Troisième réserve d’or après l’Afrique du Sud et le Ghana, l’or du Mali profite largement aux multinationales sud-africaines, américaines, canadiennes ou suisses qui ont recours à des méthodes de travail parfois dignes du régime d’apartheid. Elles s’enrichissent sans réglementation transparente. Yatela et Sadiola, dans la région de Kayes, sont exploitées par la société AngloGold Ashanti. De nos jours, tous ses travailleurs sont dans l’inquiétude face à la restructuration en vue. Gaïdo Sissoko est le secrétaire général du comité syndical affilié à la fédération nationale des mines et de l’énergie (Fename), qui est aussi affiliée à la confédération syndicale des travailleurs du Mali (Cstm). Dans cet entretien, il nous parle de la gestion minière dans notre pays, des contrats d’exploitation et l’exploitation des travailleurs dans ces mines.
De nos jours Iam, Yatela, Lta Sadiola et Semos Sadiola : trois entreprises, trois destins qui prêtent à confusion. Qu’en est-il réellement ?
Une précision : je suis en même temps le représentant de la Fename et le secrétaire à la communication. Iam, c’est une société contractuelle de Yatela-Sa ; Lta est la société contractante de la Semos. La Semos est la société mère à Sadiola qui est l’une des actionnaires de la mine d’or de Sadiola. Les autres actionnaires sont AM Gold et l’État malien. La Semos est l’entreprise qui gère la mine de Sadiola. Les 3 sociétés sont différentes. Il y a deux sociétés qui sont contractuelles et sous-traitantes et l’autre est la société mère. Ce sont trois sociétés ou entités différentes qui doivent avoir des problèmes différents.
Lesquelles doivent être fermées ou reprises par d’autres entreprises ?
À l’ instant où nous sommes, Semos n’est pas en phase de fermeture. Mais, il y a une réduction de l’effectif qui est prévue par le texte en vigueur, en l’occurrence le code du travail qui parle de la réduction pour motifs économiques. Il y a beaucoup d’autres entreprises qui en ont vécu l’expérience. Lta est en phase de rupture de contrat avec la Semos parce que son contrat est arrivé à terme avec la société mère et Iam Yatela. Yatela-Sa est en phase de fermeture. En clair, la Semos est en phase de réduction d’effectifs ; Yatela et Lta Mali sont en phase de départ.
Quelles sont les passerelles possibles dans les trois cas ?
Dans les trois cas, la suggestion que j’aurais souhaité faire, c’est que le problème doit être traité cas par cas et chaque comité syndical de chaque entreprise doit avoir la capacité de pouvoir gérer son problème avec la direction de son entreprise. Si la volonté y est, il est possible que chaque entreprise parvienne à une solution avec son comité syndical sur la base d’une confiance réciproque.
Intéressons-nous au cas de Semos Sadiola. Ils sont condamnés à payer deux millions par jour de retard par le tribunal de 1ère instance de Kayes. Dites-nous comment en est-on arrivés là ?
C’est ce conflit qui me concerne en tant que secrétaire général du comité. Vous n’êtes pas sans savoir, qu’en décembre 2012, Semos a licencié 11 syndicalistes sur la base d’une grève de la fédération nationale des mines. Parmi plus de 200 grévistes : 14 syndicalistes ont été suspendus et 11 ont fait l’objet de licenciement. De fait, nous avons quitté la gestion d’une grève classique pour nous retrouver sur un terrain de règlement de comptes. C’est sur la base de ce licenciement qui n’a été approuvé ni par l’inspecteur de travail, ni par l’arbitrage, ni par le Tribunal de 1ère instance, qui dit d’ailleurs que force doit rester à la loi. C’est pourquoi la Semos a été condamnée à réintégrer les 11 syndicalistes sous astreinte du payement de deux millions de francs CFA par jour de retard, et ce, depuis le 24 décembre 2013.
Vous venez de le dire, trois structures impliquées dans la gestion de ce dossier, à savoir la commission d’arbitrage de la Cour d’appel de Bamako, l’inspection du travail de Kayes et le tribunal de travail de Kayes, ont tranché en votre faveur. Comment expliquez-vous cette toute-puissance de l’employeur sur la loi malienne?
Même si l’entreprise n’est pas puissante, il y a quelque part, comme je l’ai dit au départ, un règlement de compte dans la gestion de cette crise. Parce que la grève a été déclenchée sur la base d’un refus catégorique des représentants des employeurs à se soumettre à la conciliation du directeur national. Secundo, nous avons été soumis à un débat contradictoire au niveau de l’inspection du travail de Kayes. L’inspecteur a ensuite retenu l’article 277 du code de travail qui dit qu’«un délégué syndical ne peut être licencié que sur autorisation de l’inspecteur de travail». Il a alors a écrit aux deux parties pour leur notifier son refus catégorique. Il a estimé que les raisons avancées par la direction ne sont pas fondées. L’arbitrage, qui a été saisi par le Conseil national du patronat pour gérer la crise, a signifié à la Semos que les suspensions n’ont pas été faites sur des bases légales et qu’il autorise Semos à lever les mesures de suspension et à réintégrer les syndicalistes. Ils n’ont pas voulu obtempérer, nous sommes allés au tribunal de Kayes. Le tribunal a, dans un premier temps, condamné la Semos en jugement de référé au payement de deux millions par jour et c’est l’État même qui a intervenu sur sollicitation du directeur d’AngloGold, l’ex-directeur d’AngloGold. C’est une précision de taille puisque lui-même a été licencié.
L’ex-directeur d’AngloGold a sollicité l’intervention du contentieux de l’Etat pour casser la décision au niveau de la Cour d’appel de Kayes. Toute chose qu’on n’a jamais vue dans ce pays, et donc, le tribunal a repris la décision en première instance au niveau du président du tribunal de Kayes. Il a prononcé la même sentence : annulation de la décision de licenciement, réintégration des requérants sous astreinte au payement de deux millions de Fcfa par jour de retard. De nos jours, l’affaire est au niveau de la Cour d’appel puisqu’ils ont fait appel de la décision de la 1ère instance et nous attendons le jugement le 20 mars prochain.
À notre connaissance, il existe une convention minière au Mali depuis 2010. Où en est-on avec son application et quel peut être son apport dans la résolution de vos problèmes ?
Je suis l’un des signataires de cette convention. Il a été instruit à toutes les entreprises qui sont en opération de procéder à sa mise en œuvre à partir de novembre, soit 6 mois après sa signature. C’est le fait que cette convention n’est pas appliquée qu’il y a problème dans beaucoup d’entreprises minières de ce pays. On signe les textes, les entreprises refusent de se soumettre à l’exécution de ces textes. Ce qui est très grave. La convention n’est pas appliquée dans son intégralité dans beaucoup d’entreprises. C’est pourquoi les conflits reviennent chaque fois, sur la base de l’application non seulement de la convention collective, mais des accords internes aussi qui interviennent entre les comités syndicaux et les directions des entreprises. En l’occurrence, je veux parler du code de travail et les règlements intérieurs et les autres accords intérieurs qui interviennent entre directions et syndicats. Dans la plupart des cas, ces textes ne sont pas appliqués par les directions des entreprises.
Les syndicats dans le domaine minier à l’image de tous les domaines pratiquement au Mali semblent être victimes des rivalités Untm-Cstm, les deux grandes centrales syndicales au Mali. De nos jours, quels sont vos rapports avec les syndicats affiliés à l’Untm ?
Effectivement, il y a ce comportement qui est là. J’en ai été victime moi-même puisque quand on commençait ce mouvement, j’ai personnellement démarché nos camarades de l’Untm à la Semos pour qu’on mène les combats ensemble. Parce que tout doit aller à l’intérêt des travailleurs. Malheureusement, il s’est trouvé que ces gens étaient en train de comploter avec la direction de la Semos contre le comité Cstm. Et la gestion que j’ai eu à faire dans tous les dossiers qui sont intervenus au nom de la Cstm, il y avait un complot ourdi, nourri par les directeurs des ressources humaines de ces différentes entreprises contre les comités syndicaux Cstm. C’est pourquoi ces comités sont victimes de ces licenciements abusifs, et même au-delà, les militants à la base.
Vous dénoncez un complot contre les comités Lta Mali, Semos Sadiola et Bcm Loulou qui sont tous affiliés à la Cstm. Quelles sont vos preuves ?
Les preuves sont palpables puisqu’avant que les comités ne déclenchent les grèves, c’est la Fename qui avait déposé un préavis de grève au nom de tous les comités syndicaux Cstm de ces différentes mines. Les employeurs ont refusé de se soumettre à ces conciliations bien avant la chute du régime, puisque le mari du Premier ministre du régime d’ATT était le président de la Commission de réconciliation. Il a convoqué toutes les parties pour venir prendre en compte les préoccupations des syndicalistes. Ils n’ont pas voulu répondre à son appel parce que tout simplement c’est la Cstm. Ils ont refusé de venir se soumettre aux conciliations à Bamako, prétextant que nous sommes des comités régionaux et qu’il faille négocier au niveau des inspections. Aujourd’hui, au moment où nous tenons cette interview, il y a des négociations qui sont en cours au nom de la Secnami à Bamako. Pourquoi ils n’ont pas refusé ça aussi ? Et pourtant, la même Secnami a décrété une grève de 5 jours sur la base des réclamations salariales qui ont été négociées à Bamako ici et qui ont fait l’objet d’échec. Mais les syndicalistes n’ont jamais été inquiétés. Ils ont été appelés sous la couverture de la Cstm. Ils n’ont pas voulu obtempérer. Ils ont refusé de se soumettre à la conciliation de monsieur Cissé et du directeur national du travail, monsieur Diakité : ce qui a déclenché la grève de la Fename.
Quelle est votre position face aux mouvements actuels en cours, notamment les mesures d’accompagnement réclamées par les comités locaux affiliés à l’Untm ?
Les textes étant clairs là-dessus, j’aurais souhaité que le comité ait la capacité de négocier avec les directions de l’entreprise. Puisqu’il n’y a aucune exigence là-dessus ni du code du travail ni de la convention collective, ni dans le code minier qui est le dernier texte signé en février 2012 par le président de la République. On ne parle pas de mesures d’accompagnement pour motif économique et pour fermeture d’entreprise ! Tout est laissé à l’appréciation des acteurs internes de l’entreprise. C’est pourquoi, il est opportun que les syndicalistes aient une certaine capacité de négociation.
Que reprochez-vous à l’État dans la résolution de toutes ces crises ?
Je suis vraiment désolé de le dire, si on veut la paix dans ce pays, il faut que tout le monde soit soumis aux lois du pays. Malheureusement, la loi s’applique aux pauvres et aux innocents. Ceux qui ont le pouvoir financier, ils ne sont pas soumis à la loi. Sinon au Mali aujourd’hui, ces entreprises minières, les gestionnaires de ces entreprises minières méritent la prison. Ils méritent la prison puisqu’ils ont défié l’autorité de l’Etat. À commencer par l’inspecteur : ils disent que la décision de l’inspecteur est une décision fantaisiste. Ils pensent que le directeur national est incompétent ; ils ont refusé de se soumettre à l’arbitrage. Est-ce qu’une multinationale doit être au-dessus de la loi d’un pays ? Ils doivent être au-dessus d’un gouvernement ? Mais, j’en veux aux gestionnaires de ce pays, en l’occurrence, les membres du gouvernement sortant de la transition. Puisque j’ai rencontré trois ministres sur la question : ils n’ont eu d’autres mots à dire que d’aller négocier. Si j’étais fautif dans la gestion dans cette crise-là, j’allais faire la prison. Puisqu’un dossier costaud a été monté contre ma propre personne pour avoir signé à la place d’un autre représentant de LTA et qui a été acheminé jusqu’au niveau du Pôle économique ; mais ça n’a pas prospéré parce que c’était faux. Mais j’interpelle l’Etat malien pour que la loi s’applique à tout le monde dans ce pays ; pour que la paix s’installe, parce qu’on ne peut pas avoir de paix sans justice. Sans justice, il n’y a pas de paix !
Sinaly KEITA