Quelle est la pertinence du thème du Forum de Bamako : L’Emergence de l’Afrique à l’horizon 2035 ?
Pourquoi j’ai beaucoup aimé le thème du Forum de Bamako, cette année, c’est que notre frère Abdallah Coulibaly, qui est un grand africain, un grand fils du Mali, qui réunit depuis 15 ans les Africains pour propulser une nouvelle réflexion sur les problèmes du continent, a bien entendu, compris que partout, dans le continent, on parle de plans Gabon émergent, Sénégal émergent et que le mot émergent est venu dans le marché de l’expertise africaine. Les débats, dans ce marché, tournent atour de l’émergence, que l’émergence est possible en Afrique, pour certains pays comme le Sénégal, l’échéance, c’est 2035, pour d’autres pays, c’est 2025, etc. Le président Alassane Ouattara travaille très dur pour l’émergence de la Côte d’Ivoire, le président Ali Bongo parle de l’émergence du Gabon, le président Macky Sall, de l’émergence du Sénégal. Le thème de l’émergence est omni présent et les Africains en discutent beaucoup. C’était bien qu’à Bamako, on ait la chance de venir débattre de l’émergence, d’autant plus que tout le monde pense que quand on vient à Bamako, c’est pour parler des problèmes de sécurité, de la situation dans le Nord du Mali. C’est bien que des Maliens disent que la vie intellectuelle, politique, économique et beaucoup d’autres activités de réflexion, les projections dans le futur existent au Mali, comme dans d’autres pays et qu’on peut venir au Mali pour parler d’émergence. Quand on parle d’émergence, la situation du pays, la lutte féroce que nous tous Africains, nous menons, fiers de ce que le Mali a représenté comme héritage pour l’Afrique, ce combat féroce, nous continuons à le mener pour l’unité et l’intégrité territoriale du Mali et pour la réconciliation nationale, dans ce grand et beau pays africain. Sous ce rapport, je pense qu’Abdallah Coulibaly a fait un bon choix et il doit être félicité.
Dans l’opinion africaine, tout est défi en Afrique, quels sont les plus grandes priorités pour l’émergence de l’Afrique?
Concernant l’émergence de l’Afrique, moi, je suis un panafricaniste connu. C’est bien qu’on ait parlé de l’émergence de l’Afrique et non de l’émergence des petits Etats africains. Comme disait Cheikh Anta, l’Afrique a été découpée en cinquante et quelques Etats. Si on réfléchit sur l’émergence de l’Afrique en tant que continent, l’émergence qui se fera dans les différents pays, à différents rythmes, et à différents taux de réussite. Pour moi, la vraie émergence de l’Afrique commence par la résolution des méfaits de la balkanisation de l’Afrique. Il faut une Afrique unie, qui compte sur l’ensemble des ressources humaines, plus d’un milliard d’habitants dont plus de 60% de jeunes, qui compte sur ses immenses ressources naturelles pour que l’Afrique puisse relever le défi de l’émergence. Ce que j’appelle les chevauchées individuelles des différents Etats africains qui croient que seuls, ils peuvent relever les grands défis de l’Afrique, ces chevauchées sont une accélération de l’histoire qui va vers l’échec. J’en suis absolument convaincu parce que depuis cinquante quatre ans, aucun pays n’a émergé en Afrique et ne s’est imposé. Ce qui a réussi en Asie, en Amérique latine et ailleurs dans le monde n’a pas réussi en Afrique. Donc, il y a quelque chose dans le paradigme que nous utilisons, qui est vicié, qui n’est pas opératoire, qui ne correspond pas à la dynamique véritable de l’Afrique. Concernant les priorités de l’Afrique : comment le Mali tout seul, le Sénégal tout seul, le Botswana tout seul, peuvent régler ce que j’appelle les super priorités de l’Afrique dont l’une et la plus importante est l’agriculture. Un pays, un Etat, qui ne peut pas nourrir ses populations, n’est pas souverain. La souveraineté commence par la sécurité et la souveraineté alimentaires. Les Etats africains, en général, ne peuvent nourrir leurs populations. Ce qui nous fait perdre énormément de ressources, de devises, pour acheter l’alimentation, les produits agricoles à l’extérieur. C’est inacceptable que nous soyons le continent le plus fertile pour l’agriculture, nous ayons des terres extraordinaires, nous ayons une capacité d’irrigation extraordinaire avec tous ces grands fleuves dans le continent et que les Africains s’arrangent pour avoir faim, pour ne pas régler les problèmes de l’agriculture. Il y a beaucoup de priorités en Afrique, mais la super-priorité ou la priorité n°1, c’est l’agriculture. Si vous ne nourrissez pas vos populations, comme disait l’un de mes meilleurs amis, grand spécialiste du développement, vous ne libérez pas des bras pour construire le pays. Il faut libérer l’énergie des citoyens, en les plongeant dans le développement, parce que ces citoyens n’ont pas faim, ils mangent et ils peuvent être opérationnels. La 2ème grande priorité, c’est l’éducation. On ne peut pas construire un pays sans avoir éduqué les citoyens dans tous les domaines du savoir et comme disait Cheikh Anta, mener et gagner la bataille de la science et de la technologie. Ce que nous ne faisons pas assez en Afrique. Chaque pays, voulant bâtir son système éducatif et universitaire individuel, va échouer. Nous sommes obligés de mutualiser, que la plus grande université d’agronomie en Afrique soit construite au Mali, que la plus grande université de médecine en Afrique soit construite au Sénégal, mais qu’elle n’appartienne pas au Sénégal, mais à la sous région, qu’elle appartienne à tout Africain qui voudrait se spécialiser dans cette université. C’est en mutualisant et en spécialisant nos universités que nous donnons à l’Afrique une chance de régler les problèmes de l’éducation. Sinon l’éducation est en crise dans tous les pays de l’Afrique : moyens inadéquats, insuffisants, matériels inadaptés, des enseignants qui n’ont pas les moyens de se recycler, une expertise qui est là, mais n’a pas les moyens de se déployer. La 3ème priorité, c’est la santé. Si tu as une population bien nourrie, bien éduquée, tu règles, en grande partie, les problèmes de santé, mais une population malade ne peut pas se développer, ni développer son pays. 4ème priorité : les infrastructures. Il faut des routes, des autoroutes, des chemins de fer, des ponts, des transports aériens, de la navigation maritime. L’Afrique a quasiment besoin de tout construire. Si vous considérez tout ce que j’ai dit, concernant ces pays, maintenant, à propos de leurs jonctions, si par exemple le Niger fait une route nationale de 800 kms et le Mali, une route de nationale de 800 kms, il suffit qu’ils se donnent rendez-vous en un point de jonction pour que le Niger et le Mali aient 1600 Kms de routes dans de très bonnes conditions. Pour moi, ce sont les grandes priorités, ensuite, il y a les nouvelles technologies, l’environnement, l’énergie. Donc, j’ai classifié 4 super-priorités : l’agriculture, l’éducation, la santé, les infrastructures, ensuite vient la question centrale de la gouvernance.
C’était la dernière question
Je vois la gouvernance africaine comme étant un problème, encore une fois, panafricain. Si nous voulons une monnaie africaine par exemple, aucun pays, pris individuellement, ne peut régler ses problèmes de devise ou de monnaie. Il nous faut mutualiser nos ressources. Pourquoi ne pas avoir une monnaie ouest africaine, pourquoi accepter les divisions héritées du système colonial, un système anglophone au Nigéria, Ghana, Libéria, Sierra Léone, Gambie et ensuite le niveau francophone, lusophone, etc. Les Africains ne peuvent continuer à blâmer le passé, l’histoire, quand ils ont aujourd’hui les moyens d’exercer leur souveraineté, en acceptant de faire tomber certaines barrières qui nous ont retardés, qui ont plombé notre développement et notre avenir. Voilà pourquoi je pense que la gouvernance doit d’abord être une gouvernance panafricaine de nos problèmes. Par exemple, si on ne mutualise pas notre gouvernance sur les problèmes de sécurité, on n’ira nulle part. Chaque pays africain est vulnérable aux attaques des forces négatives, des forces du mal, des narcotrafiquants, des djihadistes, etc. Chaque Pays d’Afrique a besoin des autres pour pouvoir faire face à ces menaces. C’est pour cela que je pense qu’il faut une gouvernance panafricaine de l’ensemble des secteurs de crise et des secteurs prioritaires du continent. Maintenant, à l’échelle de chaque pays, on ne va pas dire qu’on attend une gouvernance continentale, régionale, ou une bonne gouvernance panafricaine pour régler les problèmes du Mali. Que nos dirigeants soient des leaders anti-corruption, qui respectent la volonté du peuple, qu’ils soient des leaders qui viennent servir et non se servir. Qu’ils soient des leaders qui aient compris que ce sont eux qui sont les serviteurs de leurs pays et que ce ne sont pas leurs pays qui sont à leur service. Il faut qu’on règle ces problèmes. En Afrique, je crois qu’il faut encourager l’égalité des chances, ne pas favoriser les clans, la famille, les parents, les proches, etc. Quand un peuple vous élit, tout ce peuple est votre famille, vos parents, vos citoyens, qu’ils soient adversaires ou partisans. Vous les mettez tous au même pied d’égalité. Vous leur donnez une égalité de chance et vous développez un grand pays. Lutter contre la corruption, dépenser les maigres ressources, de façon intègre et intelligente, développer le sens de l’intégrité dans la gestion des affaires publiques, avoir de solides institutions, ne pas frauder les élections, respecter la volonté du peuple, respecter les constitutions dont le peuple s’est doté, constitutions qui vous ont permis de devenir président de la République et s’il y a des améliorations à faire, il faut vous arranger pour qu’elles ne vous concernent pas, mais qu’elles concernent les institutions.
Je vous remercie
Propos recueillis
par Baba Dembélé