Dr Ibrahim Haidara, psychologue et fondateur du cabinet PSY2A, premier cabinet de psychologie au Mali :

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« Comme c’est la société qui gérait le problème des couples et des familles, celle-ci étant de plus en plus individualisée, les chefs de  famille n’arrivent plus à gérer le quotidien ».

Redonner confiance à l’individu. Tel pourrait se résumer le combat du Dr Ibrahim Haidara, revenu au bercail, pour servir la mère patrie. La psychologie, discipline largement méconnue dans la société, deviendra, selon lui, le refuge de plus en plus de Maliens en quête d’équilibre intérieur. Dans cet entrevue qu’il a bien voulu nous accorder, il insiste, entre autres, sur la nécessité de tout un chacun de consulter un psychologue non sans souligner quelques tares de la société malienne.

InfoSept : Pouvez-vous vous présentez à nos lecteurs s’il vous plait ?

Je suis le docteur Ibrahima Haidara, psychologue. J’ai eu à faire un parcours universitaire en Russie où j’ai obtenu un DEA en psychologie juridique. Et puis j’ai obtenu un doctorat à l’institut de psychologie de l’Eberhard-Karls Universitat de Tubingen en Allemagne. J’ai eu donc à faire ce parcours atypique même en occident où j’ai travaillé d’abord dans le milieu judiciaire puis après dans le milieu clinique, donc tout ce qui concerne les hôpitaux et par la suite dans le milieu pénitentiaire.

InfoSept : Après tout ce parcours qu’on peut qualifier de riche, vous auriez pu continuer avec une carrière encore plus gratifiante sur le plan international. Pourquoi vouloir venir dans votre pays d’origine ? Est-ce que c’était un besoin vital de ressourcement ?

Tout à fait. Peut-être une petite précision importante à donner. Je suis né à Paris où j’ai passé ma petite enfance, mon père y était médecin. Je suis revenu tout petit au Mali et par la suite, vers l’âge de 20 ans, je suis reparti en Europe en 1987, il y a près de 30 ans. J’ai la double nationalité française et malienne. Avec les différents voyages que j’ai eu à effectuer ces 30 dernières années, je crois que j’ai beaucoup plus d’intérêts à servir l’Afrique et mon pays d’origine le Mali où j’ai constaté au fil des années, déjà étant étudiant, que la psychologie n’était pas du tout connue. Par la suite, avec une première expérience au Mali en 2000 où j’ai été psychologue et chef de projet dans une ONG internationale, je me suis rendu compte que c’est une profession qui est très peu connue ou mal connue. Je me suis dit que je serais peut-être deux fois plus utile ici auprès de la population et des professionnels de la santé mentale qu’en Europe où j’ai exercé pendant à peu près une vingtaine d’années. Donc, c’est cette sensibilité africaine, le retour aux origines qui m’a poussé à revenir. Et j’ai constaté depuis un peu plus de 15 ans que j’ai suffisamment donné à l’Occident, qu’il est temps maintenant de servir le pays.

InfoSept : Donc, on l’a bien compris, c’est surtout un choix de nécessité et peut-être aussi un choix de cœur plutôt qu’un choix de carrière…

Oui, c’est un choix de cœur, tout à fait.

InfoSept : La psychologie peut faire partie des domaines qu’on attribue généralement aux blancs. Pensez-vous réellement que l’Afrique en général et le Mali en particulier est prêt pour inclure la psychologie dans son mode de vie de tous les jours, sachant bien que les croyances populaires ont la vie dure ?

Très bonne question. A la base de la création du cabinet, il y a à peu près 3 ans, je visais exclusivement les expatriés parce que j’étais sûr et certain que les occidentaux savent ce que c’est qu’un psychologue. En tous cas, une bonne partie d’entre eux. Et, au fil des 3 années durant lesquelles j’ai effectué plusieurs voyages, je me suis très vite rendu compte que les gens commencent à réaliser qu’ils ont en besoin. Qu’est ce qui a facilité cela ? En 2016, j’ai fait beaucoup d’émissions radio et beaucoup de conférences, de groupes de travail sur la psychologie. Un travail de sensibilisation qui a eu comme effet que les gens se sont rendus compte que ce n’est pas une science pour les occidentaux ou pour les blancs. Vous ne saurez ignorer qu’au Mali, il y a nos croyances traditionnelles, les marabouts, les guérisseurs. Ce sont, en quelque sorte, des psychologues aussi. Ce sont des gens qui arrivent très vite à discerner la personnalité de leurs patients et qui arrivent parfois à trouver des mots ou des remèdes aux difficultés des personnes qui viennent à eux. Sauf que, depuis quelques années, on se rend compte qu’il y a beaucoup de charlatans. Ce ne sont pas tous des gens qui veulent vraiment aider les personnes qui viennent à eux, qui ont une certaine difficulté et donc une certaine fragilité psychologique. Ils en abusent parfois par plusieurs moyens, surtout sur le plan financier. Même si la consultation n’est pas très couteuse, ce sont des gens qui viennent tout le temps et investissent le peu d’économies qu’ils ont en consultant les guérisseurs ou marabouts. Au cours de mes conférences, je me suis rendu compte que les maliens qui ont un certain niveau d’instruction se sont vite aperçus qu’ils sont dans le besoin et qu’il y a des professionnels en la matière qui existent. Moi, je crois que c’est une chance énorme de pouvoir faire ce travail de communication pour essayer d’expliquer ce que c’est qu’un psychologue en Occident et en Afrique. Donc, je crois que ma double culture et mes différents voyages m’ont permis de faire comprendre que non, ce n’est pas une spécialité pour les occidentaux seuls. C’est une spécialité pour tout le monde. Et compte tenu  des transformations socio-culturelles et de la mondialisation, on n’a pas le choix. On est obligé de venir plus vers un psychologue. D’ailleurs depuis décembre, je constate que le cabinet a de l’avenir. Beaucoup de gens viennent vers moi parce qu’ils se tournent de plus en plus vers le psychologue et moins vers le marabout.

Le besoin est réellement criard…

Tout à fait. Malheureusement, les quelques psychologues qui sont au Mali ne sont pas implanté de façon officielle au sein d’une structure. Donc le cabinet PSY2A est le premier cabinet de psychologie au Mali. Cela a demandé beaucoup d’investissements en temps pour avoir les autorisations et une License d’exploitation. Et vu toutes les difficultés administratives, cela n’a vraiment pas été évident de vouloir s’implanter en tant qu’entrepreneur car il a y a beaucoup de choses qui découragent. Mais j’ai cru en moi, en cette profession et je me suis dit :’’je vais me battre jusqu’au bout’’.  Ce qui explique aujourd’hui l’implantation du cabinet à Sotuba ACI.

Dans chaque société, une catégorie de personnes est susceptible d’être plus vulnérable qu’une autre sur le plan psychologique. Selon vous, au Mali, qui sont les plus fragiles sur le plan psychologique par rapport à la moyenne ?

Alors, par rapport à la moyenne, il faut distinguer deux types de patients qui viennent me voir tout en excluant les occidentaux et les expatriés. Je dirais qu’il y a 40% des patients qui sont issus de milieux défavorisés et d’un environnement pas ou peu instruit. Ce ne sont pas des cadres et ils ont des difficultés d’adaptation à la société actuelle et qui ont surtout un manque de confiance en soi. Ce dernier aspect du manque d’estime en soi explique les difficultés auxquelles sont confrontées ces populations. Ce sont des personnes qui n’arrivent pas à gérer le quotidien, que ce soit sur le plan familial ou professionnel. Même quand on leur propose des avancements sur le plan professionnel, ils ont peur d’affronter la réalité, d’aller vers un poste beaucoup plus avantageux. Pour ce qui concerne les difficultés familiales, j’ai remarqué qu’il y a beaucoup de pères de famille qui se retrouvent débordés par l’éducation de leurs enfants. Plus la famille est grande, plus il y a des difficultés. Et, comme c’est la société qui gérait en quelque sorte le problème des couples et des familles, celle-ci étant de plus en plus individualisée, ces chefs de  famille n’arrivent plus du coup, à gérer le quotidien. Ils sont en mal au niveau de l’éducation de leurs enfants, voire même au niveau du couple. Le deuxième type de population sont des cadres, qui ont fait des études poussées au Mali ou à l’étranger, qui reviennent au pays pour certains, et ont à la pression au niveau du travail. Ils sont vraiment débordés sur le plan professionnel et ils n’arrivent plus à gérer le stress au sein de l’entreprise. A cela s’ajoute le stress de la famille. Ce sont des individus qui rentrent très tard à la maison, ce qui cause des difficultés dans le foyer conjugal. Ces différents patients comprennent l’urgence de se faire soigner et de se faire accompagner sur le plan thérapeutique en vue d’un soutien psychologique. Il en va même de leur avenir professionnel et familial.

InfoSept : Au Mali, même quand on a un mal physique, on a souvent plus tendance à aller consulter le tradithérapeute avant le médecin « occidental ». Si un patient vient dans votre cabinet et qu’il se plaint de maux mystiques, d’abord, est-ce que vous allez y croire et quel traitement vous lui proposeriez, sans pour autant évoquer toute la panoplie de vos soins ? Petite question personnelle à l’appui, vous-même, vous y croyez à toutes ces choses mystiques ?

Je peux vous assurer qu’il y a environ 30% de mes patients qui ont des difficultés personnelles ayant des explications mystiques. Ils viennent clairement expliquer qu’ils ont été hanté ou envouté par telle ou telle personne. Et là, je comprends tout de suite, que ce sont des difficultés d’ordre mystique. Bien attendu, j’y crois ! Ça ne veut pas dire que tout est vrai, mais il y a une part de vérité. Parce que quand on croit entièrement en quelque chose, on est fragilisé et de facto, on ne croit pas en soi. On a du mal à comprendre pourquoi telle ou telle chose nous arrive. Etant donné que les gens sont beaucoup plus influencés par les traditions,  ils sont beaucoup plus fragiles sur le plan psychologique. J’ai des patients qui croient en cela et j’essaie de faire une sorte de diagnostic des différentes difficultés qu’ils rencontrent. Cela peut être en générale des troubles du sommeil, des cauchemars, des voix qu’ils entendent de façon permanente, que ce soit en plein jour ou dans la nuit. Donc, j’essaie de faire une évaluation de ces troubles et avant d’aller en profondeur, on est obligé, bien entendu, de procéder à des examens d’ordre médical. Je vérifie s’ils ont fait des examens biologiques, dans le cas contraire, on les encourage à le faire pour savoir s’il n’y a pas aussi des difficultés d’ordre biologique, somatique. La plupart du temps, c’est des difficultés d’ordre psychosomatiques. Il y a le côté biologique et psychologique. J’ai d’autres patients qui ne croient pas forcément à ces explications mystiques mais qui au bout de la deuxième ou troisième consultation, iront consulter le marabout ou le guérisseur. Et, comme ils se retrouvent gêner par les explications de ces derniers, ils reviennent vers moi de nouveau. Parce qu’ils trouvent que c’est du « bla bla » qu’on leur raconte. Très sincèrement, je pense que les personnes rencontrent en premier lieu, des difficultés personnelles. Ils doivent s’interroger sur eux-mêmes et comprendre que le mal qu’ils ont en eux, est personnel. C’est-à-dire, par exemple, qu’ils ont un quotidien très agité. Ils se réveillent très tôt et se couchent très tard. Et donc quand l’organisme est fatigué, on a du mal à dormir. Il faut alors prendre soin de son corps, sur le plan alimentaire et sur le plan du soi afin de soigner son corps et son esprit. Quand on dort mal, on mange mal. De plus, quand on a très peu d’activités physiques, l’organisme est bien sûr fragilisé et a du mal à s’équilibrer. C’est un long travail d’explication aux gens que le mal qu’ils ont, c’est plutôt un mal d’ordre psychologique ou organique et pas forcément d’ordre mystique.

InfoSept : Donc, le mal qu’il soit d’origine mystique ou physiologique, la base c’est d’abord soi-même. Et le traitement qu’il soit aussi mystique ou physiologique, commence d’abord par soi-même. Dans le même ordre d’idées, l’efficacité du traitement qu’il soit mystique ou physiologique dépend surtout de l’état psychologique de la personne…

Tout à fait. C’est-à-dire que dans les différentes séances de thérapie qu’on va faire avec les patients, l’on va essayer de leur donner beaucoup de confiance en soi. Je donne un exemple. Regarder seulement comment les parents éduquent leurs enfants dès le très jeune âge. Quand un enfant n’arrive pas à faire quelque chose, le moindre échec, on lui crie dessus, « fils de nul, va-t-en, tu n’as pas honte », (fugari den, Tâ ka boy, I té maloya !). On dénigre l’enfant, ce qui fait qu’en grandissant, il garde une très mauvaise image de lui et n’as pas confiance en lui-même. Contrairement aux sociétés occidentales où on pousse l’enfant à avoir confiance en lui-même et à être autonome très tôt. On constate dans ces pays, qu’à 14-17 ans,  ils commencent des stages et commencent même à travailler.  Quand on voit le parcours scolaire et universitaire chez nous au Mali, on commence très tard à être autonome. Et même le petit stage qu’on pense avoir, on ne l’a obtenu que grâce à un oncle ou un père alors qu’il faut faire une candidature, un CV, une lettre de motivation, se préparer à un entretien pour convaincre l’employeur qui est devant soi. Et malheureusement, on n’est pas habitué à cela. Au Mali, l’individu doit avoir de plus en plus confiance.

InfoSept : Dr. Haidara, votre mot de la fin. La psychologie au Mali, vous y croyez ?

J’y crois à 200%. On aura plus le choix. En occident également, il y a quelques années, les charlatans avaient pignon sur rue. Tout le monde se disait psychologue sans avoir effectué une formation universitaire qualifiable. C’est au milieu des années 1980, que la psychologie est devenue une science exacte. Depuis, la profession est règlementée avec un ordre des psychologues qui dépend de la direction de la Santé. Au Mali, ça n’existe pas. Moi-même pour m’implanter, j’ai dû passer par l’ordre des médecins à défaut de l’ordre des psychologues. Depuis 30 ans en Occident, la psychologie a pris de l’ampleur pour la simple raison que gens vivent de plus en plus dans une société très tendue. La pression est quotidienne du matin au soir. Au travail, dans la rue, l’individu lui-même et dans la maison. Malheureusement au Mali, l’Afrique de façon générale, mondialisation oblige, la société se transforme. Les gens ont un rythme élevé de travail, les familles ne sont plus ce qu’elles sont. Avant, elles étaient beaucoup plus élargies avec les grands-parents. Tout le monde vivait ensemble, ce qui fait qu’on se soutenait, qu’on s’épaulait dans les difficultés du quotidien. Vu que cela n’existe plus ou existe de moins en moins, les gens n’auront autre choix que d’aller voir des vrais professionnels de l’écoute que sont les psychologues. Ces marabouts ont aussi bien sûr de l’avenir mais ils vont être plus centrés sur des gens qui n’ont pas les moyens d’aller vers des psychologues. La consultation chez un psychologue coute plus cher. Cependant, les gens peuvent se procurer les moyens s’ils y croient. Les résultats sont très visibles rapidement. Le Mali n’aura pas le choix que de former plus en plus de psychologues. Dans mon cabinet, j’ambitionne de former des jeunes psychologues et des étudiants qui sont déjà au niveau de la faculté des lettres. On n’aura autre choix que de se préparer pour faire face aux difficultés quotidiennes. On a beaucoup d’avenir. Le cabinet a beaucoup d’avenir. Et j’espère qu’il y aura d’autres psychologues qui auront de l’avenir. Nous essaierons de travailler ensemble. Et bien entendu, en partenariat avec des psychiatres.

InfoSept : Je vous remercie Dr. Haidara

Merci à vous M. Thiam

Propos recueillis par Ahmed M. Thiam

thiam@journalinfosept.com  

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