Giacomo Durazzo, Chef de la Délégation de l’union européenne au Mali : ” Avec la crise financière, nous serons désormais plus regardants sur l’utilisation de l’aide par les pays bénéficiaires “

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L’insécurité dans la bande sahélo-saharienne, la coopération Mali-Union européenne à la lumière de la crise financière, l’économie malienne, les APE. Tels sont les principaux sujets abordés par le Chef de la Délégation de l’Union européenne, Giacomo Durazzo, dans la dernière partie de la grande interview qu’il a bien voulu nous accorder à quelques mois de la fin de sa mission au Mali

L’Indépendant : Qu’en est-il maintenant des APE (Accord de Partenariat Economique) le dossier controversé qui a fait couler tant d’encre et de salive par le passé ?

Giacomo Durazzo : Je dirai qu’on est dans une situation d’attente ; des discussions sont en cours, mais les choses prennent un peu plus de temps que prévu. On aurait espéré avoir un APE pour la région d’Afrique de l’ouest, il y a de cela deux ans. J’estime que le temps n’était pas encore suffisamment mûr. Je sais que les discussions continuent au niveau technique. Nous espérons qu’elles pourront aboutir assez rapidement.

Le Mali, on le sait, enregistre, depuis des années, des taux de croissance assez satisfaisants. Mais force est de constater que cette croissance n’a pas induit un développement durable. Que faut-il faire, selon vous, pour qu’elle impacte positivement sur la lutte contre le chômage et la réduction de la pauvreté ?

C’est un point très important. C’est vrai que le Mali a un bon taux de croissance. Cependant, il n’est pas suffisant. Ces dernières années, le taux de croissance a tourné entre 4,5 et 5%. Ce pourcentage n’est pas suffisant pour faire face à une réduction conséquente de la pauvreté.

Pour ce faire, il faut agir sur deux niveaux. Il faut agir sur une augmentation de la croissance qui devrait plutôt se situer autour de 7% si l’on veut agir de manière efficace contre la pauvreté. Et puis il y a la grande question de la démographie parce que tant que le Mali aura une croissance démographique aussi soutenue de 3,5%, ce sera difficile de pouvoir faire face à cette augmentation de la population…Je crois qu’il faut agir sur les deux niveaux. D’une part accroitre la croissance en impulsant le secteur privé et les investissements. D’autre part, il y a sûrement aussi nécessité de revoir la question de la démographie au Mali. Et je pense que cette réflexion a cours maintenant au niveau des autorités. Je me réjouis, par exemple, dans le cadre du nouveau Cadre Stratégique de Réduction de la Pauvreté qui est en train d’être préparé, du fait que la question de la démographie ressort de manière très claire.

N’y a-t-il pas aussi un problème de gouvernance économique ?

La corruption, elle existe. Il faut la combattre. C’est un fléau grave. Je ne pense pas qu’en terme de croissance on puisse la mesurer. Mais, par contre, en terme d’efficacité du système, elle a sûrement un impact. Le système de gestion des finances publiques, qui doit aussi gérer le flux relatif aux investissements publics, doit s’améliorer. Mais je ne pense pas que ce soit le facteur déterminant pour augmenter la croissance au Mali.

La crise financière et économique dans laquelle se débattent certains pays européens, à l’image de la Grèce et de l’Irlande, ne va-t-elle impacter négativement sur la coopération UE-ACP ?

Elle aura un impact, mais si ce sera négatif ce sera aussi beaucoup la responsabilité des pays bénéficiaires, Je m’explique. Les flux d’aide vont, nous l’espérons, se maintenir. Parce qu’il y a quand même des engagements internationaux qui ont été pris par la communauté internationale. Par contre, ce qui est sûr, c’est que nous serons plus regardants sur la manière dont cette aide est utilisée. Autrement dit, nous allons demander que le pays qui reçoit de l’aide l’utilise de manière plus efficace. Si ce n’est pas le cas, il pourrait y avoir des remises en question. Il s’agit surtout de regard plus critique sur le système de l’aide internationale et de l’exigence que l’aide ait un impact plus fort et des résultats plus concrets sur le terrain.

Que faut-il pour que l’économie malienne, qui dépend pour 40% de son financement de l’aide extérieure, en soit moins dépendante ?

C’est un vaste débat. (Rires). C’est une bonne question. Nous-mêmes, on se la pose. Autrement dit, comment le Mali peut progressivement se passer de l’aide. Cela fait partie de la stratégie du gouvernement parce qu’il a l’ambition de faire du Mali un pays émergent. Je pense que le chemin est encore long. Il faut, comme on l’a dit précédemment, que la croissance augmente, que la démographie se stabilise et surtout je crois qu’il faut investir et faire en sorte que le système éducatif malien fonctionne d’une manière plus efficace. En ce moment, nous sommes inquiets parce que l’éducation au Mali est en crise déjà depuis plusieurs années et cela affecte les capacités du pays. Donc, toute la formation des jeunes qui vont devoir gérer le pays dans le futur est affectée, une situation qui risque d’avoir des répercussions négatives sur les performances du pays. Je dirais alors : investissement dans la formation- que ce soit la formation professionnelle et l’éducation de base ou l’éducation secondaire ou même universitaire-pour former des jeunes qui puissent contribuer au développement de leur pays.

Quelles sont les perspectives de coopérations Mali-Union européenne ?

Nous continuons donc le travail par la programmation du prochain Fonds européen de développement, le 11ème FED, dans les prochains mois et années. Il est encore trop tôt pour en indiquer les montants, mais je pense qu’ils seront importants. Il est encore trop tôt parce nos perspectives financières globales n’ont pas encore été établies.

Je pense que le dialogue va s’engager sur l’utilisation des fonds européens dans les prochaines semaines.

On sait que l’Union européenne est un acteur important dans le dossier de la sécurisation du Nord-Mali. Qu’elle a été votre contribution jusqu’à maintenant et quelles réflexions ce brûlant dossier vous inspire-t-il ?

L’Union européenne, comme vous l’avez dit, est très concernée par la stabilité du nord du pays parce que les facteurs de déstabilisation nous affectent directement ; que ce soit le terrorisme ou le trafic de drogue, ils ont un impact direct sur l’Europe et les citoyens européens. De ce fait, nous avons donc décidé, depuis trois ans, de nous engager d’une manière plus soutenue dans un appui aux gouvernements des pays de la région pour qu’ils puissent combattre, de manière plus efficace, les facteurs d’instabilité, qu’il s’agisse des mesures de sécurité, donc en renforçant les capacités de sécurité des Etats de la région par un repositionnement de l’Etat dans le territoire du Nord, ou d’une amélioration du développement. Parce que nous sommes tous conscients que ce n’est pas simplement une approche sécuritaire qui va résoudre le problème. Il faut donc travailler soit sur les aspects de sécurité, soit sur les aspects de développement. Nous avons déjà un programme qui est fortement focalisé sur les régions du Nord ; je ne l’avais pas indiqué précédemment, mais une grande partie des projets dont je vous ai parlé ont pour point de contact le nord du pays.

Il est important de nous focaliser encore plus sur ces questions de développement et de sécurité dans le Nord. C’est ainsi que l’Union européenne a défini une stratégie Sahel qui s’applique pour tous le pays de la région ; donc cela ne concerne pas que le Mali. Le Niger, la Mauritanie et évidemment les pays du Maghreb comme l’Algérie sont tout aussi concernés. Cette stratégie repose sur trois volets principaux : un volet politique diplomatique, donc comment l’Union européenne peut jouer ses bons offices de sa présence sur le terrain pour faciliter le dialogue entre les pays de la région puisque nous sommes tous conscients que ce problème de stabilité est un problème régional ; le deuxième volet est sécuritaire, il s’agit de renforcer les forces de sécurité, police, douane, gendarmerie, justice et, en troisième lieu, vient le volet développement, avec les programmes de développement du Nord. Cette stratégie a été finalisée il y a quelque mois. Elle est maintenant en œuvre.

Nous voulons la partager avec tous nos partenaires. Au Mali, il y a plusieurs missions qui sont passées pour la présenter au président de la République et aux instances gouvernementales. Nous allons maintenant la diffuser largement aussi au niveau de la presse, des médias et de toutes les parties concernées. Nous pensons qu’il faut prendre à bras-le-corps ce problème puisqu’il affecte le développement des régions du Nord. Cette instabilité, si elle persiste, risque de compromettre la stabilité générale du pays. Nous sommes raisonnablement optimistes, mais la crise libyenne est un facteur de complication intérieure. Nous avons récemment bien vu ses implications sur le Nord du pays. Ce qui nous engage encore, de manière plus résolue, dans sa mise en œuvre. Le Mali va bénéficier aussi d’une enveloppe supplémentaire de 50 millions d’euros pour des projets de sécurité et de développement dans le Nord ; vous voyez donc que nous essayons de mettre des moyens importants…

Le PSPSPDN

Le PSPSPDN (Programme Spécial pour la Paix la Sécurité et le Développement dans les régions du Nord du Mali) a des volets que nous finançons avec d’autres partenaires et c’est la réponse que le gouvernement a mise en place pour repositionner l’Etat dans les régions du Nord avec une réponse à la fois sécuritaire et du développement. C’est fondamentalement ce vide, ce manque de la présence de l’Etat qui a probablement déterminé aussi l’émergence de tous ces trafics et la présence du terrorisme dans le Nord.

Comment voyez-vous l’avenir du Mali ?

L’avenir du Mali ? (Rires). Moi, je suis un homme optimiste, donc je pense que le Mali a des atouts, sa stabilité, sa gouvernance, sa démocratie. Je pense qu’elles sont enracinées fortement dans l’esprit des Maliens. C’est un point très important. J’ai apprécié aussi beaucoup la société malienne pour son équilibre, son consensus qui constitue aussi un facteur de stabilité. Par contre, je trouve que sur certaines choses il faut avancer un peu plus rapidement, notamment dans le domaine du social, le Code de la famille, la question d’égalité des sexes, la lutte contre l’excision. Tous ces aspects-là, je trouve que c’est souvent un peu compliqué. Il est aussi vrai que ces changements doivent être faits de manière progressive. Peut-être que la société malienne est très traditionnelle. Cela a un avantage parce que c’est de la stabilité et cela a aussi un inconvénient parce que ça évolue très lentement. Mais, globalement, je pense que le pays possède des atouts pour continuer à se développer et à progressivement émerger dans le futur.

Quel est votre mot de la fin ?

Je souhaite bonne chance au Mali. Je vais quitter le pays d’ici quelques mois ; j’espère pouvoir y revenir, peut-être, d’ici quelques années et retrouver un Mali transformé en pleine progression. Suite et fin

Yaya SIDIBE

 

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