Spécialiste des maladies infectieuses et médecine interne générale, professeur d’université et enseignant les maladies infectieuses parasitaires et les maladies émergentes, Dr Didier Tshialala est également le coordinateur médical de l’ONG Médecins Sans Frontières (MSF). Dans cet entretien, il nous parle du pic du paludisme constaté l’année dernière dans les régions du nord et du centre, de la prise en charge de cette situation, du rôle des communautés dans les activités médicales de MSF, des nouvelles initiatives prises par l’ONG pour la prise en charge des paludéens cette année… Interview !
Le Matin : Les régions du nord et du centre du Mali ont connu un pic de paludisme l’année dernière. Quelle en était la cause ?
Dr Didier Tshialala : Nous avons effectivement assisté à un pic des cas de paludisme dans le nord et le centre du Mali. Ce qui reste normal car en hivernage (saison pluvieuse), on s’attend à une augmentation du nombre des cas de paludisme. En saison pluvieuse, il y a des marres d’eau qui se forment dans ces zones. Et ce sont des endroits par excellence où les moustiques se reproduisent en grande quantité. Dans leur cycle de reproduction, ils ont besoin d’espaces comme cela. En conséquence, il y a beaucoup de piqûres de moustiques au sein de la population provoquant un nombre de cas importants de paludisme pendant la saison des pluies.
Secundo, le nord du Mali n’est pas une région habituée à une présence pérenne de la malaria toute l’année. Par rapport aux populations du sud, celles du nord sont généralement mal immunisées, mal protégées contre cette maladie. Ainsi, par exemple pour le même nombre de piqûres (charge parasitaire), quelqu’un du nord risquerait de faire un paludisme simple voire forme grave contrairement à un habitant du sud qui est exposé aux piqûres des moustiques toutes l’année sans nécessairement tomber malade, car relativement immunisé contre la maladie. Ainsi pour quelqu’un du sud, il faudra une grande charge parasitaire pour faire le paludisme.
Quelles ont été les couches les plus affectées ?
Dr Didier Tshialala : Très bonne question ! Dans pareilles circonstances, la première couche la plus affectée est constituée d’enfants de 0 à 5 ans. A la naissance, l’enfant n’a pas encore son immunité propre pour se protéger contre ce genre de maladies, en l’occurrence le paludisme. Il jouit donc de l’immunité transmise par sa mère à la naissance. Et plus il grandit, plus cette immunité matermo-transmise (transmise par les mamans) diminue. Ce qui fait que, à l’âge de 5 ans, il n’a presque plus d’immunité transmise par sa Maman et doit développer sa propre immunité. Il devient alors très vulnérable le temps de mettre en place sa propre immunité efficace.
Les femmes enceintes constituent la 2e couche la plus affectée, surtout pendant les trois premières grossesses. La grossesse entraîne la présence d’un nouvel organe appelé le placenta. Étant un nouvel organe dans l’organisme de la maman, le placenta constitue un endroit où se multiplient des nouvelles formes de plasmodiums (parasites responsables de la malaria) auxquels l’immunité de la maman n’est pas habituée. En s’y multipliant, ils exposent la femme en état de grossesse à développer la forme grave de cette maladie. Mais, le constat est que plus le nombre de grossesses augmente, plus la forme grave du paludisme chez la femme enceinte diminue.
Comment des ONG comme la vôtre ont-elles pu faire face à ce pic de paludisme de l’année dernière ?
Dr Didier Tshialala : Au Mali, nous ne sommes pas seulement dans le nord, mais aussi au centre, notamment à Douentza et à Koro. Mais, je vais vous parler spécifiquement de nos actions dans le septentrion, notamment à Ansongo, à Kidal et à Tombouctou. Dans la région de Kidal par exemple, on a mis en place une équipe qui fait des cliniques mobiles. Puisque les populations ont du mal à se déplacer vers les structures sanitaires (les distances sont souvent longues, les déplacements ne sont pas aisés en hivernage ; sans compter le risque lié au contexte sécuritaire sur le trajet). Dès que nous recevons une alerte nous informant qu’il y a beaucoup de cas de paludisme dans une zone donnée, on déplace une équipe mobile. Et il est facile de déplacer 4 à 6 personnes que de déplacer toute une population. Cette équipe est dotée de tous les intrants utiles pour le diagnostic et la prise en charge des cas de paludisme simple et les formes graves (anémie et neuro-paludisme sont référés par MSF dans les structures de santé après l’administration de la première dose du traitement pour une meilleure prise en charge. Le déplacement de cliniques mobiles est donc l’activité phare que nous avons menée dans cette région du pays pour faire face au pic de la malaria.
Dans la région de Tombouctou, nous allons mettre en place un projet d’urgence de 5 mois au centre de santé de référence de Tombouctou pour prendre en charge tous les cas simples ou graves du paludisme et 3 centres de santé communautaires (Kabara, Bellafarandi et Sankoré) ainsi que des sites fixes pour prise en charge dans les aires de santé de Gourou, Darsalam et M’Babou où la maladie sévissait y compris l’activité de sensibilisation communautaire sur le paludisme.
Au Centre de santé de référence (CsRef) d’Ansongo, en plus de nos activités courantes contre le paludisme, nous avons augmenté le nombre du staff médical (médecins et infirmiers) parce que nous savons que pendant le pic palu, il faut s’attendre à une augmentation de la charge du travail. Certes, le gouvernement organise aussi la chimio-prévention du paludisme saisonnier (CPS) pour prévenir et réduire le nombre d’enfants de 0-5 ans victimes du palu. Mais cette stratégie est souvent confrontée à un problème logistique comme par exemple le déplacement des médicaments du chef-lieu de cercle ou de commune à la population d’une zone éloignée. Nous intervenons généralement avec un support logistique au Ministère de la santé pour faciliter l’acheminement des intrants de la CPS. Nous intervenons dans la prise en charge du personnel, notamment en assurant par exemple les primes.
Dans le cercle de Ténenkou, nous avons élargi nos activités en intégrant la pédiatrie pour prendre en charge les enfants de moins de 15 ans contre le paludisme. De ce fait, avec l’appui aux services de Médecine et des urgences, MSF appuie l’entièreté des soins de santé secondaire et assure le référencement des cas à l’hôpital régional. Et chaque année, pendant la période de pic palu, nous déployons des agents communautaires (agents palu) pour détecter et traiter les formes simples du paludisme et référer les cas compliqués vers les CSCOM. Nous faisons également des cliniques mobiles dans tout le cercle pour apporter des soins à toute la population.
Quel a été le rôle des communautés dans la résolution de cette crise palustre ?
Dr Didier Tshialala : Nous avons bénéficié de l’appui indirect des communautés. Lorsque nos équipes se déplacent, elles mettent à leur disposition un endroit pour travailler pendant tout leur séjour et aussi un endroit pour dormir. C’est un appui fondamental que nous avons de la communauté. Nous ne demandons pas autre chose que cet appui et l’engagement des communautés.
Avec l’abondante pluviométrie cette année, avez-vous enregistré un nouveau pic dans ces régions ?
Dr Didier Tshialala : Je n’ai pas encore toutes les données du mois de septembre (l’interview a eu lieu le 25 septembre 2021). Mais, celles de juillet et août 2021, comparée à celles de l’année dernière à la même période, elles restent superposables. Nous constatons une augmentation des cas de palu forme simple et grave sur l’ensemble des projets où nous travaillons, notamment à Kidal, Ansongo, Douentza, Koro, Niono et Koutiala. La seule différence que nous avons notée cette année, c’est que cette hausse est intervenue plus tôt que l’année dernière. Une situation sans doute liée à la précocité des pluies cette année. Nous avons aussi constaté que, dans une zone d’intervention comme Ansongo par exemple, le nombre des cas de palu grave est plus important cette année comparativement à 2020 à la même période.
Il y a deux formes de palu grave : nous avons la forme anémique chez les enfants et adultes qui viennent avec un palu accompagné d’une anémie, c’est-à-dire une diminution du taux d’hémoglobine. La seconde forme est neurologique et les personnes arrivent dans un état de convulsion ou de coma parce qu’ils ont une charge parasitaire importante dans leurs corps. Mais généralement et plus particulièrement chez les enfants entre 0-5 ans, on trouve la forme mixte (anémique et neurologique)
Le nombre de ces deux formes de paludisme grave semble être plus important cette année qu’en 2020 à Ansongo. Cela s’expliquerait, entre autres, par le fait qu’il y a eu beaucoup de déplacements des populations qui n’ont pas forcément accès aux soins de santé de manière précoce alors qu’ils sont dans un environnement qui les expose à des piqûres permanentes de moustiques.
Suite à la situation vécue l’année dernière, des dispositions avaient-elles été prises pour éviter un nouveau pic cette année ?
Dr Didier Tshialala : Des dispositions ont été effectivement prises. La prévention du paludisme est axée sur deux à trois volets. La première, c’est que cette prévention doit être pérenne. Il faut donc continuer à faire la promotion de la santé en expliquant par exemple aux populations qu’il faut toujours dormir sous des moustiquaires imprégnées, surtout pendant la saison des pluies, pour éviter les piqûres de moustiques. Et nous le faisons de façon pérenne là où nous avons nos projets. La seconde action à faire, c’est la chimio-prophylaxie saisonnière qui n’est utile que pendant le pic palu. On ne peut pas le faire toute l’année. Malheureusement, nous avons constaté que la CPS a commencé cette année, mais elle s’est limitée à la première phase dans beaucoup de zones par manque de moyens financiers et parfois une rupture de stock des intrants nécessaires pour la prise en charge.
Est-ce que ces pics de paludisme ont un lien avec le changement climatique ?
Dr Didier Tshialala : C’est clair qu’il y a un lien direct. Qui dit changements climatiques, dit aussi variation de la pluviométrie de plus en plus précoce et abondante. Et plus il y a de pluies, plus il y aura des marres offrant aux moustiques l’endroit idéal pour se reproduire abondamment. En conséquence, il y aura de plus en plus de cas de paludisme.
Peut-on alors craindre des pics d’autres maladies en dehors du paludisme ?
Dr Didier Tshialala : Pour le moment, cette hausse de température due au changement climatique et la pluviométrie abondante et précoce se traduit par un pic des cas de paludisme simple et grave. Mais, il faut s’attendre aussi à la fréquence d’autres maladies car le moustique ne transporte pas seulement le germe responsable de la malaria. Il peut aussi transporter celui d’autres maladies comme le chikungunya, la dengue, le virus du zika… Dans les années à venir, il faut s’attendre à ce qu’il y ait plus de cas de ces maladies dans notre environnement.
Quelles sont les innovations en cours au niveau de MSF par rapport à la santé dans vos zones d’intervention au Mali ?
Dr Didier Tshialala : Cette année, nous avons tenté une nouvelle expérience dans l’une de nos zones d’intervention : Douentza ! Nous sommes présents au CesRef de Douentza et aux CSCOM de Boni, Hombori et Mondoro. Les années passées, nous avons remarqué qu’il y a eu beaucoup de références entre Boni et Douentza, surtout pendant le pic paludisme. Et jusqu’à 70 % de ces références étaient dues à une raison d’anémie, donc de malades qui avaient besoin d’être transfusés. Boni n’avait pas cette capacité de transfusion. Et nous savons tous que pendant la saison des pluies, il n’est pas évident de circuler sur cette route. Sans compter le contexte sécuritaire qui rend les déplacements encore assez périlleux. Et il n’est pas non plus aisé de faire circuler le staff sans crainte sur le plan sécuritaire dans cette zone. Mais quand on a un enfant ou une femme enceinte qui fait une anémie, on n’a pas d’autres choix que de le référer à Douentza pour sa prise en charge efficace (transfusion)… C’est ainsi que nous avons obtenu du ministère de la Santé et du Développement social, que nous remercions, l’autorisation de doter le CSCOM de Boni d’une capacité de transfusion sanguine.
Nous avons mis à sa disposition un laborantin et un aide-laborantin, un frigo solaire permettant de stocker les différents intrants liés à la sécurité transfusionnelle. Ce qui fait que, aujourd’hui, ce Centre de santé communautaire (CSCOM) a la capacité de transfuser sur place à Boni, donc sans nécessairement référer le malade à Douentza. Ainsi, on diminue le nombre de références entre Boni et Douentza. Cette expérience est en cours depuis le mois d’août dernier. Il y a eu 11 transfusions au mois d’août et pour les trois premières semaines de septembre (l’interview a eu lieu le 25 septembre 2021) nous sommes déjà à une quarantaine de transfusions. Et jusqu’à maintenant, la totalité des transfusions sanguines réalisées par nos équipes à Boni se sont passées sans incident.
Cette initiative nous permet donc de sauver des vies sur place à Boni. Et du coup, on désengorge Douentza pour la transfusion et on améliore le plateau technique du CSCOM de Boni en le rendant autonome en matière de transfusion sanguine. Si l’expérience est concluante, nous allons la dupliquer partout où c’est nécessaire dans nos zones d’intervention avec le soutien et l’autorisation bien entendue du ministère de la Santé et du Développement social.
Au niveau du CsRef de Koro, nous menons présentement deux nouvelles activités. Ainsi, depuis le 1er septembre 2021, nous sommes en train de donner un appui à ce CSRF pour la prise en charge gratuite de tous les cas de forme grave de paludisme. Nous avons été approchés par les autorités sanitaires de la localité qui nous ont signalé que pendant le pic palu, elles reçoivent beaucoup de cas qui nécessitent une transfusion.
Ainsi, on demandait aux malades 10 000 F Cfa pour le renouvellement du stock des intrants liés à la transfusion sanguine. Ce qui n’est pas une maigre somme pour ces populations. Et les familles qui n’avaient pas les moyens d’assurer cette transfusion à leurs patients étaient presque condamnées à les voir mourir. C’est ainsi que nous avons initié une prise en charge gratuite de trois mois (septembre à fin novembre 2021) des formes graves de paludisme chez les enfants et les femmes enceintes au niveau du CsRef de Koro. Et jusque-là ça fonctionne bien avec une moyenne de dix admissions par jour.
Au niveau du CSCOM de Diankabou (ou Diankabo, une commune rurale de Koro) on a mis en place les soins de santé décentralisés (DMC). Cela consiste à recruter des gens dans la communauté. Il s’agit de trois personnes pour chaque unité décentralisée, dont un agent de santé communautaire formé à réaliser des tests rapides de palu, une matrone traditionnelle et un relais communautaire. Cette équipe se rend dans les communautés pour dépister le paludisme de façon précoce et mettre les malades aussitôt sous traitement pour leur éviter de développer une forme grave de la maladie.
Nous avons identifié dix sites pour installer les DMC et 7 sont déjà opérationnels et nous réfléchissons à l’opérationnalisation des trois autres. Si cette expérience est concluante, ce qui est le cas jusqu’à maintenant, nous allons essayer de la dupliquer dans l’ensemble des districts sanitaires de Koro ainsi qu’à Bankass et à Bandiagara. Aussi, en août dernier, en collaboration avec les autorités sanitaires, nous avons ouvert un nouveau projet à Niafunké pour appuyer le CesRef de la localité dans la prise en charge des enfants de moins de 14 ans malades hospitalisés au niveau de la pédiatrie et mener des activités communautaires de cliniques mobiles pour dépister et traiter des formes simples du paludisme et d’autres pathologies dans la zone de Gourma en référant les cas graves au CsRef.
A Koutiala, au sud du pays, en plus de nos interventions au CsRef et dans 37 CSCOM de la périphérie, cette année nous appuyons 3 nouveaux CSCOM de la ville. Et cela parce que nous avons constaté que beaucoup d’enfants sévèrement malades du paludisme nous viennent maintenant de ces CSCOM urbains qu’on appuyait avant.
Avec la crise sanitaire liée à la pandémie du COVID-19, est-ce qu’il est facile de mobiliser des fonds contre les autres maladies comme le paludisme… qui font plus de victimes que le Coronavirus ?
Dr Didier Tshialala : Au début de la pandémie, cela a pesé sur nos interventions. Pour que MSF fonctionne, on a besoin de médicaments que l’ONG ne fabrique pas malheureusement, mais achète. Mais, avec le Covid-19, la plupart des laboratoires, des firmes pharmaceutiques, ont abandonné la fabrication des médicaments traditionnels pour se lancer dans celle des intrants utilisés contre le Coronavirus. Ainsi on a noté, et continue malheureusement de noter, l’insuffisance de certains médicaments utilisés contre la malaria en curatif comme en préventif parce que les firmes qui les fabriquaient ont d’autres marchés plus lucratifs.
La seconde conséquence est liée à la mobilisation des fonds orientés vers le Covid-19. La plupart des fonds collectés ont été orientés vers la fabrication des intrants indispensables à la prévention et au traitement de cette pandémie. Ce qui fait que d’autres maladies comme le paludisme, la tuberculose, le VIH/Sida… ont relativement souffert de manque de fonds pour leur prise en charge normale. Pendant le temps durant lequel on a détourné le regard d’elles, ces maladies n’étaient pas mises en veilleuse. Ce qui s’est aussi traduit par des cas non pris en charge, de nouvelles infections… Heureusement, les choses sont en train de se rééquilibrer progressivement. Cela prendra certainement le temps qu’il faut.
Propos recueillis par
Moussa Bolly
Mobile clinics are great idea but belief is they are extremely difficult to duly staff plus maintaining staffing due to travel necessitate plus living conditions under travel necessitate. We commend Dr. Didier Tshialala plus his staff. We have great news for many more like them.
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