Entretien : Libération du nord ; Organisation d’élections fiables ; Retour effectif à la démocratie constitutionnelle…: Le Dr Abraham Bengaly appelle à l’union sacrée au Sud !!!

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La résolution de la crise actuelle que connait notre pays nécessite l’implication de toutes les forces vives de la nation. Une bonne information des citoyens et la sensibilisation de tous les acteurs du pays sur les tenants et aboutissants de cette crise sont des conditions essentielles pour la construction d’une conscience collective plus forte et aguerrie. La contribution des universitaires, dans cette dynamique de réarmement moral de la société, s’avère indispensable. Dans cet entretien accordé à votre hebdomadaire ‘’Le Flambeau, le Docteur Abraham Bengaly nous livre ses impressions sur la situation actuelle du pays. En bon universitaire et patriote à la valeur reconnue, l’homme propose  des solutions concrètes en vue d’une résolution rapide et durable de la crise qui sévit notre pays. Des impacts de la crise à la responsabilité actuelle de tous les maliens, en passant par l’implication des institutions africaines et internationales…tous les sujets sont passés au crible. Une interview à lire absolument et en exclusivité avec le journal ‘’Le Flambeau’’.

 

Bonjour Professeur, qui est le Docteur Abraham Bengaly ?

Le Docteur Abraham Bengaly est enseignant à l’Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako. J’ai suivi une double carrière. Une carrière universitaire puisque j’enseigne depuis 2001 à la FSJE  devenue FSJP et aujourd’hui USJP.  A côté de cette carrière d’enseignant, j’ai occupé certaines fonctions dans l’administration.  Je suis aussi un défenseur des droits de l’homme et un militant pour la paix universelle. A ce titre, je suis membre de certaines  organisations de la société civile  notamment l’Observatoire des Droits humains et de la Paix (ODHP-Mali) que je préside. Enfin, j’ai réalisé de nombreuses études et  des travaux de consultations pour le compte des organisations internationales, régionales et nationales.

 

A Bengaly

Quel regard portez-vous sur la situation actuelle du Nord ?

Depuis mars 2012, nous assistons impuissants à la partition de notre pays. En moins de trois jours, les groupes armés ont pris possession des 2/3 de notre territoire coupant le pays en deux parties. Cette situation est très grave et constitue une atteinte à l’intégrité territoriale et à la souveraineté de notre pays.

En procédant ainsi, les groupes armés ont déclaré la guerre à l’Etat du Mali. Ce qui est inacceptable, c’est l’état des populations des trois régions du nord qui vivent un désastre humanitaire sans précédent avec son cortège de  violations graves et massives des droits humains fondamentaux : viols, meurtres, assassinats, privation des libertés , enrôlement des enfants dans les groupes armés, pillage des biens de l’Etat, atteintes aux biens privés,  culturels et religieux etc.

En plus de ces crimes contre l’humanité , nous assistons depuis quelques jours  à des actes de violence gratuits et d’intolérance , par la destruction délibérée  des  mausolées de certains des 333 saints vénérés de la ville sainte de Tombouctou  par des  groupes armés terroristes. La violation systématique de ces lieux de recueillement et de prières, qui représentent depuis des siècles une partie de l’âme de cette prestigieuse cité sainte, constitue une atteinte grave à la liberté religieuse, un crime de guerre. L’absence de l’Etat et de l’administration renforce le sentiment d’abandon chez les populations.

 

Quelles solutions proposez-vous pour la résolution de cette crise ?

La résolution de la crise actuelle nécessite  une union sacrée au sud pour faire face à la crise au nord. Le Mali est en état de siège. Il faut qu’on en prenne conscience et agir en conséquence. Tant que le sud ne mette pas fin à ses incompréhensions  qui  nous fragilisent d’avantage, la crise au nord ne pourra être résolue. Il faut un pacte national entre les  forces vives de la nation. Avant  les événements de Gao, on pouvait privilégier la voie du dialogue. Présentement la situation a changé. Ce n’est plus le MNLA qui est l’interlocuteur désigné. Mais on se trouve  maintenant face aux groupes islamistes et aux terroristes qui ont des revendications différentes de celles du MNLA.

Même si à tort ou à raison  on soutient que  la solution est principalement « malienne » mais, il faut nécessairement l’appui de la communauté régionale et internationale. Il est indéniable aujourd’hui  que le Mali seul ne peut plus se sauver à cause de l’invasion actuelle.

 

Quels doivent être selon vous les rôles des institutions africaines et de la communauté internationale dans cette crise ?

A l’analyse,  la crise au nord revêt un caractère international à cause de la nature des actes qui sont produits dans les  régions occupées. Aussi faut-il le rappeler la plupart de ces actes sont des « crimes internationaux » (crime contre l’humanité et crime de guerre…). Le Mali est un Etat partie à de nombreux accords  régionaux et internationaux. A ce titre, notre pays est régi non seulement par le droit international mais aussi par  le droit communautaire. La communauté internationale a « la responsabilité de protéger » les populations maliennes.  Les Nations Unies  doivent tout mettre en œuvre pour  le rétablissement de la paix au Mali conformément aux dispositions de la Charte (le chapitre VII).

L’Union Africaine a « l’obligation d’assister » notre pays qui est membre de l’organisation panafricaine depuis sa création. Celle-ci doit  l’assister conformément aux dispositions de la Charte de l’Union et celle de la Charte africaine de la démocratie des élections et de la bonne gouvernance.

La CEDEAO a l’obligation morale de s’impliquer activement  à la résolution de la crise malienne conformément  aux instruments juridiques pertinents qui régissent l’organisation communautaire (Traité et protocoles)

Toutes ces institutions et organisations internationale, régionale et communautaire doivent se mettre ensemble pour une intervention humanitaire et militaire. Dans cette perspective, Il appartient aux Nations Unies à travers le Conseil de sécurité de prendre une résolution sur le Mali. Mais il incombe à la CEDEAO en rapport avec l’Union africaine de préparer un plan urgent  d’intervention humanitaire et militaire au Mali.

 

5°) Vos impressions sur le gouvernement actuel et les différents actes qu’il a eu à poser depuis sa prise de fonction ?

Le Gouvernement actuel hérite d’une situation très complexe. Mais son problème réside dans sa conception. La structuration des départements ministériels a rendu la machine administrative très lourde. En plus de cette considération technique, s’ajoute une autre d’ordre politique. N’oublions pas que le Gouvernement est une institution politique. Selon certains observateurs, le Gouvernement actuel qui tire sa légitimité de l’accord-cadre aurait du respecter une disposition majeure de ce texte à savoir la mise en place d’un gouvernement constitué de personnalités issues des formations politiques représentées à l’Assemblée nationale,  des technocrates issue de la société civile auxquels pouvaient être associés des personnalités proposées par le CNRDRE.

Le Gouvernement souffre actuellement de deux facteurs : d’une part,  l’absence d’une feuille de route de la transition ou d’une politique générale ; ce qui rend encore ardue sa tâche et explique son agissement par improvisation ; d’autre part, il  manque de soutien politique ce qui contribue à l’affaiblir.  A ces facteurs internes,  s’ajoute la suspension de l’aide accordée  par certains partenaires techniques et financiers dont la plupart  réclament un gouvernement  représentatif c’est-à-dire constitué des composantes  de la société malienne.

A notre avis, le retour à une vie constitutionnelle normale, avec l’implication des partis politiques et des organisations de  la société civile, pourront  favoriser la sortie du pays de l’impasse actuelle et faire face aux défis de développement.

 

Le statut d’ancien chef d’Etat proposé et arraché au capitaine Sanogo est-il légitime : c’était une stratégie ou une réelle volonté politique ?

La proposition du statut d’ancien chef d’Etat a été faite au cours d’une négociation entre la CEDEAO et le CNRDRE. A l’époque l’objectif recherché était de trouver une issue favorable à l’impasse en vue du démarrage de la période transitoire. Sous cet angle, on peut considérer que c’était une stratégie. Cependant, si l’on veut ramener la question sous l’angle de la volonté politique cela suppose de notre point de vue l’adhésion du peuple à cette décision.

Récemment, lors de son 41e  sommet, la CEDEAO a exprimé sa non-reconnaissance du statut d’ancien chef d’Etat accordé au capitaine Sanogo. Cette attitude de la CEDEAO qui était partie prenante à la négociation parait incompréhensible. Qui a alors conféré le statut d’ancien chef d’Etat au capitaine Sanogo ?

 

Quelles sont impressions sur la classe politique, la société civile et les institutions…du coup d’état du 22 mars à nos jours ?

Du 22 mars à nos jours, les institutions, la classe politique et la société civile ont été fragilisées à cause des divergences. Ce qui ne favorise pas le règlement de la crise actuelle. La classe politique est divisée à cause des considérations personnelles voire mineures. Ce qui est regrettable aujourd’hui, les forces vives du Mali n’arrivent pas à s’entendre sur l’essentiel : l’unité nationale. Sans unité nationale, on ne peut recouvrer l’intégrité territoriale ni retrouver la paix.  Il sera difficile de sortir de cette situation tant que les maliens ne parlent pas le même langage. Il faut dépasser les mots et les discours et passer aux actes concrets : « aller ensemble en concentrant les efforts sur la libération des régions du nord puis entreprendre l’organisation d’élections libres fiables et transparentes pour le retour effectif à la démocratie constitutionnelle ».

 

Quelle (s) analyse (s) faites-vous sur la situation actuelle du Mali sur les plans politique, économique, social, culturel et démocratique ?

Le Mali traverse actuellement une triple crise : institutionnelle, sécuritaire et humanitaire. Les organes de transition n’arrivent pas à fonctionner normalement à cause de multiples facteurs notamment  la division au sein de la classe  politique et la difficulté de hiérarchiser les priorités actuelles. L’argument mis en avant est le non respect de certaines dispositions de l’accord-cadre notamment celles relatives à la mise en place d’un gouvernement d’union nationale.

La  crise politique actuelle génère des conséquences sur le plan économique où on assiste à une baise de la production et de la productivité, ce qui explique la situation sociale caractérisée par la baisse du pouvoir d’achat des citoyens et une inquiétude profonde quant à la capacité de l’Etat à payer les fonctionnaires dans les jours à venir.

Sur le plan culturel, on note une diminution importante des activités dans les domaines artistiques, culturels et touristiques. La destruction des biens culturels et religieux rend la situation encore plus difficile.

A côté de ces difficultés structurelles et conjoncturelles, persistent des problèmes sécuritaires et humanitaires. Les populations vivent dans l’insécurité et éprouvent un réel besoin d’assistance humanitaire tant au nord qu’au sud. Les populations des régions du nord et les déplacés des régions du nord qui sont installées au sud ont besoin des vivres, des matériels de première nécessité et  des médicaments.

Enfin, la démocratie constitutionnelle n’est pas totalement rétablie même s’il y a eu une avancée : le retour à l’ordre constitutionnel. Le fonctionnement des institutions suivant les principes constitutionnels et démocratiques (séparation des pouvoirs, effectivités des droits de l’homme ….), la participation des  partis politiques  à la vie politique et la réédition  de la gestion des affaires publiques aux citoyens sont entre autres les conditions minima  pour une vie  démocratique au Mali. Mais il faut au préalable recouvrer l’intégrité du territoire.

Quelles sont vos impressions sur le journal ‘’Le Flambeau’’ ?

Je voudrais saisir l’occasion que vous m’offrez pour rendre hommage aux jeunes (étudiants à l’époque) qui ont eu le courage de créer le journal : « le Flambeau ». Cet acte hautement patriotique est à saluer et à encourager par tout  citoyen malien soucieux du devenir de notre Université. Personnellement, j’ai suivi  l’évolution du « Flambeau » depuis sa création jusqu’à nos jours (je suis un abonné). J’avoue que c’est une ascension fulgurante à cause de sa contribution significative à l’information, la sensibilisation et la formation des étudiants, des enseignants et du public.

Le « Flambeau » est un étendard qui grâce à son sérieux et le  professionnalisme qui caractérise son équipe a pu s’imposer sur la scène nationale comme un organe de presse respecté. Ce qui le confère une crédibilité  au plan national et régional. Incontestablement, c’est le flambeau de l’espoir et de l’espérance pour les générations présentes et futures.

 

Quel message, en guise de dernier mot, souhaiteriez-vous adresser à l’ensemble du peuple malien à travers cet entretien ?

Le message que je voudrais adresser au peuple malien est un appel à l’union  nationale. C’est la condition sine qua non pour sauver le Mali.

 

Entretien réalisé par

Idrissa Kantao & Hamady Diallo

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4 COMMENTAIRES

  1. j’ai connu cet homme quand il etait chez l mediateur de la republique. C’est un tres grand travailleur. Tres serieux, brave et genereux

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