Une semaine après la nouvelle stratégie africaine d’Emmanuel Macron, Mohamed Amara, sociologue et auteur de plusieurs livres dont : “Marchands d’angoisses”, “Le Mali tel qu’il est, tel qu’il pourrait être”, éditions Grandvaux, revient sur les enjeux du discours de Macron. Entretien.
Mali Tribune : Que faut-il retenir de la nouvelle stratégie de Macron envers l’Afrique ?
Dr. Mohamed Amara : C’est une stratégie qui consiste à passer d’une logique d’aide à celle d’investissement solidaire. C’est aussi une stratégie de contournement de la politique africaine russe dans les pays africains dont le point d’orgue consiste à inviter les investisseurs français à s’implanter sur le continent.
Dans les relations France-Afrique, le pouvoir français ne souhaite plus se mettre en avant, mais plutôt construire des partenariats gagnant-gagnant entre investisseurs africains et français. Les coopérations militaires s’effacent au profit des partenariats économiques en se tournant vers l’Inde ou la Barbade pour plus de multilatéralisme.
Mali Tribune : La percée des pays émergents comme la Chine, la Russie en Afrique a-t-il poussé la France à changer de stratégie sur le continent ?
Dr. M. A. : Non. Je pense que la France a compris qu’elle avait commis l’erreur de traiter les relations africaines que d’un point de vue militaire, comme l’opération Barkhane ou Sangaris. L’Afrique d’aujourd’hui diffère de l’Afrique d’hier. La nouvelle histoire africaine s’écrit avec la jeunesse africaine grâce à la révolution numérique.
Clairement, le pouvoir français a compris qu’il fallait changer de fusil d’épaule, c’est-à-dire d’avoir des relations d’égal à égal, basées sur le respect mutuel et la défense des intérêts réciproques. La logique de réseau (scientifiques, culturels, entrepreneurs, etc.) l’emporte sur celle de donneur de leçons.
Mali Tribune : Dans une tentative de récupérer l’opinion africaine précisément celle des Maliens, Emmanuel Macron a affirmé que les politiciens maliens ont échoué à redresser le pays ce qui a conduit à son désaveu public. D’une part est-ce que la France aussi n’est pas comptable de ce désaveu ?
Dr. M. A. : Monsieur Macron fait un constat de l’évolution de la situation politique du Mali depuis une quinzaine d’années. C’est un fait. Mais au-delà de ce constat, il faut admettre que l’opération Barkhane n’a pas pu ramener la paix au Mali et au Sahel. Par conséquent, la responsabilité de la France est à questionner.
La responsabilité du pouvoir malien est aussi à interroger dans la lutte contre le terrorisme. Ceci dit, Macron tente d’éviter une reproduction de la situation malienne ailleurs sur le continent ; c’est-à-dire le rejet de la France par une partie des Maliens et de la Transition malienne. Lequel rejet serait à l’origine de l’entrée en scène des Russes au Mali au grand dam des Français.
Mali Tribune : Comment la France pourra diminuer ses effectifs militaires en Afrique tout en continuant à aider les Etats africains à lutter contre le terrorisme ?
Dr. M. A : Il faut comprendre que la France a quatre bases militaires en Afrique (Côte d’Ivoire, Djibouti, Gabon et Sénégal et des emprises (Niger, Tchad) pour mener des opérations spéciales. L’idée de la politique de coopération française actuelle est de cheminer vers une cogestion de ses bases militaires avec les pays concernés. C’est le nouveau schéma de partenariat militaire pour équilibrer les relations entre la France et l’Afrique.
A l’ordre du jour de ce futur partenariat, sont à prévoir des dispositifs de formation, d’accompagnement et d’équipement militaire pour la montée en puissance des armées africaines face à la menace terroriste. Probablement, une meilleure façon de réguler les coopérations militaires entre la France et l’Afrique.
Mali Tribune : Juste après avoir dévoilé sa nouvelle stratégie africaine, le président français s’est rendu au Gabon pour sa 18e tournée africaine. Il a proclamé la fin de la Françafrique indiquant que désormais la France est un interlocuteur neutre sur le continent se refusant à toute ingérence. Comment vous interprétez cela alors que la France continue de soutenir des régimes fantoches sur le continent ?
Dr. M. A : Tout ça, c’est de la realpolitik. Ceci dit, il y a un écart entre les intentions et les réalisations. Au fond, cela signifie que la France a besoin d’un nouveau climat apaisé et positif en Afrique à cause de l’entrée en scène de la Russie. L’idée de co-construire des partenariats économiques avec les pays africains illustre ce changement de cap. D’autant que la France, l’Europe dépendraient de l’Afrique d’un point de vue économique. Donc, il est important pour l’Europe de s’inscrire dans des partenariats Sud-Nord en mobilisant les investisseurs et la diaspora africaine. La question n’est pas que militaire. Elle est aussi économique.
Oui, des présidents, comme Paul Biya du Cameroun, sont au pouvoir depuis une quarantaine d’années. L’alternance démocratique n’existe pas chez eux. Pourtant, Emmanuel Macron s’est rendu en visite au Cameroun en juillet 2022. On pourrait effectivement reprocher à Macron cette pratique de “deux poids, deux mesures” qui consiste à dénoncer les putschs militaires d’un côté, et de l’autre à côtoyer les régimes sans alternance démocratique ou les régimes à succession dynastique comme au Gabon.
Enfin, pour la France, aujourd’hui, le défi est de ne pas être perçu comme un éternel ancien colonisateur. Pour relever ce défi, Emmanuel Macron fait du soft power en tentant de nouer des relations transparentes avec l’Afrique. Emmanuel Macron y parviendrait-il ? C’est une question qui serait répondue, peut-être, au sommet de juin prochain à Paris.
Propos recueillis par
Ousmane Mahamane