«Le président IBK est venu au pouvoir malheureusement dans une situation sécuritaire difficile et avec une absence totale de programme et de visions économiques qui étaient des éléments indispensables pour appréhender la crise et nous sortir du trou »
Le Dr. Etienne Fakaba Sissoko est connu pour son franc-parler. Il dit tout haut ce que beaucoup de gens pensent tout bas. Dans cet entretien sans tabou qu’il a bien voulu nous accorder, l’économiste chargé de Cours à l’Université de Bamako et directeur du Centre de recherches et d’analyses politiques et économiques du Mali, fait une analyse de la situation économique du pays et du bilan économique des deux ans au pouvoir du président IBK. Il évoque aussi ce qu’il faut selon lui pour booster le secteur industriel, moteur de croissance. Il pense tout le contraire sur la situation des caisses de l’Etat qui selon le ministre de l’Economie et des Finances est aux verts. Notre interlocuteur n’a pas en outre manqué de faire ses propositions pour un Mali Emergent. Analyse d’un citoyen engagé qui ne fuit jamais les débats.
Infosept : Bonjour Dr, quel est le regard de l’économiste universitaire que vous êtes sur la situation globale du pays à la veille de l’anniversaire de l’accession du présidant IBK au pouvoir ?
Dr. Etienne Fakaba Sissoko : Comme vous le savez, nous venons de sortir d’une grave crise qui a malheureusement ébranlé tous les secteurs de notre économie, que cela soit de l’économie réelle ou en termes de création de richesses, d’entreprises et d’emplois. Au niveau du Budget qui est le principal instrument sur lequel s’appuie l’Etat pour faire fonctionner l’Economie et réaliser des investissements productifs. Or, ce budget a eu un coup énorme à cause des recettes fiscales qui ont baissé pendant ces deux dernières années. Et, à cause également de la crise sécuritaire que nous avons vécue et qui n’a pas permis aux entreprises internationales de choisir la destination Mali pour des investissements directs étrangers. Donc, aujourd’hui, la situation économique est critique et cela s’est matérialisé par les taux de croissance que nous avons connu depuis 2012 jusqu’à maintenant. Même si on note a une légère augmentation du PIB qui a atteint aujourd’hui les 5,1%. Ce sont des signes qui peuvent être encourageants si on prend en compte la dimension redistribution des richesses que cela a pu engendrer dans le pays. Aujourd’hui, l’enjeu n’est pas d’avoir un taux de croissance à deux chiffres ou plus, c’est d’avoir plutôt un taux de croissance qui profite à la population et qui ait une répercussion réelle sur le panier de la ménagère et au-delà sur le pouvoir d’achat des populations. Et c’est ça le défi auquel il faut s’attaquer et réussir.
Infosept : Et quelles lectures économiques spécifiques faites-vous des deux ans au pouvoir du président IBK ?
Dr Etienne F. Sissoko : Le président IBK est venu au pouvoir malheureusement dans une situation sécuritaire difficile et avec une absence totale de programme et de visions économiques qui étaient des éléments indispensables pour appréhender la crise et nous sortir du trou. Depuis 2002 jusqu’à maintenant, les seuls documents de référence en matière de politique et de stratégie économiques restent le document du Cadre Stratégique de Lutte contre la Pauvreté (CSLP) et ensuite le Cadre Stratégique de Réduction de la Pauvreté (CSRP), qui ne répondent plus aux préoccupations des maliens sur le plan économique. Aujourd’hui, on a fait des déclinaisons de cette stratégie économique, d’abord en Programme de Relance pour une Economie Durable (PRED) et ensuite en Programme d’Action Gouvernementale. (PAG). Historiquement, tous ces programmes sont en réalité inspirés du Cadre Stratégique de Lutte contre de la Pauvreté qui lui-même est une émanation des Institutions de Brettons Woods que sont la Banque mondiale et le FMI. La principale question aujourd’hui est de savoir si des politiques économiques conçues ailleurs par des experts déconnectés totalement de la réalité économique que nous visons, sont à mesure de permettre au Mali de sortir de cette crise ? Absolument pas. Donc, aujourd’hui, les priorités dans le domaine économique c’étaient d’abord de rationaliser les dépenses de l’Etat, de mieux gérer le peu de ressources que nous avons. A témoin, vous prenez l’ensemble des secteurs de notre économie, le budget que nous consommons est 80% utilisé dans le fonctionnement et le Budget spécial d’investissement (BSI) représente très peu dans ce pourcentage. Deuxième indicateur, lorsque vous regardez également la nomenclature budgétaire, c’est-a-dire la répartition de la structure du budget, vous vous rendez vite compte que les 70% sont utilisés exclusivement par le pouvoir central à Bamako et les régions se répartissent les 30%. Sur ces trente pour cent, la majeure partie est allouée aux dépenses de fonctionnement. Ce qui se résume par une absence totale d’investissement qui pourtant est indispensable dans le contexte actuel pour relever notre économie. Ainsi, on a l’impression qu’il y a un manque de vision et de stratégie économiques. Et en l’absence d’une telle prise de conscience, je vois très mal comment on pourrait sortir de là. A côté de ceux-ci vous avez les recettes fiscales, qui en période de crise auraient dû nous permettre de souffler un peu. Or, ces recettes sont en panne, comme en témoigne la récente grève des inspecteurs des impôts. C’est ce qui explique aussi les manques successifs à gagner de l’Etat au fil des mois et des années. Aujourd’hui, il y a de véritables réformes que nous devons avoir le courage d’entamer dans ces différents domaines pour rendre compétitifs ces différents secteurs. Mais aussi venir dans l’économie réelle, s’intéresser au secteur informel. Il y a la nécessité de réfléchir à ces différents problèmes pour permettre à l’Etat de booster ses recettes fiscales qui sont indispensables à sa croissance.
Infosept : Sur un autre registre, on sait qu’il n’y a pas de développement sans industries, selon vous qu’est-ce le Président IBK a fait ces deux dernières années pour booster ce secteur ?
Dr Etienne F. Sissoko : Je n’ai pas vocation à faire la promotion de ce que le président IBK fait, mais ce que je puis vous dire, c’est que notre économie est basée principalement sur deux à trois secteurs. Le premier, on le sait tous, c’est l’Agriculture qui est fortement concentré sur la coton culture et le coton que nous transformons moins et que nous vendons à l’état brut à lui seul ne peut pas nous permettre d’accéder à la croissance que nous souhaitons. Il aurait fallu penser à mette en place les industries de transformation liées au Coton et toutes les différentes déclinaisons possibles que l’on peut faire avec le coton en matière d’industrie. Par exemple, on le sait, le coton peut être utilisé pour faire du savon, du tissu, de l’huile etc. Donc, pour bénéficier des avantages comparatifs que nous avons dans la production du coton, il aurait fallu avoir des unités de production qui transforment ce produit, parce qu’aujourd’hui, la fixation du prix du coton échappe totalement à notre contrôle. Celui qui vend n’est pas celui qui fixe son prix mais celui qui achète. Il y a également le secteur minier et le domaine de l’élevage qui se trouvent être dans la même situation où il y a des potentialités énormes à exploiter. Bref, il faudrait recentrer le programme économique et l’adapter aux potentialités que nous avons au Mali pour pouvoir créer des unités industrielles. Aujourd’hui, cette politique n’est pas encore mise en place par faute de moyens et surtout de volonté politique.
Infosept : Que répondez-vous au ministre de l’Economie et des Finances qui avoue que la situation des caisses de l’Etat n’est pas alarmante ?
Dr Etienne F. Sissoko : Il est vrai qu’aujourd’hui les comptes du Trésor sont aux verts. Cela montre qu’on a une certaine capacité financière à pouvoir réaliser des investissements, seulement l’argent du contribuable n’est pas injecté dans nos domaines prioritaires. Ici, je vais sortir du domaine de l’économie parce qu’aujourd’hui la priorité c’est la Sécurité, avec la question des armements, de la prise en compte des conditions de vie de nos soldats, du renseignement qui doivent être pris en charge par le ministère de l’Economie et des Finances sous l’impulsion du président de la République. On sait aussi que le pays souffre d’énormes problèmes en matière d’infrastructures. Donc, au lieu de garder l’argent au prêt, parce qu’on sait qu’il y a des crises sociales qui risque de venir sous peu, il faut le faire circuler parce que c’est la circulation de l’argent qui détermine le dynamisme de la croissance et la densité de l’activité économique d’un pays. Cette vitesse de circulation dans une économie qui bouge est un indicateur dont on tient compte au niveau international si on veut émettre des obligations pour facilement lever des fonds. Le seul fait de mettre en l’avant la question de la liquidité au niveau du Trésor, pour moi est un faux débat, c’est ramener l’économie à des questions de non-sens. Il faut sortir de là et prendre à bras-le-corps la question réelle de notre économie. Le ministre de l’Economie et des Finances fait plus de politique budgétaire que de l’économie réelle. Posons-nous des questions simples : Qu’est-ce qu’on fait aujourd’hui en direction de nos entreprises ? Quelle politique avons-nous mis en place pour la création de richesses et d’emplois ? Etc. Et, aujourd’hui, il n’y a pas presque pas de politique économique et très peu de vision par rapport à tout ce qui précède.
Infosept : alors si vous étiez là ou vous devriez être, quelles solutions économiques préconiseriez-vous pour un Mali émergent ?
Dr Etienne F. Sissoko : Comme je disais dans mes propos précédents, il s’agit de replanter les priorités de notre Etat, c’est-à-dire revenir aux secteurs qui sont prioritaires, d’avoir une politique en destination de l’agriculture pour que le paysan puisse vivre de son travail ce qui passe par la modernisation du secteur et mettre en place des unités de production pour la transformation de nos produits agricoles. Une autre chose serait de s’intéresser à la dimension entreprise et industrielle de notre économie, parce l’Etat à lui seul ne peut pas réaliser tous les investissements et les infrastructures dont le pays a besoin. Alors, il nous faut un secteur privé dynamique qui puisse soutenir l’économie qui passe par la prise en compte d’un certain nombre de problèmes. Il faut aujourd’hui alléger la procédure en matière de création d’entreprises et se pencher vers le secteur informel avec sa fiscalisation et sortir de ces exonérations qui constituent des manques à gagner énormes pour le Trésor public. A côté de cela, il y a le budget de l’Etat qui doit être revu compte tenu de la situation économique de notre pays. Il faut aujourd’hui diminuer le train de vie de l’Etat. On l’a dit et on ne cessera pas de le répéter : l’Etat vit énormément au-dessus de ses moyens. Aujourd’hui, les véhicules 4×4 et les bureaux climatisés où il n’y a personne dedans et au même moment le fonctionnaire, lui n’a pas de quoi payer son loyer. Alors, il faut revaloriser le salaire des fonctionnaires et diminuer considérablement les frais de fonctionnement de l’Etat. Il faut aujourd’hui supprimer les véhicules d’Etat qui consomment énormément en termes de carburant, d’entretien et même de coût d’acquisition. Pour moi, il faut revenir au bon sens économique, à savoir rationaliser la dépense publique et tenir compte des seules priorités qui permettent de relancer notre économie.
Infosept : Si aujourd’hui on vous demandait de noter le Président IBK, combien l’auriez-vous donné sur 20 ?
Dr Etienne F. Sissoko : Je refuse de donner une note mais ce que je puis vous dire en tant que citoyen et économiste, je ne suis pas satisfait du bilan économique du président et cela est indéniable. Le citoyen lambda se retrouve aujourd’hui dans la même situation où les indicateurs qui auraient pu nous permettre de souffler un peu sont aux rouges. Ces indicateurs, c’est entre autre l’épargne du ménage. On sait que c’est quand un ménage arrive à subvenir à ses besoins élémentaires, qu’il y a de l’épargne dont le taux est aujourd’hui extrêmement faible. L’autre indicateur, c’est le niveau de vie de nos populations qui continuent à baisser drastiquement malheureusement : c’est l’absence de classe moyenne au Mali. Or, l’émergence économique se sent à travers ces différents indicateurs. C’est quand de plus en plus de personnes auront accès à une éducation de qualité, à des services de santé de proximité et qualité aussi, qu’on parlera de bon bilan et d’émergence économique pour le Mali. Malheureusement cela n’est pas le cas actuellement.
Infosept : Que pensez-vous du journal Inf@sept qui se veut sous-régional ?
Dr Etienne F. Sissoko : C’est à l’image de tous les médias aujourd’hui au Mali qui doivent être soutenus et encouragés dans les actions qu’ils mènent au quotidien. Parce qu’informer est une vocation, un devoir et un art. Il faut aujourd’hui que ceux qui ont fait de leur vocation ce métier, que les journalistes soient habilités et que les journaux soient réhabilités. Parce que malheureusement comme dans tous les secteurs notre vie publique, les journalistes n’échappent pas à la corruption et aux intimidations. Il faut aujourd’hui arriver à mettre ces journalistes dans de bien meilleures conditions pour qu’ils puissent traiter de façon libre et impartiale l’information. Pour l’instant, nous constatons qu’Inf@sept est dans cette dynamique et on espère que vous allez tenir le cap pour ne pas tomber dans les travers de ce que nous avons connus.
Propos recueillis
Par Dieudonné Tembely
Belle analyse Dr Etienne.
Au fait, je ne vous vois plus dans le débats qui est diffusé sur AFRICABLE tous les Dimanches.
Je souhaite avoir votre e-mail pour pouvoir communiquer avec vous.
etienne la problématique de l économie est bien percue.on a des un ministre juste caissier pas un ministre de l économie. la trésorerie de l etat s explique par le blocage des depenses de l etat qui sont a 30% d execution et les recettes a 50%.un conseil qd vous intervenez sur les qstions budgetaires faites juste un petit sondage dans les administrations. l etat malien paye les fonctionnaires a ne rien faire.rgarder la situation d execution des depenses d investissement a la date d aujourd’hui! !!!.
on va forcement vers un recul de la croissance au 31 décembre pour qui connaît l impact des depenses sur la croissance.
autr chose etienne l embelie des recettes est du a la chute du cours du baril du petrole qui n a pas été repercute sur lz prix a la pompe.cette trésorerie est sur le dos du consommateur.c est exogène a la douane
Très bonne analyse. Dommage pour Chahana, Baly et autres qui refusent de se mettre dans cette lignée à cause des privilèges.
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