurait été au Niger, dans mon pays, il y aurait beaucoup d’autres citoyens, qui ne sont pas forcément des « esclaves », qui allaient prendre d’assaut les locaux du Carrefour des jeunes pour en débattre. C’est seulement les « esclaves » qui se sont retrouvés pour exprimer leur raz le bol. Mais, c’est encourageant, tout ce qui a été entrepris. Pour ma part, je félicite TEMEDT pour sa persévérance. J’en suis sûre, tôt ou tard sa lutte va aboutir.
Est-ce qu’au Niger, il y a déjà eu des cas de condamnation, de réparation de torts infligés à des esclavagistes ?
Le cas d’Amina est un cas parmi tant d’autres. C’est une femme esclave que Timidria, une ONG de promotion des droits de l’homme au Niger, a assistée devant les tribunaux du Niger et devant la Cour de la CEDEAO. Elle a été reconnue victime d’esclavage. Amina, il faut le dire, a été mise dans ses droits. J’ajoute également que le Niger dispose de deux structures de lutte contre le phénomène. Il s’agit de l’Agence nationale de lutte contre la traite des personnes et les pratiques assimilées et une Commission nationale de coordination qui élabore des plans d’action en matière de lutte contre l’esclavage. Je vous signale que l’ordonnance qui lutte contre l’esclavage et les pratiques assimilées a prévu un fonds d’aide pour les victimes. Ce qui veut dire qu’au Niger, une victime d’esclavage qui porte plainte devant une juridiction a droit à une réparation de la part de l’Etat, lorsqu’à la fin du jugement, elle est reconnue victime de pratique d’esclavage. C’est, de mon point de vue, un signal fort qui encourage les victimes à aller devant les juridictions nigériennes. Je ne crois pas que ce soit le cas au Mali pour l’instant. Les victimes bénéficient seulement pour le moment de l’appui des ONG comme TEMEDT. Parce que l’Etat n’a pas légiféré ou encore moins mis en place un dispositif de mesures d’accompagnement. C’est, à mon avis, l’expertise que le Niger peut pour l’instant apporter au Mali. Parce que le dispositif juridique mis en place au Niger prévoit le dédommagement de tout cas de victime d’esclavage par l’Etat.
L’esclavage étant une question de culture, qu’est ce que vous proposez concrètement à TEMEDT ?
Je dis souvent que lorsqu’on s’attaque à la culture, on s’attaque aux citoyens. Ce que je voudrais leur proposer c’est d’ouvrir l’association TEMEDT aux autres bonnes volontés maliennes. Je reste persuadé que, même à l’intérieur des communautés maliennes non esclaves, il y a bon nombre de personnes qui estiment que la pratique constitue une atteinte aux droits humains. Cela permettra de renforcer la lutte de ceux qui vivent l’esclavage. Ensuite, il faut aller vers le lobbying, parce que ceux qui luttent beaucoup plus pour le maintien de la pratique, j’en suis convaincu, sont constitués de chefs traditionnels des communautés concernées. Il faut les sensibiliser, et aussi sensibiliser les victimes tout en leur signifiant qu’on porte atteinte à leurs droits et libertés. Cela permettra, de mon point de vue, d’avoir une loi acceptée de tous. Cela, pour vous dire qu’au Niger l’esclavage a été criminalisé depuis 2003. De cette date jusqu’en 2010, il n’ya eu dans les statistiques aucun cas signalé par quelque victime ou autre personne que ce soi,t pour la simple raison que les mentalités n’étaient pas prêtes à cela. La raison évoquée en son temps a été que l’idée d’abandon de la pratique est importée de l’occident. Ce qui n’est vraiment pas le cas actuellement.
Propos recueillis par
Siaka Z. Traoré