Dr Daniel Amagouin Tessougué : « La Constitution n’appartient pas au pouvoir en place»

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Magistrat émérite, Président de l’Observatoire National de l’Etat de Droit du Mali, le Dr Daniel Amagouin Tessougué crie sa colère et dénonce la fuite en avant de l’Etat malien qui, au lieu de s’atteler à la confection de listes électorales fiables veut "imposer une constitution monarchique" au Mali.

 

26 Mars : Dr, il y a une menace qui plane sur la République du Mali. C’est le projet de révision constitutionnelle. Qu’en pensez-vous ?

Dr Tessougué : Je pense que vous  utilisez le mot juste. Une menace effectivement. Un grave danger. Parce que nous sommes à quelques encablures des grandes échéances électorales. Les élections présidentielles ; puis les législatives. C’est à quelques encablures. Et jusqu’ici, on n’a pas de listes électorales fiables. C’est dangereux. Parce que sans listes électorales, c’est la porte ouverte à la fraude. Justement, toutes nos élections se passent dans la fraude. Toutes nos élections sont baignées dans la fraude. C’est pas moi qui le dis. Le Président de la Cour Constitutionnelle sortant l’a dit. Le Président sortant l’a dit. Le Directeur national de l’intérieur l’a dit. Et c’est un constant. Au lieu de s’échiner à faire des listes électorales fiables, on distraie le peuple en disant : « voilà, le taux d’abstention est élevé. Le pouvoir ne fonctionne pas bien. Il faut revoir la constitution ». Vraiment  c’est du trompe-l’œil. Et là un pouvoir sortant ne doit pas se mettre dans cela. Parce qu’aujourd’hui, le pouvoir sortant ne devrait avoir d’autre enjeu que d’organiser de très bonnes élections et partir.  Maintenant, laisser éventuellement aux Maliens le soin de faire une nouvelle constitution. Si besoin s’en fait sentir. Parce que, comme nous l’avons toujours dit, en tout cas, nous, au niveau de l’Observatoire de l’état de Droit, la Constitution de 1992 n’a jamais été sérieusement appliquée. Jamais jamais. D’ailleurs c’est ce constat que fait Daba Diawara dans la lettre qu’il a envoyée aux Députés. Pour dire que maintenant la lettre soit conforme à la pratique. C’est-à-dire, on a de tout temps violé la constitution. Maintenant, il faut consacrer la violation de la Constitution en entérinant une nouvelle constitution. Donc, nous disons que c’est un danger. Parce qu’il n’y a pas de listes électorales. Le temps nous étant compté ; l’argent nous étant compté aussi. Parce que, ne l’oublions pas, nous sommes un pays qui vit dans une crise financière depuis des lustres. Il est important qu’on focalise tous les efforts sur l’organisation de bonnes élections présidentielles et législatives. Avec de bonnes listes électorales et que tout soit bien sécurisé.

Mais tel qu’on va, à vouloir aller par force, imposer une constitution qui va créer chez nous un pouvoir monarchique ou même divin pratiquement. Il faut faire attention à cela. C’est là que je suis vraiment d’accord avec vous, quand vous dites qu’il y a de graves dangers qui profilent à l’horizon.  

Une monarchie

 

Le 26 Mars : En même temps, nous constatons comme une démobilisation au Mali. Même s’il y a des gens qui disent : « Nous ne sommes pas d’accord, nous ne sommes pas d’accord ».

 

Dr Tessougué : Bon ! Cela me rappelle un peu Labbé Pierre qui dit

C’est une alerte. Le pouvoir a l’impression que, oui, les Maliens sont devenus un peuple de moutons que l’on peut conduire à la bergerie ou au pacquage, comme on veut. Attention ! Et des voix s’élèvent pour dire : «  attention attention, ne passez pas en force. Attention, attention ! ». Et quand le peuple dit « attention », un Gouvernement sérieux s’arrête effectivement. Pour dire : « Allez, il y a l’alerte ». Mais chez nous, j’ai l’impression qu’on prend ça pour la faiblesse. Le peuple n’est jamais faible. Et donc ce qu’on pense être une démobilisation constitue en fait observation. A mon avis, le peuple observe. Parce que, là où vous allez, de part et d’autre, dans les villages, dans les villes, les gens disent : « Mais est-ce opportun de faire une révision constitutionnelle aujourd’hui ? ». Les gens le disent. Donc, faisons attention ! A toutes ces voix qui s’élèvent aujourd’hui pour dire : « Vraiment, arrêtons avec ce projet-là, liberticide. Arrêtons avec ce projet de révision constitutionnel qui tue la démocratie malienne ». Et nous l’avons déjà dit dans une certaine interview, cette démocratie-là, elle n’appartient pas au pouvoir en place, hein. Elle appartient à l’ensemble du peuple malien. Elle est acquise de haute lutte. Au prix du sang. Donc, il faut faire attention à vouloir s’amuser avec cette constitution-là. A nous ramener à de vieilles pratiques politiques où le pouvoir appartient à un seul individu. Qui en fait ce qu’il veut. Cela ne se passera plus jamais dans ce pays-là. C’est clair que c’est une voix simple qui  dit ces mots-là. Mais je suis sûre que je suis l’écho de millions et de millions de voix de Maliens qui pensent que cette constitution-là, ou alors on l’améliore dans le sens des intérêts du peuple, de donner réellement le pouvoir au peuple, ou alors on la laisse en paix. Mais ne touchons pas à une constitution pour ramener chez nous une hyper présidentialisation.  Ça ne passera pas. C’est clair. Donc la démobilisation pour moi n’est pas une démobilisation.

 

Le 26 Mars : Dr Tessougué, il y a quelque chose de contradictoire que l’on observe au Mali. Autant le Président ATT est sur le point de départ, autant, il fait de la révision constitutionnelle une question personnelle. Pensez-vous qu’il ait un enjeu autour de  ce projet ?

 

Dr Tessougué : Bon ! Je ne pense pas que lui soit un enjeu. L’enjeu c’est l’avenir du Mali. C’est ça l’enjeu. Parce que des hommes passent. Mais le Mali va rester. Ce qui est évident. Prenons notre courte histoire. Comment les Présidents sont venus et sont partis ? Comment ils sont morts ? Donc vraiment, un individu n’est pas un enjeu au Mali. C’est l’avenir du Mali qui est un enjeu. Et là-dessus, nous disons : chaque fois que le besoin n’est pas, vraiment qu’on laisse la constitution-là en paix. Parce que nous l’avons dit et le répéterons, cette constitution-là n’a pas jamais été appliquée correctement au Mali. La Constitution dit, par exemple, c’est le Gouvernement  qui définit et conduit la politique de la nation. Mais quand on nomme un Premier Ministre, on lui donne une lettre de cadrage ou une lettre de mission. C’est une violation flagrante de la Constitution. Malheureusement, nous avons un Parlement constitué de Députés qui la plupart du temps, ignorent leur rôle, entérinent n’importe quoi. Et donc il y a un problème.

Mais nous pensons que lui n’est pas un enjeu. L’enjeu c’est l’avenir du Mali. Et l’avenir du Mali c’est de suivre la voix de la Démocratie. Et que la participation populaire à la gestion des affaires soit au rendez-vous. C’est tout ce qu’on veut.

 

Le 26 Mars : Justement, dans la constitution projetée, c’est désormais le Président de la République qui détermine la politique de la nation et non le Gouvernement.

 

Dr Daniel Tessougué : Mais c’est une aberration. Parce que le Président, il va définir la politique de la nation. On dit c’est le Gouvernement qui va l’exécuter. Or, c’est le Gouvernement qui est responsable devant l’Assemblée Nationale. Soyons quand même un peu correct, un peu cohérent, soyons un peu cohérent. C’est comme disent les bambaras : « Dòka dlòmin dò ka a manamanakan fò » (Que l’un boive l’alcool, que l’autre en débite les fadaises). C’est un peu ça. Celui qui l’a défini c’est lui qui devrait le défendre devant l’Assemblée Nationale. Comme il ne peut pas répondre devant l’Assemblée Nationale. Où est le contrôle parlementaire sur l’action gouvernementale ? Moi, je ne définis pas cette pratique là pour dire exécutez seulement Tiens, c’est une aberration totale. C’est une aberration totale. Mais, en fait, c’est la pratique même, comme je l’ai dit tantôt. Daba Diawara a constaté que c’est ça la pratique. Et il veut en ce moment conférer une légalité à cette pratique-là qui est tout à fait illégale. Mais on ne va pas légitimer l’illégal. Soyons sérieux. Respectons un peu le peuple !

 

Propos recueilli  par

Awa Diallo

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