Gaoussou Fofona conservateur du fort de Médine : «Sans le Fort, Médine n’existerait pas»

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Le Prétoire : Parlez-nous un peu de l’histoire du Fort ?                            

Gaoussou Fofana : Avant de parler du Fort, je vous parlerai du village même. Comment est venu Médine ? Médine est né de la volonté de Hawa Demba Diallo. Ça étonne plus d’un quand on parle de Hawa Demba Diallo, les gens demandent si c’est un homme ou une femme. Hawa Demba, c’est Demba, Fils de Hawa, c’est donc bel et bien un homme. Ce Hawa Demba Diallo, est issu de la famille royale du Khasso. Il est monté sur trône à partir de Kognakari, à partir de 1803. Il a régné à peu près deux ans. Il est déporté dans le Boundou pour aider Abdoul Kadr dans son Djihad. Ce n’était pas un vrai djihad mais c’était pour mater une rébellion d’une frange du kadriya. Malheureusement, Abdoul Kadr a été tué, Hawa Demba se devait donc de retourner à Kognakari. Avant son départ déjà, il y avait des hostilités entre Kognakari et Sero. A son retour, il a trouvé des querelles de succession dans la famille royale, accentuées par des attaques des Bambaras du royaume Massassi du Kaarta. Alors il a remonté le cours du fleuve jusqu’à Logo Sabouciré, où régnait un roi du nom de Makan Fatouma Sissoko, qui lui a accordé l’asile. Puisque deux rois ne peuvent pas cohabiter sur le même trône, l’un devait se retirer. C’est ainsi que Hawa Demba a reçu l’autorisation de  s’installer dans les montagnes du Mameri. Du Mameri, il venait faire ses enquêtes au comptoir français à Kegnou. C’est ainsi qu’il a vu le site de Médine. Un site naturellement défendu par ces chaînes de collines qui entourent le village ; du Nord en passant par l’Ouest jusqu’au Sud et à l’Est, vous avez le fleuve. Donc, c’est un site qui est naturellement défendu. Il a ambitionné d’installer la capitale de son futur royaume. Cela a coïncidé avec le passage d’un marabout Bouclimite en République de Mauritanie du nom de Cheick Sidiya Ould Baba. C’est ce dernier à qui Hawa Demba a demandé de baptiser le site. Il a fait une retraite mystique au cours de laquelle, il aurait reçu une apparition divine qui lui a dit de choisir le nom de Médine en souvenir de Médine de l’Arabie Saoudite. Ce n’est pas un choix Fortuit, car ceux qui ont fait la visite de la Mecque vous diront que ce site ressemble drôlement à l’autre Médine, sauf qu’à Médine d’ Arabie, il n’y a pas de fleuve. Les choses évoluaient ainsi jusqu’à la mort de Hawa Demba lui-même, qui fut remplacé par son fils Kiti Samballa Diallo. Ce dernier n’est pas resté longtemps au pouvoir, il a été remplacé par son frère Djouga Samballa. C’est sous le règne de ce dernier que toute l’histoire de Médine va se passer.

Avant sa mort, Hawa Demba avait lié amitié avec un commerçant français sur le haut fleuve du nom de Fernand Duranton. Ce dernier a marié la fille de Hawa Demba, Sadioba Diallo. Ce fut le premier mariage mixte dans cette région. De cette union naquirent trois enfants dont une fille du nom de Marie, que le commandant du Fort, Paul Houles, décida de prendre sous sa protection en l’hébergeant dans le Fort sous la garde des militaires. Cela a coïncidé avec le siège d’El Hadj Omar Tall. La veille de la délivrance du Fort, la fille a attrapé un paludisme qui a eu raison d’elle. Alors Faidherbe ayant délivré le Fort a décidé de l’enterrer à l’intérieur même du Fort.

Il y avait des intérêts commerciaux de la France, ici, ces intérêts étaient entretenus par des traitants Wolofs qui occupaient les magasins de Médine. Les Blancs avaient négocié la construction du Fort depuis sous le règne de Hawa Demba lui-même, mais il a toujours refusé pour ne pas avoir des problèmes avec Makan Foutouma, Kiti Sambala était sur la même lancée, mais Djouga Sambala lui a donné son accord pour la construction du Fort.  La construction du Fort a été autorisée en 1855 sur une superficie de 5 ha 66 ca et a duré du 15 septembre au 20 octobre 1855. Deux ans après, El Hadj Omar assiégea le Fort. Quand le Fort fut libéré par Faidherbe, le commerce a continué entre ici et Saint-Louis pour ravitailler les compagnies.

Il y a eu cette période d’opulence à Médine, des témoignages disent que quand il y a eu cette période de stabilité, les maisons de commerce ont prospéré, les commerçants wolofs faisaient leurs traites tranquillement. Il y avait du « Tiéb djen » à tout moment, il y avait du poisson, de la viande, il y avait tout. Jusqu’à présent Médine a gardé cette habitude de préparation, car les femmes d’ici sont spécialistes de « Tiéb djen ». C’est pour vous dire que Médine a connu des moments de bonheur. Mais Médine à failli mourir.

Pourquoi ?

Parce que la réalité de ce village est qu’il faut tout mettre en œuvre pour que le Fort existe.

Justement, aujourd’hui, dans quel état se trouve le Fort ?

Je suis heureux de vous dire que le gouvernement malien a pris toutes ses responsabilités. Une fois n’est pas coutume. Les gouvernements successifs ont pris toutes leurs responsabilités et ils ont restauré complètement le Fort. Il y a eu les premières démarches depuis 1976 avec la mission Abdramane Soulal, mais c’est véritablement en 2006-2007, qu’on a posé la première pierre. Cela a coïncidé avec mon intronisation comme conservateur du Fort et c’était sous Cheick Oumar Sissoko. Donc on a complètement restauré le Fort. Il a fallu d’abord envoyer une mission à Podor au Sénégal où il y a le Fort Faidherbe. Ce Fort  a été en partie restauré par le gouvernement sénégalais sous la responsabilité d’un architecte du nom de Jean Sene, un Français. Donc il fallait s’inspirer de la restauration du Fort de Podor pour restaurer ce Fort en l’état initial avec les mêmes matériaux. Et moi, mon œuvre a consisté à préserver les matériaux de ce Fort pour qu’on n’y opère pas de pillage, les pierres sont restées intactes.

Avez-vous restauré les objets et autres  équipements qui ont servi en cette période ?

Si vous fouillez dans le village, vous allez trouver beaucoup de ces objets. J’ai glané quelques objets, mais malheureusement ce n’est pas facile. Ce que chacun trouve, il pense que c’est sa propriété, il le garde jalousement. La mission culturelle est venue récemment. J’ai fait tout le travail culturel seul ici. C’est mon vieux maitre, Aboul Wahab Sarr, paix à son âme, qui m’aidait à le faire, malheureusement je l’ai perdu il y a longtemps. Généralement, dans ce village les gens ne s’intéressent  pas à ces objets. Il n’est pas donné à tout le monde de comprendre ça, et moi je le comprends aisément. Parce qu’il faut recevoir une véritable culture de patrimoine pour pouvoir opérer dans ce domaine. Malheureusement, moi-même je n’ai pas fait de formation, mais j’ai toujours aimé ça. Je suis un amoureux de l’histoire, donc j’ai cultivé en moi-même la notion de patrimoine. J’ai toujours été convaincu que sans ce Fort, Médine n’existerait pas. J’ai eu à croiser le fer même avec les vieux ici. Ils voulaient prendre des matériaux, en l’occurrence des IPN et des pierres. J’ai dit non, ce n’est pas comme ça, un jour viendra ce Fort sera restauré. J’étais un fou en ce moment là, mais aujourd’hui ce fou est devenu l’homme qui a anticipé. Le Fort c’est mon enfant chouchou.

Cela fait dix ans que Médine accueille le festival Kayes-Médine-Tambacounda. Qu’est ce que cet événement apporte en termes de visibilité au Fort ?

Je crois que l’importance première du festival, c’est de vendre l’image de Médine. En vendant l’image de Médine, ça permet de drainer les touristes vers Médine, et tout lieu fréquenté par les touristes se développe. Parce que chacun y trouve son compte. Mais il y a un problème d’infrastructures hôtelières à Médine. Or, pour que le tourisme porte fruits, il faudrait que les touristes restent au moins quelques jours, sinon même des mois. L’initiatrice de ce festival a vu que les touristes viennent jusqu’au Sénégal mais n’arrivent pas au Mali. Donc, elle a pris l’initiative de ce festival. Tout le monde était d’accord que la restauration du Fort était indispensable. Tout le monde était content de la première édition du festival, mais dans n’importe quelle œuvre humaine, il y a des petits problèmes qu’il faut résoudre au fur et à mesure que l’on avance dans le temps. Ce dont nous sommes sûrs aujourd’hui, c’est que c’est un acquis qu’il faut jalousement préserver. La promotrice a pu trouver des partenaires français qui œuvrent beaucoup pour la commune.

Est-ce que les festivaliers visitent le Fort ?

Il y a tellement de visiteurs pendant cette période et d’ailleurs pas seulement pendant le festival. Si ce n’est le problème du nord du pays. Ce qui me réjouit dans cette histoire, c’est que tous les scolaires ont pris conscience  de ce que c’est un patrimoine. Il n’y a pas une seule école aujourd’hui à Kayes qui ne vient pas visiter le Fort, et même les écoles de Sikasso. Pour preuve, il y a une école là-bas, du nom de Médine, qui partage le même nom qu’ici, qui est venue ici.

Quels sont les problèmes auxquels vous faites face ?

Les difficultés, c’est qu’après une telle restauration, il ne faut pas laisser le Fort comme ça. On m’a demandé de faire des propositions d’utilisation. J’ai dit que le mess des officiers peut devenir le musée militaire régional de Kayes. L’ancienne école, que l’on appelle l’école des Otages, peut être un véritable centre de documentation. Vous avez l’ancienne gare ferroviaire qui peut servir de salle d’exposition des œuvres d’arts, car c’est la première gare du Soudan français. Tout ce qui est à Médine se trouve être Premier. Malheureusement, le premier dispensaire du Mali se trouve être fermé aujourd’hui. Ce qui n’a pas de sens. Il est temps maintenant qu’on voie les réalités. Il faut des infrastructures hôtelières et sanitaires pour attirer les touristes.

Je lance chaque fois un appel aux opérateurs économiques de Kayes, car ce n’est le rôle de personne qu’eux et en premier lieu les ressortissants de Médine. Vous savez, aimer son pays ce n’est pas le verbiage, mais les actes. C’est par là qu’il faut passer.

Vous êtes une véritable bibliothèque, est-ce qu’aujourd’hui, vous avez pris des dispositions pour que cette expérience ne se perde pas ? Avez-vous pris l’initiative de préparer la relève ?

Vous vous rendrez compte que maintenant tout le monde s’intéresse à cette histoire là. Avant, les enfants de Médine c’était le dernier de leur souci. Maintenant, même dans les salles de classe les enseignants se rendent compte que les enfants s’intéressent à cette histoire locale. Il y a beaucoup de jeunes qui m’accompagnent, que j’ai formés, qui jouent le rôle de guides touristiques. C’est à l’Etat de savoir qu’il y a un conservateur qu’il a mis ici et que ce dernier commence à prendre de l’âge, et d’assurer la formation continue de ces jeunes.

Aux ressortissants de Médine, je dirais aide-toi le ciel t’aidera, comme on le dit ici, « quand vous appelez les gens à venir vous aider à porter votre toit, ayez la main sur ce toit d’abord ». Les enfants de Médine doivent prendre conscience de cela. Il ne faut pas que Médine soit cette maman qui met au monde beaucoup d’enfants et qui reste seule à mendier.

Entretien réalisé par Harber MAIGA et Birama FALL

Envoyés spéciaux à Kayes Médine

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1 commentaire

  1. Un peulh reste toujours un peulh…et cela ne date pas d’aujourd’hui!Makan Fatouma (roi du Logo) a offert l’hospitalité à Hawa Demba, pourtant c’est le fils & les petits enfants de ce dernier qui ont aidé les européens à attaquer Saboussiré, tuant ainsi NIAMODI (le fils de Makan Fatouma).Lisez plutôt ce passage.Nous sommes le 22 septembre 1878.La France coloniale sous l’ordre Brière De Lisles comme gouverneur général de l’AOF attaqua sans raison le village héroïque de Sabouciré:”LES GUERRIERS DU KHASSSO SOUS LE COMMANDEMENT DE SAMBALLA DEMBA NOUS AVAIENT PRÊTÉ LEUR CONCOURS OCCUPÈRENT SABOUCIRE APRES QUE NOS TROUPES EURENT DÉTRUIT LE TATA ET LES CASES FORTIFIÉES”(Annales sénégalaises de 1884 à 1885).Ce même Demba fils de Samballa envoya après plusieurs centaines de prisonniers de sabouciré sur les marchés aux esclaves après cette bataille.Quelle ingratitude et quelle trahison de la part des Peulh du Khasso!!!:cry: 😥 😥 😥 😥 😥

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