Entretien avec le Pr Younouss Hameye Dicko à propos de la réforme constitutionnelle: «C’est un projet voulu par quelques-uns, et quelques autres n’en veulent pas»

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Après l’adoption par l’Assemblée nationale de la loi portant révision de la Constitution du 25 février, nous avons sollicité une interview auprès du Président du Rassemblement pour le Développement et la Solidarité (RDS), le Professeur Younouss Hameye Dicko, non moins porte-parole des 43 partis qui militent pour un fichier électoral biométrique. Il nous parle donc du fichier électoral, du référendum et de la révision de la Constitution. Sur ce plan, le Président du RDS a été on ne peut plus critique. Il pense même que le peuple malien a été trahi par les auteurs de ce texte.

22 Septembre: Professeur, vous êtes le porte-parole des 43 partis politiques qui revendiquent un fichier électoral biométrique. Manifestement, le gouvernement ne veut pas aller dans votre logique. Qu’en dites-vous?
Younouss Hamey Dicko: Je suis effectivement le porte-parole de 43 partis politiques qui militent pour un fichier électoral biométrique fiable et consensuel. Mais je parle principalement au nom du Rassemblement pour le développement et la solidarité (RDS). Effectivement, le gouvernement ne souhaite pas aller dans le sens du fichier fiable que nous recherchons. Ce que nous ferons, en tant que responsables, c’est de continuer la bataille jusqu’à ce qu’un fichier fiable soit trouvé. Nous avons l’impression que le gouvernement, ayant trouvé le mot consensuel (fichier électoral consensuel), a cru qu’on pouvait faire n’importe quoi, qu’il suffit que ce soit consensuel pour les méthodes qu’on connaît. Donc nous, en tant que responsables politiques, nous voulons un fichier électoral consensuel, mais sur des bases saines, sur un travail intelligent, correct. Je ne pense pas que le mot consensuel signifie qu’on peut tout faire. Nous lutterons jusqu’à obtenir un fichier électoral fiable. Nous en avons les moyens et les capacités de réflexion et de proposition. En réalité, il n’y a pas de raison de se disputer, ce qui n’est pas bon est visible. On ne peut pas s’engager délibérément dans une voie trompeuse. Peut-être que l’on peut en tromper quelques-uns, mais on ne peut pas tromper tout le monde. De toute façon, les résultats de l’élection montreront qu’on est parti sur une mauvaise piste. Les propositions que nous faisons ne sont retenues ni par le MATCL, ni par la DGE dans la conception du nouveau fichier. On nous a fait croire que ce que nous proposons est pareil que ce qu’ils ont exposé. Mais, dans ce cas, il n’y a qu’à prendre ce que nous proposons et laisser le reste. Ce qu’ils ont, c’est très différent de ce que nous avons.  Il nous faut un fichier fiable pour organiser les élections générales de 2012. C’est cela notre combat.

22 Septembre: Est-il  possible d’avoir le fichier électoral consensuel prôné par le gouvernement avant la fin de l’année pour organiser le référendum annoncé par Koulouba?

Younouss Hameye Dicko: Le référendum est un autre combat.  Il est autre chose que ce que nous souhaitons. Nous n’avons jamais souhaité un référendum dans la période qui nous sépare des élections générales. Mais, ce que je pense personnellement, qui n’engage que moi, est que je ne vois pas comment on peut faire le référendum sans un fichier fiable. Je ne vois pas comment on peut organiser une élection quelconque sans identifier les électeurs. Donc, il faut construire le fichier et il faut qu’il soit fiable. Parce que, concernant les délais constitutionnels, qu’est ce qu’on nous dit? «Si vous voulez que je sois dans les délais constitutionnels, je fais n’importe quoi». Nous ne sommes pas d’accord avec cela. Ce que nous exigeons, c’est qu’il y ait un fichier électoral fiable et que les élections soient faites dans les délais. Ce sont des exigences  sur lesquelles nous n’accepterons pas de négociations. On ne  négocie pas la fiabilité de la qualité du fichier, parce que, sans cela, les délais ça signifie quoi ? Tu vas faire les élections dans les délais et il y aura des troubles après. Tu ne vas même pas finir avec les élections que des troubles vont survenir, avant même que tu ne quittes tes fonctions. Ou alors on pense que le peuple malien n’est pas capable de réaction par rapport à ce qu’il n’aime pas. C’est une erreur. Mais je crois qu’il faut que le fichier soit fiable et que les élections aient lieu dans les délais. Les élections démarrent en avril 2012, il faut que tout soit prêt d’ici février à mars.

22 Septembre: Est-il opportun d’organiser ce référendum?
Younouss Hameye Dicko: Opportun ou pas, ce qui est sûr c’est qu’on ne voit pas de distance, entre le moment où nous sommes et les élections générales de 2012, pour tenir un référendum, c’est-à-dire pouvoir obtenir un changement de constitution. Parce qu’avec le référendum c’est une nouvelle constitution que nous allons avoir. On a beau dire, c’est une nouvelle constitution et une nouvelle république. Il ne faut pas confondre les élections et le référendum de 1992 avec celui-là. Il a été préparé à l’avance. Toutes les discussions, toutes les validations et tous les ateliers avaient eu lieu et ont abouti à la Conférence nationale, dont les textes sont sortis. Il y avait suffisamment de temps. Chacun avait eu connaissance de la Constitution avant même qu’on ne passe au référendum. Celle-là, personne ne sait ce qu’il va en faire. On ne sait même pas ce qu’il y a là dedans, sauf quelques initiés. C’est un projet voulu par quelques-uns et quelques autres n’en veulent pas. La constitution de 1992 est un projet voulu par le peuple et la nation entière  et adopté par le peuple dans son ensemble au Palais de la culture. Donc, tout le monde était parti voter la constitution avec plaisir et enthousiasme. C’est le plus fort taux de participation à des élections qu’on ait obtenu à nos jours. Je ne parle pas d’opportunité, parce qu’il n’y a même pas de temps pour ça. Parce qu’opportunité peut signifier avoir un jugement de valeur sur la constitution ou aussi qu’on n’a pas le temps de le faire. Deuxièmement, le contenu est à revoir.

22 Septembre: Votre parti, le RDS, va-t-il appeler à voter pour ou contre au référendum?
Younouss Hameye Dicko
: Le moment n’est pas à voter pour ou contre. Le moment est au débat. Nous souhaitons que ce texte soit revu, nous avons fait suffisamment de propositions pour cela. Le moment venu, on se prononcera.

22 Septembre: Parlons maintenant de la loi constitutionnelle. Les amendements apportés par les députés vous ont-ils satisfait?   
Younouss Hameye Dicko : Il n’y a pas eu d’amendements. Je respecte les députés et l’Assemblée nationale, mais il ne faut pas qu’ils jettent la poudre aux yeux des gens. Il y a eu, comme je l’ai dit, un effet d’écriture. C’est-à-dire que vous prenez un article, vous le saupoudrez, vous changez une virgule, vous mettez des points virgules. L’idée est toujours contenue dans l’article. Donc il n’y a pas eu un seul amendement digne de ce nom sur les 28. C’est même ridicule, parce que ce sont des intellectuels qui se permettent de jouer comme ça. Mais ils se trompent eux-mêmes. Ils ne trompent personne. Lorsque l’on voit la discrimination dans la Constitution, ils ont dit toutes les catégories défavorisées. Mais les femmes ne sont pas défavorisées dans ce pays. Le Premier ministre est une femme, il y a des femmes qui sont ministres et il y en a à l’Assemblée nationale. Ce qu’on croit viser dans la constitution, on peut le faire par voie règlementaire. C’est ce qu’on a déjà fait au niveau des partis politiques. On a mis dans cette constitution que toutes les langues nationales seront officielles. Vous savez ce que cela va amener dans les esprits qui veulent rompre la cohésion nationale. Les dégâts que cela va causer politiquement, économiquement et socialement. Est-ce qu’on a mesuré tout ça? Moi je suis content que toutes les langues nationales soient officielles. Mais il faut  des mesures d’accompagnement. On a au moins 12 langues nationales. Comment allons-nous gérer tout ça ? Imaginez les gens qui sont dans les communes, ils se réveillent demain et demandent à leur maire d’établir un acte de naissance dans leur langue nationale. Et le maire est tenu de le faire. Le sous-préfet qui est là est tenu de parler la langue locale. Cela veut dire que nous ne pouvons plus envoyer nos cadres à l’intérieur pour exercer le pouvoir d’Etat. Nous sommes un Etat fragile, nous avons besoin de cohésion nationale et d’unité. Donc il faut réfléchir avant de balancer n’importe quoi dans une constitution. Il faut voir le cas de Kouroukan fouga. C’est très beau, peut-être, mais est-ce que on peut dire que tous les Maliens sont déterminés à défendre ce qui a été écrit à Kouroukan fouga, avec tous les empires et les royaumes que nous avons eus, tellement différents mais ayant des valeurs fondamentales qui sont aussi valables les unes que les autres? Il y a des valeurs que tous les Maliens ne partagent pas. C’est des choses qui n’ont rien à voir dans une constitution. Elles peuvent être enseignées dans nos cours d’histoire. Il y a un tas de chose qu’on a fourré là dedans. Chacun est venu chercher sa dernière chance, en se disant que le président actuel peut la faire adopter. Il va le faire, mais le Mali va rester et va faire face aux problèmes dans l’avenir. Cette constitution est une dictature, ce n’est pas la démocratie. C’est un texte qu’il faut revoir et adapter à notre espérance. Le plus c’est d’avoir changé le préambule de notre constitution et de nommer le président de la Cour constitutionnelle. C’est ce que je considère comme une trahison du peuple. On nous a trahi. Les idéaux dans le préambule de la constitution de 1992 ont été édulcorés, amoindris et banalisés, à cause de l’introduction de certaines notions. Et on dit qu’on ne change pas de République. La République, c’est le préambule. Quand on change de préambule, on change de République. Tout notre cœur était dans le préambule de 1992.

On a concentré tous les pouvoirs entre les mains du président de la République, au point qu’on se demande si on pourra nommer des chefs de division sans son aval. C’est une constitution extrêmement conflictuelle, qui peut avoir pour conséquence de rompre la cohésion nationale. Nous sommes désolés que l’Assemblée nationale ait voté cette constitution en désaccord avec le peuple malien. 90% de ceux qui ont été interrogés par l’Assemblée nationale ont désapprouvé le texte  et elle n’en a cure. Elle est allée rédiger et réécrire des articles. Ce n’est pas pour cela qu’elle est là.

22 Septembre: Nous sommes à quelques encablures des élections générales de 2012. Votre parti aura-t-il son candidat à la présidentielle ou soutiendra-t-il le candidat d’une autre formation politique?
Younouss Hameye Dicko: Nous sommes un parti souverain. Le moment venu, nous allons dire si nous présenterons un candidat ou si nous souhaitons entrer dans une coalition pour faire élire un candidat. Mais soutenir le candidat d’un autre parti, ce n’est pas notre esprit. Nous soutiendrons un candidat qui a le même esprit que nous. Je ne vois pas le RDS soutenir un candidat qui va continuer à maltraiter l’enseignement supérieur, comme c’est le cas maintenant. Parce que l’avenir de ce pays, c’est l’éducation et la recherche scientifique et le secteur a été totalement détruit ces dernières années. On n’a jamais su pourquoi on n’arrive pas à trouver la solution pour ce secteur. Même si nous devons soutenir un paysan, ce ne sera pas quelqu’un qui ne va pas nous donner des gages sur la réorganisation et la renaissance de l’enseignement supérieur.

22 Septembre: Avez-vous autre chose à ajouter?
Younouss Hameye Dicko: Je finirai en lançant un appel aux uns et autres pour que les élections de 2012 soient des élections apaisées et crédibles. Que l’homme ou la femme qui sera élu à la tête de l’Etat ou à l’Assemblée nationale soient des hommes et des femmes acceptés par tout le monde et par leur adversaire au moment de la compétition. Notre pays a cette chance d’avoir été une vieille nation et, à ce titre, nous devons sauvegarder notre identité nationale et éviter tout ce qui est violent. Pour cela, il me parait important d’obtenir l’implication personnelle du chef de l’Etat pour qu’il y ait un fichier fiable pour mener à  des élections apaisées. Beaucoup de sirènes sont autour de lui, qui lui chantent autre chose. Mais c’est une erreur. Nous, qui sommes ses vrais amis, nous lui demandons de s’impliquer personnellement pour qu’il y ait des élections dans la paix.
Interview réalisée par Youssouf Diallo  

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