Dans la première partie de la grande interview qu’il bien voulu nous accorder à quelques mois de la fin de sa mission au Mali, le Chef de la Délégation de l’Union européenne au Mali, Giacomo Durazzo, évoque, entre autres sujets, les élections générales à venir au Mali en 2012, le bilan succinct de la coopération Mali-Union européenne et les principes qui sous-tendent l’intervention de celle-ci en direction de notre pays
L’Indépendant : Monsieur le Chef de la Délégation, il y a quelques semaines vous faisiez part de votre inquiétude devant les lenteurs enregistrées dans les préparatifs des élections générales de 2012 au Mali qui devront débuter par la présidentielle en avril prochain. Avec le temps votre sentiment a-t-il évolué ?
Giacomo Durazzo : Je dirais que les choses avancent. On sent qu’il y a une dynamique qui se met en place. Le travail commence à s’exécuter. Donc je dirais qu’en termes de timing, on a l’impression que les choses avancent bien. Par contre, il est très important de travailler dans un consensus et que le travail soit de qualité. L’enjeu du fichier électoral est le plus important. Sans fichier électoral fiable, il risque d’y avoir des problèmes durant les élections. Il est donc très important que l’opération de révision qui va être lancée dans les prochains jours soit faite de manière impeccable et avec la participation de toutes les parties prenantes. C’est l’enjeu dans l’immédiat. Reste encore le calendrier et les échéances qui doivent être finalisés. Je pense que ce sera annoncé très prochainement. Nous suivons le processus de près puisque c’est un moment important dans l’histoire du pays.
Mais nous sommes confiants que le Mali, étant un pays de tradition démocratique, avec une gestion des élections qui se sont déroulées toujours d’une manière satisfaisante va aussi réussir tout aussi ces élections. Nous l’espérons en tout cas…
Donc vous êtes optimiste ?
Raisonnablement optimiste, je dirais. (Rires). Il y a des enjeux importants dans cette élection. On sait tous que le président ATT ne se présente pas. Cela crée évidemment un enjeu très important. Il va y avoir un changement important dans le panorama électoral. Il ya des candidats qui se sont déjà déclarés ; d’autres vont certainement le faire dans les prochaines semaines. Donc, il y a des enjeux importants et plus il y a des enjeux importants, il y aura probablement des risques, disons, plus importants. Mais, d’autre part, il y a, je crois, aussi une capacité à suivre, à maîtriser ce processus de la part du gouvernement.
Quelle va être la participation des partenaires ?
C’est un point évidemment aussi important. Il y a eu, tout récemment, une mission des Nations-Unies qui a, un tout peu, le rôle traditionnel de coordonner les appuis des différents partenaires. Ceux-ci ont été sollicités pour une contribution. C’est à l’étude, en cours de discussions.S’agissant spécifiquement de l’Union européenne-puisque je ne peux parler qu’au nom de celle-ci-nous n’avons pas prévu dans notre programmation un appui spécifique au processus électoral. Ce qui rendrait, évidemment, à court terme, difficile de mobiliser des fonds. Par contre, on peut mobiliser l’expertise. Donc si c’est nécessaire, on peut éventuellement financer des experts pour venir appuyer le processus électoral…
Dans quel domaine ?
Cela dépend des besoins. C’est au gouvernement de nous demander. S’il nous demande nous serons tout à fait disponibles.
Pouvez-vous nous faire le bilan succinct de l’aide de L’Union européenne en direction du Mali ?
C’est un partenariat qui existe depuis longtemps, plus de 50 ans, une relation profonde qui s’est enrichie au fil du temps. Ce partenariat est une coopération qui n’est pas seulement de l’aide au développement. Nous avons aussi un dialogue politique très intense, des relations commerciales et culturelles. Il ne faut donc pas le résumer simplement à l’aide au développement. Cependant, le volet aide au développement est très important puisque, pour rappel, la dotation la dotation du 10ème FED est de 550 millions d’euros, soit plus de 360 milliards de FCFA.
Fondamentalement, elle se concentre dans un certain nombre de secteurs. Il s’agit des infrastructures routières avec la création de nouvelles routes qui sont la route Niono-Tombouctou et la route Bourem-Kidal. Les chantiers pour Niono-Tombouctou sont bien avancés et s’agissant de Bourem-Kidal, les études sont pratiquement terminées. Donc, nous allons aussi pouvoir rapidement commencer les chantiers. Le programme routier se déroule dans de bonnes conditions. Reste quand même le point toujours très compliqué de la surcharge et malgré les efforts déployés par le Mali il ya encore beaucoup de travail à faire pour lutter contre ce fléau qui endommage les routes et qui crée un gros problème d’entretien de l’infrastructure routière au Mali. C’est le premier grand domaine. Nous intervenons aussi via les appuis budgétaires.
Donc, un appui au budget de l’Etat qui se décline surtout sur les budgets sociaux de l’éducation et de la santé sur lesquels nous avons un dialogue très intense en termes d’amélioration de la gestion des finances publiques. Là aussi, on peut constater que le Mali a fait des efforts mais que la route est encore longue pour arriver à un système de gestion des finances publiques aux normes internationales qui réponde à tous les critères de transparence, de visibilité et de rendre compte. Je dirai que nous sommes globalement satisfaits du travail qui a été accompli. Nous attendons aussi évidemment, suite à l’adoption des réformes constitutionnelles, la création de la Cour des comptes qui est un élément important dans le système de contrôle de la gestion des finances publiques.
Les appuis budgétaires sont des interventions importantes de l’UE. Ensuite, nous finançons les grandes réformes, notamment la décentralisation et la déconcentration, mais aussi les autres réformes pour rendre l’Etat plus efficace et plus efficient afin de rendre des services de meilleure qualité auprès des citoyens.
La décentralisation est l’un des grands programmes que l’Union européenne appuie depuis son lancement il y a dix ans. Les chantiers avancent bien. Cependant, il reste encore des points importants de cette réforme, notamment le transfert des ressources aux collectivités territoriales que ce soient des ressources financières ou des ressources humaines.
Ce transfert est loin encore très terminé et c’est important qu’il le soit. Il y va de la réussite de cette réforme majeure. Nous travaillons également dans d’autres secteurs importants, notamment l’agriculture avec l’Office du Niger, la sécurité, surtout dans le nord du pays, la nutrition, les questions migratoires avec le CIGEM, les affaires culturelles et la culture avec le PADESC, la société civile. Donc, c’est un programme très riche et très vaste qui soutient le Mali dans de très nombreux secteurs au niveau de la Commission de l’Union européenne. Il y a aussi nos Etats membres et nous travaillons en très forte coordination avec eux pour qu’il y ait une approche européenne au développement au Mali.
Il est vrai que vous financez beaucoup les infrastructures, le développement institutionnel entre autres. Mais que faites-vous pour le secteur privé dont on veut faire le moteur du développement ?
Nous appuyons également le secteur privé puisque nous pensons qu’il y a une nécessité d’améliorer les performances du secteur privé au Mali. Le secteur privé existe mais il est, peut être, un peu encore timide et pas suffisamment structuré. En fait, il y a un grand secteur privé informel ; mais le secteur formel est relativement limité. Par conséquent, il y a besoin de renforcer ses capacités. Dans ce cadre, nous intervenons dans un programme qui est financé par l’AFD et la Banque Mondiale. Nous donnons, en fait, l’argent à l’AFD qui le gère pour notre propre compte. Ce n’est donc pas quelque chose qu’on exclut mais sur lequel nous sommes, peut-être, moins présents que d’autres partenaires. Il est vrai qu’on ne peut pas tout faire partout.
Quelle philosophie et grands principes sous-tendent l’intervention de l’Union européenne au Mali ?
Je dirai que la philosophie de l’Union européenne, pas seulement au Mali, c’est fondamentalement le partenariat, travailler conjointement avec le pays, que ce soit avec le gouvernement ou la société civile, le secteur privé. Nous nous alignons sur les stratégies de développement du pays. Nous discutons avec les autorités, la société civile, en termes de programmation de l’aide avec les autres partenaires ? Nous définissons nos priorités communes et ensuite nous mettons en place tous les projets et programmes pour mettre en œuvre cette programmation. Je dirai donc le partenariat et le travail en commun avec les autorités.
Nous avons, par exemple, ce qu’on appelle un ordonnateur national qui est le ministre des Affaires étrangères. Il ordonne, en fait, le financement des programmes conjointement avec la Délégation de l’Union européenne au Mali. Voyez-vous, c’est vraiment un travail d’équipe. Nous avons une CONFED, la structure appuyant le ministre des Affaires étrangères qui est pratiquement l’alter ego, la contrepartie de la Délégation.
Avez-vous les moyens de vérifier l’efficacité de votre aide, en d’autres termes, êtes-vous satisfaits de l’utilisation de votre aide par la partie malienne ?
Tout à fait. Nous faisons un suivi. Parmi les missions de la Délégation, le suivi est certainement la plus importante, le suivi des programmes de coopération financés par la Commission de l’Union européenne. Nous faisons donc un suivi très régulier. Nous avons aussi des audits qui vérifient au niveau financier. Nous avons des évaluations avec des équipes externes d’évaluateurs qui viennent régulièrement évaluer les programmes. Nous avons ce qu’on appelle un monitoring, c’est-à-dire des équipes de consultants qui viennent régulièrement faire le suivi de la mis en œuvre des projets.
Toute cette panoplie d’instruments nous permet de faire un suivi très particulier, très proche de la mise en œuvre. Globalement, le programme se met en œuvre dans de très bonnes conditions. Ceci dit, il y a des projets, des programmes qui fonctionnent mieux que d’autres. Donc, il y a aussi des vérifications, des corrections à faire en cours de route.
A suivre
Entretien réalisé par Yaya SIDIBE