L’art “contemporain” malien prend de l’envol ces dernières années et ce grâce à la floraison de jeunes talents dans le domaine, mais aussi et surtout grâce à l’intérêt que lui portent les galeristes. L’un de ces grands galeristes de l’art africain subjugué par le potentiel artistique malien est Floréal Duran, un critique d’art et non moins directeur artistique de “5 Mondes Gallery” basée à Abidjan en Côte d’Ivoire. De passage à Bamako, la semaine dernière, M. Duran que nous avons eu l’honneur de recevoir à notre rédaction, n’a pu s’empêcher d’apprécier le potentiel dont regorge notre pays en termes de talents artistiques. Dans cet entretien, le galeriste évoque, entre autres sujets, l’art malien et africain, ainsi que ses projets artistiques au Mali.
Aujourd’hui-Mali : Bonjour, peut-on connaitre les raisons de votre présence à Bamako ?
Floréal Duran : Je suis à Bamako pour deux raisons principales. La première était de voir quelques expositions de la biennale africaine de la photographie de Bamako car cette biennale est l’un des grands évènements du continent qui promeut les photographes africains. Ce qui n’est pas le cas en Europe parce que les photographes européens n’ont pas la visibilité qu’ils méritent. La seconde raison de ma présence au Mali est de visiter des ateliers d’art et d’obtenir quelques contacts professionnels dans le domaine au Mali. Ce qui fut une réelle satisfaction.
Pouvez-vous nous présenter votre galerie “5 Mondes Gallery” ?
“5 Mondes Gallery” est une galerie d’art contemporain africain basée à Abidjan en Côte d’Ivoire. Le chiffre 5 correspond aux cinq (5) continents du monde. Nous n’avons pas encore la prétention d’avoir des artistes sur les cinq continents, mais nous l’espérons dans les jours à avenir. Nous sommes spécialisés dans l’art contemporain africain. Notre objectif est surtout de mettre en avant et de promouvoir les jeunes talents émergents. C’est un risque à la fois calculé qui a sa part de danger. Je tiens à préciser que nous sommes une jeune galerie d’art dont l’ouverture officielle est prévue en mars 2020.
En tant que galeriste, quel regard portez-vous sur l’art africain en général et malien en particulier ?
Je trouve que l’art africain embrasse des thèmes, des styles, des domaines qui sont assez peu abordés dans l’art européen. C’est un art que je trouve vivant au même titre que le ciné ou le théâtre. L’art africain est un art qui raconte des histoires, de vécus et porte des messages qui sont très forts. Et je trouve que tout ce passé, toute cette affection n’est plus racontée par des artistes européens ou français même s’il y a quelques exceptions. Je trouve qu’il y a de l’inventivité, une soif de créativité dans l’art africain qui est d’un dynamisme extraordinaire. Je trouve que c’est rendre justice à ce continent de lui donner la visibilité qu’il ne mérite pas seulement dans les galeries, mais aussi dans les institutions. Quant à l’art malien, je dirai que je n’avais pas encore assez d’artistes maliens dans mon catalogue à part Boubcar Koké et Famakan Magassa donc je n’ai pas encore exploré le potentiel de l’art au Mali. Je suis venu pour visiter des ateliers d’artistes et voir un petit peu quel est le potentiel de ce pays en matière d’art et j’avoue déjà que mes premières rencontres se révèlent très fructueuses.
J’ai découvert deux artistes à l’atelier de Badialan qui me semblent d’un très grand intérêt à la fois par leur technique de travail et également par ce que leur peinture dit. J’ai aussi appris qu’il y a ici au Mali un collectif d’artistes. Ça n’existe pas en Côte d’Ivoire et je n’en ai entendu parler dans aucun d’autre pays d’Afrique. Cela est une particularité au Mali qui doit perdurer parce qu’il y a un vivier qui est stimulé par l’effet du collectif où chacun apporte son regard, sa peinture, ses thématiques et sa façon d’aborder des thèmes peut-être identiques, mais de façon différente.
Quels sont vos rapports avec les artistes maliens ?
Je n’ai pas comme habitude de faire un palmarès sur une nation. Je ne choisis pas mes artistes en fonction de leur nationalité, mais plutôt par rapport à ce qu’ils font. D’ailleurs, j’aimerais bien que la nation artistique africaine soit unie et unique et qu’il n’y ait pas de concurrence entre les pays. Par rapport aux artistes maliens, je ne peux pour le moment parler que de Famakan Magassa qui est un talent émergent que je connais il y a quelque temps. Ce qui m’a surtout frappé chez Famakan, c’est son travail, mais aussi la qualité des relations que nous avons par ce que j’attache une grande importance à l’humain et à la relation humaine. Je n’ai pas honte le dire, je le considère comme un fils.
Quels sont vos critères de sélection d’un artiste ?
J’ai trois critères principaux pour la sélection d’un artiste, à savoir l’émotion, l’originalité et le sens. L’émotion : ça m’est arrivé de pleurer devant un tableau. Vous avez, le galeriste est souvent comme un confident pour un artiste, un psychologue, un accompagnateur, entre autres. L’originalité car je n’aime pas ce sentiment de déjà-vu. Il y a des artistes qui font des choses parce que les autres le font et là l’artiste risque de s’engouffrer dans une brèche parce que quand vous copiez quelqu’un, vous ne saurez jamais ce qui se cache dernière ses toiles. C’est parce que je n’aime pas le concept d’artiste à la mode. Puisqu’il n’y a rien qui se démode plus qu’une mode.
La mode c’est comme les saisons et on peut connaitre un grand succès et être oublié en très peu de temps. Je conseille aux artistes d’avoir une longueur d’avance sur leur temps. Et cette longueur d’avance peut être maintenue à coût d’un travail de longue haleine. Le sens parce que tout ce qu’on fait doit avoir un sens. Un artiste peint soit pour parler de soi soit pour parler de son environnement ou des problèmes sociétaux. L’artiste est un témoin de son temps pour les générations actuelles, passées et à venir. Leurs œuvres restent toujours dans les mémoires collectives.
Avez-vous des projets dans le domaine au Mali ?
Pour le moment, je n’ai pas de projets au Mali en tant que tel, mais il y a des collaborations. Je souhaiterais qu’il y ait davantage de liens entre les galeristes du continent africain parce que le chacun chez soi et le chacun pour soi sont deux choses différentes. Je pense que l’Afrique n’a pas besoin de ça. Je suis sur un projet avec une galeriste camerounaise qui pourrait concerner le Mali. C’est un projet qui ambitionne de faire en sorte que des expositions puissent circuler entre plusieurs galeries africaines.
Il faudrait aussi inclure dans ce projet des galeries européennes parce que c’est également hors du continent que les choses se passent. Je pense que le Mali peut être au cœur de ce projet. J’ai pu rencontrer des galeristes maliens dans ce sens et j’espère pouvoir collaborer avec eux pour la promotion de l’art contemporain au Mali.
Réalisé par Youssouf KONE