L’autonomisation de la femme, la décentralisation au Mali, voici entre autres des thématiques qu’aborde Dr Kawélé Togola, professeur d’Anthropologie à l’Université des Lettres et Sciences humaines de Bamako, département de Sociologie et Anthropologie, dans ses ouvrages. Nous avons eu un entretien avec lui autour de trois de ses ouvrages clés. Nous vous proposons de lire l’interview !
Le Pays : Qu’est-ce que l’écriture représente pour vous ?
Dr Kawélé Togola : L’écriture me donne la possibilité de partager mes réflexions sur les sujets les plus ordinaires.C’est un moyen qui assure l’interaction entre un chercheur universitaire et le monde estudiantin ainsi que les autres éléments de la communauté scientifique.
Vous avez publié plusieurs ouvrages, dont« Les dynamiques de genre en Afrique et au Mali »dans lequel vous vous donnez pour objectif de déconstruire les mentalités. Quelles sont ces mentalités à déconstruire ?
Les mentalités liées au genre bien sûr. Nous sommes nous autres héritiers d’une société patriarcale où l’autorité est du côté de l’homme. Une société dans laquelle il appartient à l’homme de subvenir aux besoins de la famille, en premier lieu de la femme. Cette situation de fait n’a pas été sans influencer le statut social de la femme. Le statut de l’homme est supérieur à celui de la femme. Elle se trouve maintenue dans une situation « d’infériorité. »Dans la littérature sociologique consacrée à l’analyse de la situation de la femme dans les sociétés patriarcales, la femme est décrite, dépeinte comme une actrice totalement dominée par l’homme, totalement à l’ombre de l’homme. Elle est exclue de tout ce qui est pris de décision, en gros, de la gouvernance.
Les mentalités à déconstruire, c’est donc d’obtenir un changement de regard sur la situation et la position de la femme. Il faut un nouveau discours pour mettre la femme en confiance, vanter ses mérites, chanter ses gloires pour la signifier. Elle doit participer, au même titre que l’homme, au fonctionnement harmonieux de la société. Il faut redéfinir un nouveau canon qui puisse permettre à la femme de s’impliquer davantage dans le mécanisme de gestion des conflits, de gouvernance et même de prise de décision.
« Décentralisation et changement social au Mali » en 2017, puis « Les impasses d’une gouvernance locale » en 2020. Voilà deux de vos ouvrages, tous sur la décentralisation. Aujourd’hui, quelle appréciation faites-vous de la question de la décentralisation au Mali ?
L’idéed‘aller à la décentralisation au Mali sous sa forme actuelle remonte aux conclusions de la conférence nationale tenue à Bamako en juillet-août1991. La décentralisation est assortie de cette conférence comme étant une émanation populaire. Parce que le type d’État sous lequel les Maliens vivaient a contribué à exaspérer les populations locales, notamment rurales.
De mon point de vue, la décentralisation représente une bonne perspective de développement, parce qu’il n’y a de meilleur développement que par le sien.
Cependant, je ne partage pas cette thèse des pourfendeurs de la décentralisation qui pensent que la décentralisation n’a servi qu’à réveiller le chat qui dormait. C’est-à-dire, à remettre surscène les conflits anciennement résolus.Il faut réconforter la décentralisation dans ce qu’elle a de force. Il faut éviter de la stigmatiser par ses erreurs, ses insuffisances.
La décentralisation dans son application a été confrontée à des problèmes. Le Mali est dans un type de décentralisation qu’on appelle décentralisation administrative et au fond, cette décentralisation est plus verticale qu’horizontale.
Dans chacun des deux ouvrages, notamment dans celui de 2017, « Décentralisation et changement social », je pointe un peu du doigt des exemples où des problèmes sont apparus dans le fonctionnement de la décentralisation. Parce que les logiques sociales et les autorités coutumières n’ont pas été suffisamment considérées dans la définition des règles de fonctionnement de la décentralisation.
Il faut revoir les textes, définir clairement la position de ces autorités coutumières et leur conférer les rôles qui leur reviennent de droit, de fait.
Vous avez publié des livres assez importants, mais la plupart de ces publications sont faites dans des maisons d’édition à l’extérieur. Pouvez-vous nous expliquer les raisons ?
Je pense qu’il n’y a pas tellement de réflexion poussée qui ait présidéà ce choix. C’est simplement une opportunité que j’ai saisieà la faveur d’un séjour à Paris. J’étais parti acheter des ouvrages dans une librairie de l’Harmattan, quand j’ai posé la question, « vous êtes prêts à me publier » ? On m’a répondu : « Si vous avez le manuscrit, emmenez-nous.On sera heureux de vous publier ». C’est ainsi que j’ai pris la décision d’envoyer le manuscrit, qui est passé devant un comité de lecture, qui a validé le travail.Après tout le reste a suivi.
J’étais satisfait de leur travail parce que contrairement aux structures maliennes de publication, d’édition qui« font payer beaucoup » aux auteurs, à l’Harmattan, « la publication est gratuite », sauf s’il y a des aspects du travail que vous ne voulez pas faire vous-mêmes.Dès lors, à chaque fois que je finis un projet de publication, je leur envoie, c’est la même démarche. On ne me fait rien payer, sauf que j’ai l’obligation de payer les 50 premiers exemplaires.
Réalisée par Fousseni Togola