Entretien exclusif avec Amadou Ba à propos du bras de fer autour de la présidence de la CENI : – “J’ai saisi le Procureur pour que ceux qui ont vandalisé mon bureau rendent compte” “La tension de la trésorerie s’explique par le fait que nous sommes à l’attente des fonds promis par le ministère des Finances”

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A la Ceni, le bras de fer continu entre Amadou Ba qui a été élu en 2017 et certains commissaires qui disent ne plus reconnaitre son autorité à la tête de cette institution. Afin d’en savoir davantage sur cette affaire, nous avons échangé le lundi dernier avec M. Bah au 2è étage du bâtiment de la Ceni à l’Aci 2000. Même s’il affirme être choqué par le fait que son bureau a été vandalisé par ceux qu’ils qualifient de frondeur, c’est un Monsieur déterminé et qui tient à son poste de président que nous avons d’ailleurs rencontré dans le bureau avec la mention “Président”. Ce, après avoir monté patte blanche à deux postes de sécurité pour avoir accès à lui.

Aujourd’hui Mali : Comment se porte la Ceni aujourd’hui ?

Amadou Bah : Tout le monde connait la réalité que vit aujourd’hui la Ceni, ce n’est pas une situation reluisante car nous sommes en train de défrayer la chronique au niveau de la presse nationale et internationale. Ce n’est pas une bonne image pour la Ceni, ni pour notre pays. Certains membres de la cette institution dont le questeur et moi, sont de nos jours victimes de lynchage médiatique. Ce sont des problèmes qu’on pouvait régler à l’interne au lieu de les mettre sur la place publique car mon souci a été toujours de préserver l’image de cette institution.

Beaucoup de tensions semblent fragiliser la cohésion au sein de cette institution, quel est le fond du problème ?

J’ai naïvement cru que les hommes en se parlant pouvaient se comprendre et les hommes à qui on a confié des responsabilités pouvaient laisser de côté leur égo, leur ambition personnelle, pour aller à l’essentiel.

A titre de rappel, la Ceni a été mise en place en avril 2017, on a souhaité mettre sur place un bureau consensuel, à défaut, comme le stipule la loi, on procède au vote à bulletin secret. Comme on n’a pas pu avoir un bureau consensuel pour la simple raison qu’il y avait deux candidats pour tous les postes y compris le poste de président, nous sommes passés au vote. Pour le poste de président, il y avait deux candidats. Moi je représentais le Syndicat autonome de la magistrature (SAM) et Maitre Issiaka Sanogo représentait le Barreau. Au terme du processus, j’ai été élu et ainsi nous avons mis en place le reste du bureau.

Mais malheureusement, certains n’ont pas jusqu’à présent tourné la page de l’élection. Car depuis que j’ai été élu, nous avons vécu des épreuves. J’ai été l’objet de beaucoup de critiques. Je vous rappelle également, que lorsque j’ai été aussi élu à la Ceni, au même moment, j’ai été nommé conseiller à la Cour suprême car je suis magistrat de grade exceptionnel depuis 15 ans, j’ai fait 12 ans à la Cour d’Appel de Bamako. Donc ma nomination à la Cour suprême, c’est l’aboutissement d’une longue carrière. Aussitôt ma nomination à la Cour suprême, certains commissaires m’ont demandé de démissionner de la Ceni avec pour prétexte que je ne peux être en même temps à la Cour suprême et être président de la Ceni. Je leur ai fait savoir qu’il n’ya pas d’incompatibilité dans ce sens que je suis à la section judiciaire qui n’a rien à voir avec les élections. Aussi ceux qui ont signé mon décret de nomination, ce sont des gens avertis, s’il y avait incompatibilité, ils n’auront pas agi de la sorte. Mais j’ai vu que certains insistaient en réclamant ma démission. C’est dans cette optique que le représentant du Rpm à la Ceni, qui s’appelle Evaris, avec un autre petit parti dont je ne connais même pas le nom, même si j’ai du respect pour tous les partis politiques, ont saisi la Cour suprême pour l’annulation de mon décret de nomination à la Ceni. La Cour a rendu deux arrêts. Dans le premier, elle a dit qu’il n’y a pas d’incompatibilité et le second était relatif au délai de contestation de nomination au niveau de la Ceni qui était aussi forclos.  Evaris n’a pas toujours baissé les bras, il est parti en révision, il a perdu à ce niveau aussi.

Mais malgré tout cet acharnement, je n’ai jamais fait de reproche à Evaris car, pour moi, c’est son droit le plus absolu. Mais après tout ce feuilleton judiciaire, j’ai invité les uns et les autres à l’union afin de faire face aux défis qui nous attendent, notamment le scrutin. Cependant, à ma grande surprise, un mois seulement avant l’élection, ils ont tenu une réunion pour demander ma démission avec pour motif que  que je suis un membre de l’opposition et que je suis capable d’inverser le résultat au cas où IBK gagnerait le scrutin. Je leur ai dit que leur argument n’a aucune base juridique.

J’ai dit que ce n’est pas à un mois des élections qu’il faut déstabiliser la Ceni pour des raisons personnelles. J’ai travaillé pendant 34 ans, je connais l’Etat et l’administration, je ne me laisse pas divertir par des choses comme cela. Je leur ai dit qu’il est temps qu’on se focalise sur le scrutin car nous sommes en mission pour cela. Et il y a eu plusieurs Ceni avant nous, aucune d’entre elle n’a connu un problème pareil.

Vos détracteurs vous accusent d’indiscipline budgétaire, que répondez-vous ?

C’est des faux-fuyants ! Une mission d’audit du ministère des Finances est venue récemment pour auditer les comptes des fonds que nous avons reçus lors des élections, j’ai fait savoir à la mission que je voyage et que je devais être opéré depuis le mois d’avril.  Cependant avec l’organisation des élections, la date de mon opération a été repoussée avant le 15 septembre. Donc J’ai appelé le premier vice-président et le questeur pour leur dire de faciliter, avec les commissaires, la mission des inspecteurs du ministère des Finances. Cela, afin de mettre à leur disposition tous les éléments nécessaires, notamment des justificatifs. Cependant, quand je suis parti en France pour mon opération, certains commissaires ont refusé qu’on fouille dans leur gestion. Ils sont partis jusqu’à dire de chasser les inspecteurs pour la simple raison que la Ceni remet son rapport moral et financier au président de la République et non à un inspecteur du ministère des Finances. Je leur ai fait savoir que je ne suis pas dans cette logique que nous avions l’obligation de rendre compte d’autant plus que nous avons reçu l’argent public.

En partant sur le terrain de la transparence, certains ont pensé que je n’ai pas été solidaire avec eux, ils ont à cet effet mis sur place une commission pour, disent-ils, auditer ma gestion et celle du questeur. J’étais étonné par cette démarche car pourquoi mettre en place une autre commission tandis que les auditeurs du Ministère sont là pour la même cause ? Qu’est-ce que cette commission sera en mesure de découvrir qui va échapper à la vigilance des inspecteurs. Ils ont dit non. Ils ont mis en place cette commission Adhoc pour traduire le président devant le Conseil de discipline. Même avec cette formule, ils n’ont pas raison car dans notre manuel de procédure, il y a déjà une commission de contrôle interne constituée de Mme Diané, Mamadou Maïga et Massa Sogoba.  Malgré tout, ils ont mis en place cette commission, présidée par Me Issiaka Sanogo. C’est suite à cela qu’ils se sont réunis, semble-t-il, pour me destituer. Je n’étais même pas informé. C’est une autorité qui m’a appelé la nuit pour m’informer qu’ils sont venus déposer un communiqué à l’Ortm, parlant de ma destitution et le retrait de mes responsabilités. Un communiqué qui n’a pas été diffusé car officiellement je suis toujours le président de la Ceni.

Cependant, ceux qui crient à l’indiscipline budgétaire ont refusé de justifier aux inspecteurs du Ministère des Finances les fonds qu’ils ont reçus durant les élections. Les inspecteurs ont eu surtout des problèmes avec les 4 commissaires qui sont les principaux frondeurs. Notamment Me Sanogo qui n’a pas pu justifier les 210 millions Fcfa qu’il a reçus pour la région de Sikasso. Moriba Diallo a reçu 140 millions Fcfa, il n’a justifié que 3 millions Fcfa, sur les 100 millions que Abba a reçu pour Tombouctou il n’a pas été lui aussi en mesure de justifier ces ressources…

Il semblerait qu’il y a eu une bagarre dans votre bureau. Est-ce vrai ?

C’est vrai, nous avons reçu une mission de l’Union européenne pour la remise d’un rapport. J’ai dit au vice-président d’informer tous les commissaires pour la réunion qui devrait se tenir à 15 h 30 dans la salle de conférence de l’institution. Mais, comme ils sont dans une dynamique de provocation, à l’heure de la rencontre avec les partenaires de l’Ue, ils ont investi la salle de conférence pour une autre réunion.  J’ai demandé alors d’installer des chaises dans mon bureau pour la tenue de la rencontre avec la délégation de l’Ue.  Ils sont venus dans mon bureau, l’Ortm était là aussi. L’adjointe de Cecile Kengué, Marie Violette, a posé beaucoup de questions sur le processus électoral. Elle m’a demandé aussi qu’elle a lu la presse et qu’il y a un problème ici entre nous. J’ai aussitôt répliqué que c’est un problème interne qu’on va régler ça en famille.

Aussitôt, les frondeurs se sont levés pour dire que je ne suis plus le président, que j’ai été déchu de mon poste. L’audience a pris fin à avec cet incident. Je suis parti les accompagner sur le perron. Après l’audience, l’Ortm a voulu faire mon interview dans mon bureau. C’est en pleine interview que j’entends un bruit assourdissant dans le couloir. Arrivé au niveau de la porte, j’entends dire ouvrez ! Ouvrez ! Le temps que j’ouvre la porte pour savoir de quoi il s’agit, les vitres de ma porte ont volé en éclats. Ils ont cassé les vitres de ma porte et fait irruption dans mon bureau, déversé des insanités sur ma personne durant une heure.  Jusqu’à présent, je n’arrive pas à comprendre comment des gens qui sont à des postes de responsabilité élevée peuvent-ils agir de la sorte.

Nous avons également appris sur les réseaux sociaux que vous êtes prêts à dévoiler des secrets sur le déroulement de l’élection présidentielle. Est-ce vrai ?

Quel secret moi j’ai à dévoiler sur les élections. Ce n’est pas moi qui proclame les résultats. Qu’est ce que j’ai à dire maintenant que je n’aurai pas dû dire auparavant.  C’est de l’intox pur.

On dit qu’il y a une tension de trésorerie à la Ceni et que certains de vos démembrements sont à 4 mois sans salaire. Qu’est ce qui justifie cela ?

Tension de trésorerie, c’est vrai, je suis d’accord. Mais c’est arrivé comment. Nous avons acquis des véhicules en 2017 sur appels d’offres de la Direction générale des marchés publics.  Nous, on ne peut même pas monter un marché, tout notre budget est logé au ministère de l’Administration territoriale, c’est de là-bas que les marchés sont montés. Nous, nous payons les fournisseurs, mais on ne monte pas le marché. Ainsi, au terme du processus de sélection, un fournisseur a été désigné.  Celui-ci a eu le marché des 17 véhicules, le contrat stipulait qu’on doit lui payer les 30% du montant total du véhicule aussitôt après livraison. Chose qui a été faite et le reste de l’argent devrait être payé dans les deux mois à venir.

Cependant, lorsqu’il a livré des véhicules, c’était sans plaque et les gens ont dit que lorsque nous sortirons avec ces voitures on risque d’avoir des problèmes avec la police. Donc nous avons dit au fournisseur de nous remettre les plaques des véhicules. Lui aussi n’a pas accepté avec pour argument qu’il n’a pas reçu le reste de son argent à la date indiquée. Comme on était en fin d’année, le Ministère des Finances a suggéré à ce qu’il accepte que le reste de son argent soit pris en compte dans le budget de 2018. Le ministre des Finances a pris un arrêté dans ce sens.

Entre temps, le gouvernement avait prévu pour les élections régionales et des partiels, un budget de 1 milliard 8 pour la Ceni. Comme les élections n’ont pas eu lieu, ce montant était bloqué au Trésor.  En 2018, lorsque nous avons présenté notre budget, pour les premiers mois de l’année nous avons eu des difficultés, la Direction du budget a alors viré dans notre compte le budget prévu pour les régionales, en attendant qu’on rentre en possession de notre budget de fonctionnement. Cet argent viré dans notre compte était destiné à la prise en charge des indemnités et le fonctionnement pour une bonne partie de l’année 2018.  Avec ces sous, le questeur a dit que nous avons mis dans notre budget 2018 le reliquat du véhicule. Comme nous avons de l’argent dans notre compte et que nous sommes en début d’année, est-ce qu’il n’est pas mieux de payer au fournisseur son reliquat afin que les véhicules soient régularisés. Et le jour où l’Etat va mettre cet argent en place, cela va servir à payer les indemnités.

L’affaire a été débattue en plénière, la proposition a été adoptée. Un ordre de virement a été fait dans ce sens. Mais à la date d’aujourd’hui, le Ministère des Finances ne nous pas versé l’argent qui devrait servir à payer le reste du fournisseur. C’est ce qui a crée aujourd’hui cette tension de tresorerie.

Avec  cette dissidence interne, peut-on attendre grand-chose de cette Ceni-là ?

Je ne dirais pas que c’est une tempête dans un verre d’eau, je ne minimise pas la crise, elle est profonde. Cependant, on ne peut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Il y a des actes qui ont été posés qui sont contraires à nos textes, ce sont les frondeurs qui doivent plutôt passer devant le conseil de discipline pour avoir violé les textes de la Ceni.  J’ai dit à tout le monde, j’ai été toujours dans une dynamique d’apaisement. Mais du moment où ils sont venus vandaliser mon bureau, j’ai dit que ce n’est plus moi, ma personne, mais plutôt l’image du pays et de l’institution qui doit être préservée. C’est pourquoi j’ai saisi le Procureur pour enquêter sur ce qui s’est passé. Pas parce qu’ils ont mis en place un bureau ou qu’ils ont fait une plénière, non ! Mais sur les actions de violence qu’ils ont posées ici et qui ne peuvent être tolérées. C’est pourquoi, après avoir saisi le Procureur, j’ai rendu compte au ministre et au Premier ministre. Ceux qui sont responsables de ces actes de violence, notamment en vandalisant mon bureau, doivent rendre compte. Il faut sévir sur ceux qui ont violé délibérément nos textes. Regardez surtout le cas de Maitre Sanogo, qui voulait que coute que coute être président de la Ceni, lorsqu’il a échoué par la voie légale, il veut devenir président par effraction. Par contre, ici, il y a des gens qui ont travaillé dans la loyauté. Et la Ceni, en un mot, n’a pas démérité dans l’organisation des élections. Ce n’est pas ce sort et cette image que nous méritons.

        Réalisé par Kassoum THERA

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