Dr Mamadou Bani Diallo, professeur de littérature comparée : «L’œuvre de Seydou Badian Kouyaté est au cœur de la réflexion sur les enjeux d’une société en quête de repères»

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Dans l’interview ci-dessous, Dr Mamadou Bani Diallo analyse l’oeuvre littéraire de Seydou Badian Kouyaté, décédé le vendredi 28 décembre 2018 à Bamako.

L’Essor : Seydou Badian Kouyaté s’est éteint le 28 décembre 2018 au terme d’une carrière littéraire bien remplie. Que vous inspire la disparition d’un écrivain d’une telle envergure ? Quelle place occupe-t-il dans l’histoire de la littérature africaine ?

Mamadou Bani Diallo : Un peu plus d’un an après la disparition de Yambo Ouologuem, le monde des lettres africaines vient de perdre une autre grande figure. C’est en pleine notoriété internationale que Seydou Badian Kouyaté nous a quittés. Il s’en va, auréolé du prestige de pionnier de la littérature africaine. Je voudrais faire un bref rappel, à cet égard. Quand je l’ai reçu en 2003 au Café littéraire organisé par le ministère de la Culture, l’auteur de «Sous l’orage» a rappelé le contexte dans lequel le roman a vu le jour en 1953, avant d’être réédité chez Présence Africaine en 1957. L’écho de la polémique fiévreuse qui éclata autour de la tradition vers les années 1930-1940 s’y répercute, avec toutes les subtilités d’une fiction romanesque : par exemple, l’opposition entre Kerfa et Sidi paraît aussi tranchée que celle qui mit aux prises le «père Fily Dabo» (qualificatif de Seydou Badian lui-même), ardent défenseur de l’adaptation, à l’intellectuel antillais Sylver Arcandre, partisan inconditionnel de l’assimilation. A y regarder de près, le mariage de Kany constitue l’événement qui va déclencher les bouleversements au sein de la famille et de la société.

Par ailleurs, le romancier avoue qu’il a été marqué par le racisme, la ségrégation et les inégalités institutionnalisées auxquels les Africains furent confrontés, à l’époque, dans les colonies.

En amont, les événements ainsi évoqués apparaissent comme autant de référents symboliques pour restituer le drame de l’acculturation, avec une vigueur et une force de suggestions que l’art seul est capable de procurer à l’écrivain. Celui-ci parvient, en effet, à soustraire les faits relatés à l’abstraction desséchante de thèses trop rigides, pour les rendre palpitants et vivants par la magie de la fiction romanesque.

C’est ce qui explique, en grande partie, le succès que «Sous l’orage» a rencontré auprès du grand public, en devenant tout naturellement un des classiques les plus connus des élèves et étudiants africains. Ce sera le premier jalon d’une série romanesque, aussi riche que significative : «Le sang des masques» (1976), «Noces sacrées» (1977), «La saison des pièges» (2008).

Entre temps, en 1965, le Grand prix d’Afrique noire vient couronner son essai intitulé «Les dirigeants africains face à leur peuple». Cet ouvrage procède d’une réflexion de proximité sur les défis que l’Afrique doit relever pour accéder à un type de développement qui soit conforme à ses réalités et à ses valeurs : l’analphabétisme, la sous-alimentation, la sous-productivité, la sous-exploitation des potentialités naturelles, l’absence d’accumulation interne, l’insuffisance de cadres techniques. La résolution de ces différents problèmes est conditionnée à «l’existence d’une volonté nationale de lutte contre le sous-développement, se traduisant par la mobilisation effective de toutes les couches de la population autour du programme de rénovation».

Il apparaît, ainsi, que Seydou Badian excelle autant dans le roman que dans l’essai. Pour cette raison, précisément, il occupe une place de choix dans la littérature africaine d’expression française.

L’Essor : Quelle est la portée de son œuvre littéraire ? Quels en sont les principaux enjeux ?

Mamadou Bani Diallo : Seydou Badian aborde, d’une manière générale, les problèmes auxquels l’Afrique se trouve confrontée dans son évolution historique, politique, économique et culturelle. Derrière les représentations littéraires qu’il donne à voir, ce sont des visions du monde et des conceptions parfois contradictoires de la société qui s’affrontent directement ou indirectement sous différentes formes. Leur portée référentielle et symbolique est d’autant plus évidente que l’écrivain prend du recul pour rapport au réel pour en tirer les meilleurs effets du point de vue esthétique. Le lecteur devra, par conséquent, faire preuve d’imagination et de souplesse dans l’interprétation des thèmes traités. Ainsi, quand on prend l’ensemble de sa production romanesque, le conflit des générations n’oppose pas systématiquement tous les jeunes gens d’un côté et toutes les vieilles personnes de l’autre : Sibiry, tout jeune qu’il soit, pense et agit uniquement selon les préceptes anciens, contrairement à ses autres frères et sœurs (dans «Sous l’orage»). Par contre, Bassy, le Maître du bois sacré prend fait et cause pour le jeune Bakary contre Bantji, le futur chef du culte du Komo, parce que celui-ci abuse de ses pouvoirs (dans «Le sang des masques»). Les tares du régime colonial («Sous l’orage» et «Le sang des masques») et celles des nouveaux Etats africains («La saison des pièges») sont également passées au crible d’un regard critique et fouillé, donnant la pleine mesure des soubresauts et des bouleversements qui agitent le corps social de l’intérieur.
En somme, l’œuvre de Seydou Badian Kouyaté se trouve au cœur de la réflexion sur les enjeux d’une société en quête de repères dans un environnement de plus en plus conflictuel et compétitif où les différents protagonistes sont amenés à redéfinir leur place, leur statut et leurs priorités, en fonction de plusieurs paramètres. Dans sa démarche, le romancier est conduit à puiser dans la tradition certains matériaux nécessaires à l’élaboration de son œuvre : proverbes, sentences, maximes, chants, contes, légendes et autres éléments tirés de la littérature orale africaine. Il ordonne et agence les apports traditionnels de manière à les fondre dans son récit, sans en bouleverser l’orientation spécifique (Echenim, 1986, 88-114). Ce sont, surtout, de bons relais pour la transmission du patrimoine culturel à travers une œuvre littéraire profondément enracinée dans l’univers culturel et social qui en constitue la charpente et le soubassement. Il apparaît, à la lumière de ce qui précède, que l’Afrique perd un de ses meilleurs ambassadeurs, en la personne de cet illustre écrivain.

L’Essor : Quel héritage littéraire et intellectuel laisse-t-il à la postérité ?

Mamadou Bani Diallo : L’apport de Seydou Badian au rayonnement de la littérature africaine paraît inestimable. En effet, son œuvre contribue fortement à désaliéner les esprits et à susciter chez les Africains la volonté de s’assumer, en faisant face aux défis du présent et du futur. Pour lui, la révolution mentale et culturelle constitue le préalable à tout processus d’émancipation et de renaissance. La fiction romanesque apparaît de ce point de vue comme une expérience inédite qu’il convient de capitaliser. Par-delà les considérations d’ordre esthétique, c’est l’être même de la société africaine qui se construit à travers la création littéraire et artistique : les artistes et les écrivains façonnent au quotidien le visage du continent africain dans leur travail de refonte et de reconstruction qui sert de tremplin à l’émergence de l’homme nouveau. En fin de compte, Seydou Badian laisse à la postérité une semence inépuisable. Puisse son œuvre faire de nombreux émules !

Propos recueillis par Youssouf DOUMBIA

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  1. Rectificatif: l’Antillais dont il s’agit s’appelait Jean Silvandre. Il fut député du Soudan à partir de 1946, tout comme Mamadou Konaté et Fily Dabo Sissoko.

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