L’Union internationale des magistrats (U.I.M) a tenu du 14 au 18 octobre sa 61ème rencontre annuelle à Marrakech au Maroc. Ayant pris part à la rencontre, le Procureur de la République près le tribunal de la commune IV, Dramane Diarra, nous donne les détails sur les grandes lignes de l’UIM.
Bonjour Monsieur le Procureur de la République près le Tribunal de la Commune IV. Vous étiez à la rencontre du Groupe africain de l’Union internationale des magistrats au Maroc. Pouvez-vous nous en parler davantage ?
Dramane Diarra : Oui. En effet, j’étais, en qualité de Secrétaire aux relations extérieures du Syndicat autonome de la magistrature (S.A.M), dans la délégation malienne de deux personnes, qui a participé à la 61ème rencontre annuelle de l’Union internationale des magistrats, tenue du 14 au 18 octobre 2018, à Marrakech, au Maroc. L’Union internationale des magistrats, fondée en 1953 à Salzbourg (Autruche), est une organisation internationale professionnelle apolitique, qui regroupe les associations nationales ou syndicats nationaux de magistrats du monde entier. Elle compte, à ce jour, 90 Etats repartis sur les 5 continents.
L’U.I.M a le statut d’observateur auprès des Nations unies (Conseil économique et social et Bureau international du travail) et auprès du Conseil de l’Europe. Son but principal est la sauvegarde de l’indépendance du pouvoir judiciaire, condition essentielle de la fonction juridictionnelle et garantie des droits et libertés de l’homme. Chaque année, l’U.I.M organise un congrès (réunion annuelle) dans un pays membre, au cours duquel, des thèmes d’actualité en rapport avec la magistrature, considérés du point de vue comparé et transnational, sont débattus au travers de 4 Commissions s’intéressant particulièrement : 1ère commission : au statut des magistrats ; 2ème commission : au droit civil et à la procédure civile ; 3ème commission : au droit pénal et à la procédure pénale ; 4ème commission : au droit public et social.
De la même manière, chaque année, se tiennent, avant le conseil central, les réunions de quatre commissions régionales : le groupe européen, le groupe ibéro-américain, le groupe africain, le groupe ANAO : Asie, Océanie et Amérique du Nord. La synthèse des débats et les résolutions sont mises sur le site Web de l’UIM. Après l’adoption entre 1993 et 1995 de chartes régionales, l’Union internationale des magistrats s’est dotée d’une Charte universelle sur le statut des juges, à l’unanimité, le 17 novembre 1999 à Taiwan.
Depuis, des questions d’éthique et de déontologie, des questions de communication, des questions budgétaires et indemnitaires sont envisagées et développées. Mais avant, c’est dès 1985 que l’Organisation des Nations Unies (ONU) avait édicté des principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature. Et depuis un rapporteur spécial chargé de l’indépendance des juges et des avocats est chargé de s’assurer du respect de ces normes et de les faire évoluer vers toujours plus d’indépendance dans l’intérêt des citoyens.
Ainsi, à Marrakech, au Maroc, et du 14 au 18 octobre 2018, c’est tout cet arsenal qui a été mis en branle à la faveur de la réunion annuelle du conseil central. Le dimanche 14 octobre 2018 a été consacré aux réunions des groupes. C’était l’occasion pour chacun des 4 groupes sus cités de discuter et prendre éventuellement des résolutions sur les problèmes en relation avec la magistrature dans leurs zones respectives. Pour le groupe régional africain, il y a eu deux (02) résolutions : une concernant la situation de grève au Mali, et l’autre concernant le Libéria où les magistrats perçoivent à la retraite 1% de leur traitement.
Aussi, le conseil central a adopté le nouveau statut universel des juges dont le projet a été élaboré par une commission de dix (10) personnes dont notre compatriote Cheick Mohamed Chérif Koné, président du SAM. Le conseil central a entériné l’adhésion de quatre (04) nouveaux Etats : Angola, Bolivie, Equateur et Guatemala. Ensuite, sur une centaine de propositions de thèmes, la première commission d’étude a retenu le thème : «L’utilisation des réseaux sociaux par le juge : opportunités et inconvénients (danger)». Vous constatez que la situation en cours au Mali est passée par là.
En outre, cette année était une année électorale. Donc il y a eu des changements à la tête de l’U.I.M, au niveau des commissions et même au niveau du groupe régional africain. C’est ainsi que l’Australien Toni PAGONE a remplacé le Français Christophe REGNARD à la présidence, les six (6) vice-présidents ont changé. Ainsi l’Algérien Djamel AIDOUNI a remplacé le Sud-africain Cagney MUSI, aussi bien à la Présidence du groupe africain qu’à la vice-présidence du comité de la présidence de l’U.I.M. Une des nouvelles dispositions du statut universel révisé est l’article 9-3 relatif à l’indépendance des procureurs : «L’indépendance des procureurs, qui est essentielle à l’Etat de droit, doit être garantie par la loi, au plus haut niveau possible, tout comme celle des juges.»
Pour l’U.I.M, «Pas d’indépendance de la justice sans indépendance des procureurs». Enfin, le conseil central de l’U.I.M a décidé de la tenue de la prochaine réunion à Astana (Kazakhstan) à partir du 20 septembre 2019. Voici, en résumé, ce qui s’est passé à la réunion du conseil central de l’U.I.M à Marrakech.
En plus de vous, qui d’autres étaient à cette rencontre pour représenter le Mali ?
La délégation malienne comportait deux (2) membres : le président du SAM Cheick Mohamed Chérif Koné et moi-même. C’est ainsi généralement depuis quatre (4) ans. En effet, lors de la réunion annuelle du groupe africain de l’U.I.M en 2014 à Niamey (Niger), il y avait huit (8) volontaires du bureau du SAM. Mais finalement, il n’y avait que Chérif et moi pour participer à cette réunion. Depuis nous avons régulièrement participé aux différentes rencontres. Chérif était seul à Barcelone en 2016, et le Mali était absent en 2017 à Santiago du Chili. Pour l’histoire, je rappelle que le Mali a abrité la rencontre du groupe régional africain deux (2) fois : en 2000 et en 2011.
Nous apprenons aussi qu’une résolution a été prise concernant le Mali, laquelle ?
Le monde est désormais très ouvert et connecté. Le Mali est au-devant de la scène déjà avec la présence de la Minusma, de l’Eutm et d’autres organisations internationales dans le cadre de la gestion de la crise que traverse notre pays depuis quelques années. En plus, l’élection présidentielle de juillet-août 2018 a été suivie de près avec le développement post-électoral.
Mieux, avec cette grève de certains magistrats qui perdure depuis environ trois (3) mois, la délégation malienne ne pouvait qu’être très attendue à cette réunion. D’ailleurs, à propos de ladite grève, les magistrats d’ailleurs avaient, à travers les réseaux sociaux, pris connaissance de plusieurs publications, souvent avec stupéfaction et consternation. En effet, même là où les magistrats peuvent faire usage des réseaux sociaux, ils le font avec beaucoup de tacts et de discernement en respectant le devoir de réserve. Mais le cas du Mali avait dépassé tout entendement selon la compréhension de l’écrasante majorité des magistrats de l’U.I.M. Le comble, c’était lorsque les meneurs de ce mouvement demandaient la démission du président de la Cour Suprême, du Premier ministre, du ministre de la justice et du ministre de la fonction publique et du travail. Alors, la délégation du Mali a été invitée à s’expliquer sur la situation.
Il faut rappeler en passant, que l’U.I.M avait apporté son soutien à la grève de 2017 qui a abouti à la signature du procès-verbal de conciliation du 9 février 2017. Au-delà des explications des faits, lors de la réunion du 14 octobre 2018, le groupe régional africain a exigé d’avoir l’avis de la Cour Suprême. Ainsi, l’Avis N°001-2018/CS-AC de consultation juridique du 2 octobre 2018 et le Décret N°2018-0773/PM-RM du 9 octobre 2018 portant réquisition temporaire des magistrats en grève ont été versés aux débats. C’est ainsi que le groupe régional africain a voté la résolution concernant la situation au Mali, le même jour, à l’unanimité.
Mais le texte en anglais et en français a été adopté le jeudi 18 juillet 2018, à l’unanimité, dont la teneur suit : «Résolution du groupe africain de l’Union internationale des magistrats concernant le Mali : Lors de la réunion du Groupe Africain, à l’occasion de la tenue de la 61ème réunion de l’UIM; les membres du Groupe ont été informés par la délégation du Mali, qu’un groupe de magistrats de leur pays a entamé depuis trois mois une grève illimitée. Cette grève a eu des conséquences néfastes sur les droits de l’homme et des justiciables, causant beaucoup de torts. Devant cette situation, le Groupe Africain demande, unanimement, aux magistrats grévistes d’obéir aux règles du droit de grève et de se conformer à l’avis de la Cour Suprême du Mali. Le Groupe souligne que ce pays est régi par des règles de démocratie et que tout le monde doit obéir à ces règles, y compris et surtout les magistrats». Le secrétariat général de l’UIM est chargé de faire parvenir officiellement la résolution aux autorités maliennes.
Quelle est la portée de cette résolution pour le Mali et sur les magistrats grévistes ?
Une résolution au niveau de l’U.I.M va au-delà du symbole. Il s’agit de l’organisation professionnelle internationale des juges, avec toutes ses implications aux Nations-Unies, auprès de la Commission des droits de l’homme (Genève), à la Haye et à d’autres niveaux. Aussi c’est acté dans les archives (site Web et papier) de l’organisation que l’on peut retrouver cent (100) ans après. Egalement, la résolution est un désaveu pour les grévistes à qui l’U.I.M demande de respecter les règles du droit de grève d’une part, et d’autre part de respecter les règles de l’Etat de droit. L’U.I.M, par essence, soutient les magistrats, mais elle s’insurge contre les magistrats qui ne respectent pas la loi. C’est pourquoi la charte universelle ainsi que les chartes régionales rappellent «la soumission du juge à la loi». Enfin, nous n’allons pas jusqu’à dire que la résolution donne raison au gouvernement, mais elle lui apporte, sans doute, de l’eau à son moulin. L’U.I.M a mille et un moyens d’agir sur les décisions au niveau des pays. Elle n’a pas son pareil dans le monde. Ces résolutions ne sont pas à prendre à la légère. L’indépendance de la justice c’est le respect strict entre les trois pouvoirs d’un régime démocratique, mais c’est aussi et avant tout le respect de la loi. Les grévistes sont allés jusqu’à s’en prendre à l’institution judiciaire. La Cour Suprême, notamment son président, a été prise à partie, vilipendée par des magistrats. Que deviendra notre pays, si chaque justiciable insatisfait en faisait de même à l’occasion de chaque procès ?
En somme, cette résolution lave l’honneur du Mali, qu’elle reconnaît comme un Etat démocratique, un Etat de droit. Par contre, elle met au pilori les grévistes qui doivent revoir leur copie et revenir dans les voies de droit. En même temps, elle leur tend la perche pour ce faire.
Un message à l’endroit de vos collègues magistrats et du peuple malien.
Je dois rappeler à certains de mes collègues que la justice n’est pas circonstancielle. Elle se fera au-delà d’eux et de moi. Maintenant à tous les magistrats, je rappelle que le juge (magistrat) c’est la légalité, c’est la responsabilité, c’est l’impartialité, c’est le devoir de réserve et c’est la probité. Je laisse le soin à chacun de nous de faire son propre bilan pendant ces derniers mois. En a-t-il été ainsi ? J’en doute fortement.
Il n’est pas trop tard pour revenir à la normale, à la loi, pour un magistrat. Au peuple malien dont je partage la peine, j’adresse mes sincères regrets. Je l’invite, envers tout, d’œuvrer pour l’indépendance de la justice, pas pour la justice, mais pour lui-même. L’indépendance du pouvoir judiciaire garantissant l’équité entre les citoyens. Je rends, enfin, hommage à ce peuple qui s’est levé en bouclier pour soutenir nous, magistrats lors de la grève de 2016 et 2017. Sa désapprobation et son agacement par rapport à la grève actuelle, laisse penser qu’on n’a pas un peuple peu éclairé, comme certains semblent faire comprendre. Puisse Dieu préserver notre pays le Mali dans la justice et la paix.
Réalisée par Gabriel TIENOU
La résolution de l’UNION INTERNATIONALE DES MAGISTRATS lave l’honneur du Mali, qu’elle reconnaît comme un Etat démocratique, un Etat de droit. Par contre, elle met au pilori les grévistes qui doivent revoir leur copie et revenir dans les voies de droit. En même temps, elle leur tend la perche pour ce faire.
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