Dans le cadre de la promotion de la lecture comme facteur de développement au Mali, nous avons rencontré un féru de la lecture et amoureux des belles lettres. Il s’agit de Dr Mamadou Bani Diallo qui a bien voulu se prêter à nos questions. Suivez plutôt l’entretien !
Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Il n’est pas aisé de se présenter. Retenez simplement que je suis Conseiller Technique chargé du livre et de l’action culturelle au Ministère de la Culture, Professeur d’Enseignement Supérieur et Critique littéraire effectuant des recherches sur les littératures africaines.
Qu’est-ce que la lecture selon vous ?
C’est un sujet intéressant et complexe à la fois. La lecture constitue le complément nécessaire de l’écriture. Elle se caractérise par une diversité d’approches et de contenus : lire un journal, un ouvrage scientifique, un tract, une affiche publicitaire ou une œuvre littéraire. Les finalités visées ne sont pas non plus les mêmes : information, vulgarisation scientifique, formation, divertissement, épanouissement intellectuel, entre autres.
La lecture ne consiste pas uniquement à déchiffrer des lettres et des mots, c’est une quête permanente du sens qui gît sous le texte à l’état latent ; c’est la mise en mouvement des signes disséminés entre les pages et les lignes d’un livre.
Je vais mettre l’accent sur le cas de l’œuvre littéraire qui n’est pas aussi simple qu’on serait tenté de le croire. De ce point de vue, Jean Paul Sartre définit l’objet littéraire comme une étrange toupie qui ne fonctionne qu’au moyen de la lecture. La littérature fait, en effet, appel à un usage particulier du langage en superposant des codes spécifiques à ceux de la langue. Il appartient au lecteur de dénouer cet enchevêtrement de signes et de codes, pour que le texte littéraire puisse être lisible et comestible. C’est peut-être ce qui confère à l’œuvre littéraire un charme inouï, inexplicable et irréductible. Je suis tenté d’étendre à la littérature, d’une manière générale, la définition que l’écrivain martiniquais Aimé Césaire donne de la poésie :
« La poésie est cette démarche qui par le mot, l’image, le mythe, l’amour et l’humour m’installe au cœur vivant de moi-même et du monde.”(Cf. Bernadette Cailler, Proposition poétique, une lecture de l’œuvre d’Aimé Césaire, Nouvelles du Sud, 1991, p.11)
Pour me résumer, la littérature est un univers de signes et une représentation du monde. La lecture, quant à elle, permet d’accéder au savoir sous des formes et des modalités variées.
Quand est-ce que vous avez commencé à lire ?
Ce sont mes professeurs de français à l’école fondamentale de Bougouni qui m’ont donné le goût de la lecture. A l’époque, j’étais littéralement fasciné par le cours de lecture expliquée que j’attendais toujours avec impatience.
Sous la plume des écrivains dont nous lisions les œuvres en classe, j’avais l’impression que les mots prenaient une teinte particulière, qu’ils étaient enveloppés dans un emballage magique auquel il était difficile de résister, que nous étions pris dans un piège dont le professeur de français était seul à détenir le secret, lui qui avait le don de nous captiver par des textes soigneusement sélectionnés et préparés.
J’ai été tellement marqué par la dégustation en classe des morceaux choisis, que j’ai décidé de franchir le rubicond en lisant par moi-même et pour mon propre plaisir le texte intégral des extraits étudiés.
J’en déduis que la contrainte scolaire n’est pas de nature à susciter des vocations littéraires. Il faut aller au-delà, quand on aspire à devenir un lecteur autonome. La vraie lecture procède d’un choix délibéré et entièrement assumé. Il convient de méditer ces propos de Marcel Proust sur l’impact et le caractère salutaire de la lecture :
« Tant que la lecture est pour nous l’incitatrice dont les clefs magiques nous ouvrent au fond de nous-mêmes la porte des demeures où nous n’aurions pas su pénétrer, son rôle dans notre vie est salutaire. Il devient dangereux au contraire quand, au lieu de nous éveiller à la vie personnelle de l’esprit, la lecture tend à se substituer à elle, quand la vérité ne nous apparaît plus comme un idéal que nous ne pouvons réaliser que par le progrès intime de notre pensée et par l’effort de notre cœur, mais comme une chose matérielle , déposée entre les feuillets des livres comme un miel tout préparé par les autres et que nous n’avons qu’à prendre la peine d’atteindre sur les rayons des bibliothèques et de déguster ensuite passivement dans un parfait repos de corps et d’esprit. » ( Marcel Proust, Pastiches et mélanges, Contre Sainte-Beuve, Gallimard, 1971, p.160 à p.185)
Disons, en somme, que la lecture nous pousse à aller au bout de notre quête intérieure, à triompher de nous-mêmes par une espèce de transcendance. Cette pensée illustre parfaitement l’effort d’investissement personnel qu’accomplit le lecteur pour accéder à la quintessence de l’écrit dans toute sa complexité. Ma propre expérience paraît enrichissante de ce point de vue.
Par ailleurs, la lecture des écrivains négro-africains m’a été d’un apport inestimable. Tout au long de mon itinéraire, j’ai été en quelque sorte progressivement happé par une irrésistible envie de dévorer les livres, devenant par la suite critique littéraire.
Tel est, sommairement évoqué, le chemin qui m’a conduit vers la lecture.
Qu’est-ce que la lecture vous a apporté ?
Dans mon cas, cet apport me paraît difficile à évaluer. Je ne le perçois pas uniquement en termes de diplômes obtenus, de travaux publiés ou de connaissances accumulées, mais de progrès intellectuel et spirituel, de dépassement de soi, de questionnement permanent, d’équilibre intérieur constamment recherché, d’ouverture aux autres. Mes lectures m’ont permis, à force de persévérance, d’acquérir des outils d’analyse et d’investigation qui continuent de me servir. Ce qui compte ce n’est pas ma modeste personne, c’est une démarche qui permet à chaque citoyen de s’épanouir individuellement et de participer en pleine connaissance de cause à la réflexion sur les questions d’intérêt national. Y suis-je parvenu ? Il ne m’appartient d’y répondre. Je me contente de lire et d’exercer esprit critique, laissant aux autres le soin de m’apprécier ou de me juger.
On a coutume de dire que les maliens ne lisent pas, selon vous, ce constat amer est dû à quoi ?
Ce constat, s’il est vrai pour la majorité des Maliens, mériterait d’être cependant nuancé. Les contraintes d’ordre culturel et social peuvent, en effet, entraver le développement de la lecture dans un pays comme le Mali où le poids des traditions se fait sentir avec une certaine force. Celui qui s’isole pour écrire ou lire apparaît généralement, ici, comme un être marginal et peu sociable. Une partie de l’opinion publique le perçoit comme celui qui bouleverse l’ordre traditionnel.
Par ailleurs, les infrastructures d’édition et de diffusion du livre n’étant pas suffisamment développées, la question du rôle et de la place de l’écrivain se pose avec une certaine acuité chez nous. L’écrit ne fait pas encore partie des produits de consommation courante, pour beaucoup de Maliens en tout cas. Ce sont des problèmes qui peuvent être résolus avec le concours des différents acteurs et partenaires intervenant dans ce secteur.
Avec l’arrivée de l’internet, ne craigniez-vous pas la disparition du livre imprimé ?
Depuis quelques décennies, dans les pays développés surtout, la culture de l’écrit a tendance à s’implanter fortement avec ses professionnels et ses consommateurs, ses circuits de production et de diffusion, entraînant par la même occasion une diversification et une spécialisation de l’offre de lecture. A cet égard, l’édition en ligne et la bibliothèque virtuelle, qui vous préoccupent, offrent de nouvelles opportunités de mutations et de renouvellement du secteur du livre qui doit s’adapter à l’évolution des technologies, sans que cela puisse de quelque manière que ce soit affecter la qualité de ses prestations.
L’arrivée de l’internet ne devrait pas nécessairement entraîner la disparition du livre imprimé. Une telle concurrence pourrait, au contraire, avoir un effet bénéfique sur la vitalité du secteur de l’édition.
Quel appel avez-vous à lancer pour que les gens lisent beaucoup dans notre pays ?
Il faut surtout que la jeunesse malienne prenne conscience du rôle important que le livre peut jouer dans l’émergence d’une économie nationale forte : c’est un outil qui a un impact considérable autant sur la politique nationale que sur les différentes politiques sectorielles de développement. J’invite mes compatriotes à méditer ces mots de Koïchiro Matsuura, ancien Directeur Général de l’UNESCO :
« A l’heure des réseaux électroniques et télévisuels globaux, le livre constitue plus que jamais un outil essentiel pour l’indépendance de l’individu, pour la conscience du citoyen et pour le développement économique, social et culturel des sociétés. Il est un moyen d’information, de réflexion critique et d’éducation irremplaçable, se situant à la base même de l’édifice, en permanente reconstruction, de la démocratie, des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Puissant facteur de dialogue au-delà des frontières et des langues, grâce à la traduction, l’édition est le socle sur lequel, avec le système éducatif et l’ensemble de l’industrie culturelle, chaque pays construit et fait évoluer son identité, son idée d’elle-même, son propre sens de la vie et des choses. Mais le livre est aussi un vecteur important du bien-être matériel car il est un instrument de partage et d’actualisation des savoirs. » (Cf. Alvaro Garzon, La politique nationale du livre, UNESCO ? 2005, Préface, p.7)
Il importe de relayer ces observations pertinentes sur la place du livre dans l’évolution économique, politique, sociale et culturelle des nations qui choisissent de s’imposer par la qualité des œuvres de l’esprit.
Votre dernier mot
Je voudrais, enfin, partager avec vos lecteurs une préoccupation très forte que nous n’avons pas le devoir d’oublier ou d’occulter : les conséquences de la crise politique et institutionnelle sur les manuscrits de Tombouctou.
Un plan d’actions pour la sauvegarde de ces manuscrits a été adopté le 18 février 2013 à Paris, à la suite d’une réunion d’experts, avec l’appui de l’UNESCO et du Ministère Français de la Culture et de la Communication. Des dispositions sont en train d’être prises pour sa mise en œuvre.
Face à des situations de ce genre, l’UNESCO a lancé en 1992 le programme Mémoire du Monde, pour une raison évidente : « Le patrimoine documentaire conservé dans les bibliothèques et les archives représente une partie essentielle de la mémoire collective. Il reflète la diversité des langues, des peuples et des cultures. Or, cette mémoire est fragile. ». Ce programme vise essentiellement à sauvegarder et promouvoir le patrimoine documentaire de l’humanité par des mesures de préservation et d’accessibilité. Autrement, les générations futures ne pourraient pas jouir de ce précieux héritage, disséminé à travers le monde et quelquefois menacé de disparition, faute de mesures ou de moyens appropriés de conservation.
Puisse notre patrimoine documentaire survivre à des crises de ce genre !
Que toute l’équipe de « Bonne lecture » veuille bien accepter mes sincères encouragements
Interview réalisée par Mamadou Macalou
Mr Diallo, cet articl est moi une déclaration d’alliance. Nous continuerons ensemble.
Merci M. DIALLO pour cette contribution de qualité! Malheureusement l’article n’a été visualisé que 52 fois, toute chose qui témoigne du désintérêt du Malien à tout ce qui touche à l’écriture et à la lecture. le chemin est très long pour que le Malien s’intéresse véritablement à cette activité intellectuelle. Bon courage M. LE PROF pour votre engagement.
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