Dr. Abdramane Sylla, ancien ministre des Maliens de l’extérieur et de l’Intégration africaine, est Professeur d’Enseignement supérieur, chargé des cours d’histoire des Relations internationales à la Faculté d’Histoire et de Géographie de l’Université de Bamako. Actualité oblige, Dr Abdramane Sylla est bien connu à l’Université et dans le milieu intellectuel pour ses interventions sur l’histoire des Relations internationales, ses prises de positions sur des questions géopolitiques. Il parle beaucoup plus ces derniers temps avec ses étudiants des questions de Géopolitique. Il vous dira qu’il s’agit d’un «complexe de cours d’histoire contemporaine, d’analyse de géopolitique internationale, de même que la corrélation avec l’histoire politique du Mali». Le Républicain l’a rencontré pour nous éclairer sur certains aspects des relations internationales, à un moment de fortes remises en cause des rapports historiques entre pays occidentaux et africains, notamment entre la France et le Mali, au plan militaire, économique, social et culturel. Au moment où s’effondrent les partenariats fondés sur l’exploitation des ressources africaines, la Russie offre -t-elle une alternative crédible, de nouvelles perspectives salutaires ? Notre interlocuteur, qui était présent à Saint-Pétersbourg lors du Sommet Russie-Afrique, a vécu de près la ferveur de cette rencontre. En outre, parallèlement à la tenue du sommet, il a pris part à des colloques, des débats, notamment au niveau de l’Institut polytechnique de Saint-Pétersbourg, où il a participé à un débat sur l’énergie nucléaire. Abdramane Sylla a eu plusieurs rencontres dans les milieux d’affaires et au niveau de différentes Universités où il a expliqué les opportunités d’affaires et recommandé la destination Mali. Pour l’ancien ministre des Maliens de l’Extérieur et de l’Intégration africaines, Abdramane Sylla, « Personne ne viendra construire le Mali à la place des Maliens, personne ne fera nos pays africains à notre place. C’est nous-mêmes qui sommes interpellés, en tant qu’Africains sur les questions de développement », a-t-il rappelé. A travers cette interview, il explique que des opportunités existent de part et d’autre ; nous avons des matières premières, il nous faut les technologies, qui nous permettent d’amorcer le développement réel de nos pays. « Je pense que dans un partenariat gagnant-gagnant, on peut discuter avec les Russes, pour avoir certaines des technologies », a indiqué Abdramane Sylla. Lisez !
Le Républicain : La géopolitique, on en parle beaucoup par ces temps-ci, et ça intéresse particulièrement notre pays, ancienne colonie française, le Mali est à la croisée des chemins, cherchant sa voie dans un ordre mondial marqué par la dominance géostratégique. Pour vous notre pays a-t-il trouvé sa voie ou la cherche-t-il encore ?
Dr. Abdramane Sylla : La géopolitique est une science politique. Elle permet aux Etats de se comporter dans un ensemble d’Etats, de se positionner, de s’affirmer et même de contrôler les enjeux économiques et politiques à travers le monde. Il y a des Etats qui ont rayonné dans l’histoire, ont atteint leur apogée et ont disparu en tant que puissance. D’autres sont apparus, après eux ont connu également le même cheminement et sont tombés aussi.
L’Afrique a été colonisée par des puissances occidentales, française, anglaise, portugaise, Espagnole, etc. Elle a connu, elle aussi des empires bien organisés, avec même souvent des ambitions de puissance, sauf que ces élans ont été brisés par les vicissitudes de l’Histoire. Il y a un phénomène qui est en train de mettre en cause l’ordre existant. Je pense que vous conviendrez, ces derniers temps, qu’il y a une sorte de prise de conscience collective au niveau africain, surtout de la jeunesse qui ne veut plus vivre comme par le passé, et qui souhaite aujourd’hui qu’il y ait une voie originale pour l’Afrique, qui doit l’amener vers son développement propre.
Un nouvel élan panafricaniste prend-il le poil de la bête ?
Effectivement la jeunesse africaine est convaincue aussi qu’aucun pays pris individuellement ne peut se développer, d’où l’idée du Panafricanisme qui prend de l’ampleur. Les pères de l’indépendance de nos pays avaient belle et bien compris la nécessite des pays africains de s’unir, puisque les frontières artificielles ne devraient en aucun cas avoir raisons de notre appartenance culturelle. Il faut désormais refuser et dénoncer vivement tout type de partenariats du genre patrimonial, mais plutôt des partenariats gagnant-gagnant.
Je pense que c’est en cela toute l’importance aujourd’hui de regarder qui sont des partenaires fiables, crédibles qui voudront jouer gagnant-gagnant avec nous. Sur la question, on ne se trompe pas, quand aujourd’hui cette jeunesse fait le choix de la Russie, ce choix me parait juste, sans tomber naturellement dans la naïveté qui voudra que d’autres viennent faire notre affaire à notre place. Le développement futur de l’Afrique se fera avec les africains et singulièrement celui du Mali avec les maliens conscients des enjeux et compétents pour ce faire.
Faut-il comprendre donc que l’histoire géopolitique et des partenariats du Mali a été celle d’un partenariat paternaliste franco-malien ?
La France a toujours eu avec ses anciennes colonies une relation de condescendance. Jamais de partage équitable et même pas de liberté d’opinion politique contradictoire. Souvenons-nous dans quelles conditions le Mali a accédé à l’indépendance, avec une volonté farouche de s’émanciper, et même, en analysant le contexte géopolitique de l’époque, les dirigeants maliens avaient une seule certitude qu’un Etat pris individuellement était très fragile et très faible. Le Mali a fait l’option de la Fédération, qui avait réuni quatre pays au départ, mais celle-ci a été amputée des deux premiers membres que sont les Dahomey (Benin) et la Haute Volta (Burkina Faso) pour se résumer à une Fédération à deux entre le soudan français [Mali] et le Sénégal. Elle n’a duré que deux mois. Nous connaissons les raisons de cette séparation, il n’y avait pas d’équivoque que c’était la France qui avait manœuvré et joué auprès des sénégalais pour arriver à l’éclatement de cette union, une Fédération à deux membres n’avait pas beaucoup de chance de survie.
Et elle a vite vécu, après avoir fait un long feu, et pour vous la jeunesse tient toujours ce flambeau panafricaniste?
Le premier Président de la République du Mali s’est battu dans des difficultés énormes face à la France pour exprimer la plénitude de sa souveraineté. Ce sont les réformes de l’Education, de la monnaie et toutes les politiques menées à l’époque, qui devaient davantage affirmer cette souveraineté. Mais la suite on la connaît, c’était le coup d’Etat. On peut dire que depuis cette période, la France a été présente partout. Il n’est pas rare de voir que même les budgets élaborés aujourd’hui au niveau de la plupart de nos pays, le sont avec l’aide du Fonds Monétaire International et de la Banque Mondiale. Où est notre souveraineté ? Tout est fait à dessein pour que jamais nous ne puissions mettre en œuvre nos ambitions propres et élever la tête. Je pense que c’est cette prise de conscience aujourd’hui qui est en train de s’opérer au niveau d’une vaillante jeunesse, décomplexée, ambitieuse, qui veut transcender toutes ces contradictions, pour affirmer notre indépendance réelle, notre souveraineté et promouvoir le développement au niveau de nos Etats.
Voulez-vous dire que jusque-là nous étions restés dans le canevas du partage de l’Afrique à la conférence de Berlin de 1884 – 1885, à laquelle certaines puissances d’aujourd’hui n’étaient pas présentes ?
La conférence qui réunit à Berlin les représentants de 14 pays européens, de novembre 1884 à février 1885, a pour objet de régler pacifiquement les litiges relatifs aux conquêtes coloniales en Afrique. Elle a statué et fixé les règles de partage du continent africain. Elle a mis fin aux conflits entre les nations européennes, accéléré le partage et la conquête de l’Afrique. C’était donc la ruée sur le Continent.
Cela ne fait l’objet d’aucun doute, quand on sait désormais que dans leur subconscient, entre les différents pays, chaque puissance a un pré carré. Le pré carré français, c’est un peu tous les pays colonisés par la France ; le pré-carré anglais, les pays colonisés par l’Angleterre ; et le pré-carré espagnole, etc. On peut considérer en grande partie l’Amérique latine est tombée sous l’influence américaine à partir de 1945, suivant ce qu’on a appelé la doctrine Monroe. Depuis ce partage, le code entre ces puissances, c’est qu’aucun pays ne s’immisce dans les affaires du pré-carré de l’autre, ceci n’est pas un secret et tout le monde le sait.
Fort heureusement aujourd’hui, les choses sont en train de changer, les visions sont en train de changer et je pense que dans un avenir bien proche, ces pré-carrés vont disparaître. La naissance des BRICS donnera une nouvelle impulsion à cette dynamique. Un nouvel ordre mondial se dessine, et l’histoire va devoir se réécrire.
Peut-on parler aujourd’hui d’une remise en cause de ce partage de l’Afrique ?
Évidemment, les Africains viennent de comprendre que leur destin était jusqu’à preuve de contraire dessiné ou géré à un autre niveau et aujourd’hui, ils ont fait le choix en tout cas de prendre leur propre destin en main et d’en être les maîtres. Oui aujourd’hui, le paradigme change et les choses sont plus réalistes et moi j’y crois. Je pense que nous allons arriver effectivement à une Afrique qui s’assume par elle-même. Ce moment est extrêmement important et interpelle tous les africains à quelque niveau que ce soit, très singulièrement sa jeunesse.
Croyez-vous à un nouvel ordre mondial avec l’émergence de certaines nouvelles puissances qui n’étaient pas au partage de l’Afrique ?
Ce nouvel ordre mondial est indéniable, irréversible, c’est ce qui explique l’existence des BRICS (Le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine, l’Afrique du Sud). Nous avons vu en soi que ces pays réunis font plus que la moitié de l’humanité. Ces pays ont compris effectivement qu’il faut que les donnes changent. Les donnes doivent changer du point de vue de l’économie monétaire en refusant que le dollar soit la monnaie de référence et en voulant vraiment commercer sur des bases beaucoup plus claires, beaucoup plus juste et dans un mieux partage possible entre les nations qui commercent entre elles. Je crois que de ce point de vue, il n’y a pas d’équivoque non plus, que le nouvel ordre mondial va changer.
Qu’est ce qui doit changer exactement, quel sera le mot de l’Afrique ?
Tout doit changer. D’abord la perception que nous avons des relations entre les Etats. Il faut que l’on arrête de croire qu’une nation est supérieure à une autre, que certains ont une civilisation supérieure à d’autres, les relations économiques doivent se faire sur des règles plus justes. Notre humanité doit être considérée comme la même par tous et pour tous.
Il est souhaitable, que l’Afrique ne doit pas rester en marge de ce nouvel ordre mondial et doit avoir son mot à dire dans ce concert. L’Afrique doit jouer son rôle parce qu’il est unanimement entendu que d’abord du point de vue démographique, l’Afrique compte plus du milliard d’individus avec une jeunesse de moins de trente ans. Du point de vue de l’économie l’Afrique regorge toutes les richesses dans son sous-sol, il est admis couramment que c’est le continent du futur. Sa grande faiblesse à elle, c’est de sa division en micro-Etats, mais je crois que l’expression de l’unité doit être beaucoup plus forte au niveau des nations africaines, surtout des organisations continentale et régionales qui nous réunissent afin de traduire très haut les aspirations des peuples africains.
Je crois objectivement que ce rendez-vous ne doit en aucun cas être manqué. Et c’est cet appel qu’il faudrait adresser aux dirigeants de tous les pays africains. Qu’ils soient à l’écoute du peuple et qu’on essaie d’être à ce grand rendez-vous, au cours duquel l’Afrique aura sa place réelle dans le concert des nations.
Si je vous comprends bien, la place profitable de l’Afrique dans le concert du monde, c’est aux cotés des BRICS ?
Absolument, les BRICS. Je pense d’ailleurs qu’il y a une forte demande de beaucoup de pays aujourd’hui, qui veulent adhérer aux BRICS et je pense objectivement que nos Etats, individuellement, comme l’Afrique entièrement au niveau de l’Union Africaine, peut formuler cette demande. L’Afrique du Sud y est déjà mais si les autres pays africains venaient à s’ajouter, je pense que la cause sera entendue.
Monsieur le ministre, vous êtes russophone, vous avez fait une bonne partie de votre formation en ex U.R.S.S. et vous êtes resté attaché à la Russie, son héritière. A ce titre vous avez participé au 2ème Sommet Russie-Afrique qui s’est tenu les 27 et 28 juillet 2023, à Saint-Pétersbourg, dites-nous quelles ont été vos impressions ?
De très bonnes impressions. Je dois vous dire que j’ai fini mes études universitaires dans ce pays, depuis plus de trente ans maintenant, et pendant toutes ces années passées, j’ai gardé d’excellentes relations avec ce pays et où je me suis rendu, presque tous les ans. Alors je dois vous dire très sincèrement que j’ai souffert un moment donné, surtout à la période de transition de l’ex U.R.S.S. qui venait d’exploser. Quand j’ai vu le pays se disloquer, laissant chacun des Etats assumer son destin, au détriment de ce très grand ensemble qui avait fait sa preuve, je dois avouer que cela m’a fait souffrir. Mais je suis tout aussi heureux que la Russie, héritière de ce vaste territoire qu’est l’ex U.R.S.S. assume aujourd’hui cet héritage. J’en ai éprouvé aussi une très grande fierté parce que je connais personnellement la capacité économique de la Russie. Je connais la résilience du peuple russe, sa capacité de bondir. J’étais convaincu à un moment donné, que cette période de transition, qui a été très dure pour les Russes, serait vite dépassée. Je m’en réjouis en tout cas qu’aujourd’hui, les Russes aient su transcender cette période et ont réaffirmé toute leur puissance à la fois militaire et économique.
Je suis allé à Saint-Pétersbourg où j’ai assisté au sommet Russie-Afrique, que nous avons de tout temps appelé de tous nos vœux. Nous avons toujours insisté auprès des autorités russes, d’accorder plus d’importance du point de vue géopolitique à l’Afrique. La Russie n’a jamais été absente de l’Afrique en vérité, parce qu’elle a formé des millions de cadres pour tous les pays africains. Je ne connais pas un pays africain où un cadre n’a pas été formé en Russie, c’est important de le dire.
La formation en Russie, en ex U.R.S.S. était une formation gratuite, et de très haut niveau qui a permis à nos Etats de se construire, donc elle a joué sa partition pour la relève des jeunes Etats africains. Aujourd’hui les choses ont changé, il y a une nouvelle vision qui est soutenue par le Président de la Fédération de Russie, Vladimir Vladimirovitch Poutine. C’est une vision très claire des enjeux mondiaux, la fin des hégémonies de certains pays sur les autres, la lutte contre le Néocolonialisme, contre la dépravation des valeurs morales pour un monde juste et équilibré, si la Russie doit avoir un partenariat crédible, sincère, ce serait avec l’Afrique. Le Président Poutine a engagé la Russie à travailler avec l’Afrique, singulièrement avec le Mali. Nous avons d’excellentes relations avec la Russie ; de chaque côté, chacun doit pouvoir saisir les opportunités qui s’offrent pour que nous les utilisions pour le bénéfice de cette coopération et de nos peuples.
Monsieur le ministre, le Mali traverse en ce moment une transition qui a tissé d’étroites relations avec la Russie. Peut-on dire que cette coopération ne surgit pas du néant ?
Surtout pas du néant, car aux premières heures de notre indépendance, l’Union soviétique était là au côté du Mali et aujourd’hui, la Russie est là au côté du Mali. Je crois que vous vous posez certainement la question : la transition actuelle a-t-elle fait un choix crédible ? A-t-elle fait un choix porteur de collaborer avec la Russie?
Oui, je crois. Si elle ne l’avait pas fait, ça aurait été une erreur grossière, mais la transition a compris qu’il faillait s’orienter déjà vers la Russie. Les premiers résultats de cette coopération, ce sont les succès enregistrés du point de vue militaire. Nous bénéficions aujourd’hui des équipements militaires de tous calibres que nous avons pu avoir du côté des Russes. Je veux dire les avions, comme tous les matériels roulants qui permettent à notre armée aujourd’hui d’assumer sa mission et de l’accomplir avec beaucoup de dignité. Donc au-delà je crois qu’aujourd’hui, ce que je souhaite le plus, est qu’il y ait d’autres domaines d’échanges économiques. Notre Etat doit avoir une vision très claire de son économie et des besoins de développement du pays.
Nos opérateurs économiques, même s’ils ne connaissent pas assez bien la Russie, doivent s’informer sur les opportunités d’affaire pour accompagner la volonté politique de l’Etat. Et je pense que dans le cadre d’un partenariat sans tricherie, sans fanfaronnades, sans aucune subtilité possible, on peut vraiment faire des affaires gagnant-gagnant avec la Russie. Donc je me réjouis de cette coopération, qui ne tombe pas du ciel, ce n’est pas un hasard, mais une continuité et je remercie les autorités de la transition pour l’avoir bien compris.
Monsieur le ministre quand on jette un regard sur le rétroviseur, l’histoire de la géopolitique africaine, les commentaires relèvent des relations dominant-dominé, qui reposent sur l’exploitation des ressources africaines au détriment des populations locales africaines et à l’avantage des puissances occidentales alimentant ainsi le néo-colonialisme. A l’aune du regain d’intérêts pour la Russie, chat échaudé ne doit-il pas craindre l’eau froide ? Y a-t-il un risque d’aller se trouver un nouveau maître des lieux en tissant des liens forts avec la Russie ?
Non. Je dois vous dire que nous avons en face deux comportements historiques différents, l’histoire de l’Europe et l’histoire de la Russie. Je dois aussi vous dire que l’essence même de l’impérialisme, c’est l’exploitation, et quand vous connaissez l’histoire de l’Europe, c’est une histoire impérialiste. L’Europe se croit même investie d’une mission civilisatrice, elle pense incarner à elle seule les meilleures valeurs sociales, elle serait composée des peuples choisis, qui auraient droit de tout au détriment des autres. Connaissant depuis les premiers contacts, toutes les souffrances que nous autres africains avons connues, cette barbarie s’est exprimée sur nous tout le cours de notre histoire, depuis la traite négrière, la colonisation, en passant par les arrogances actuelles, toutes des formes d’oppression que nous avons subies.
Du côté de la Russie, je dois rappeler qu’elle est une vieille nation également, mais une vieille nation qui a connu une page sombre, la colonisation avec ce qu’elle a de barbarie et d’humiliation. Dans son histoire, il y a eu la «domination des tatars et des mongols », sur le peuple russe, qui a duré beaucoup de siècles, et qui lui a fait extrêmement du tort. Donc si l’on compare ce que la Russie, le peuple Russe a vécu et ce que nous les Africains avons subi, on peut dire que nous avons partagé les mêmes destins. C’est pourquoi, je dis que la Russie ne serait en aucun cas un pays impérialiste. Elle ne peut pas l’être par ce qu’elle n’a pas ça dans le sang. Elle a le sens du partage bien fait. La Russie n’exploite pas la faiblesse des autres pays, parce qu’elle est d’abord en soi un pays très riche qui n’a pas besoin de la richesse des autres. Elle peut se développer en exploitant son propre sous-sol. C’est ce qu’elle fait d’ailleurs. Donc la Russie n’est pas comparable à ce pays-là qui ne se développera pas sans nous aujourd’hui, sans nos ressources. C’est pourquoi je ne crois pas du tout que l’on puisse comparer les deux, pour craindre dans un futur, de tomber dans une sorte d’impérialisme russe. Ce mot ne peut pas être rapporté aux Russes, en tout état de cas de cause, je parle de partenariat.
Mais sur les questions de développement, c’est nous-mêmes qui sommes interpellés, en tant qu’Africains. Personne ne viendra construire nos pays à notre place. Il y a des opportunités qui s’offrent de part et d’autre, qui peut permettre d’avancer, notamment en termes de technologie.
Je pense que dans un partenariat gagnant-gagnant, on peut aussi discuter avec les Russes, pour avoir certaines des technologies, qui nous permettent d’amorcer le développement réel de nos pays. Je parle plus de cela, mais il n’est pas question, je ne vois pas dans un partenariat l’idée que les autres viendront faire à notre place, non. Personne ne viendra rien faire à la place des Africains. Personne ne viendra construire le Mali à la place des Maliens. Et la tâche de construction nationale, la tâche de faire notre pays, c’est d’abord nous-mêmes et les autres après.
Parlant de nos relations avec la France d’aucuns disent que ce pays n’a rien sans l’Afrique, tel n’est-il pas le cas pour la Russie ? A-t-elle des moyens sans l’Afrique ?
Oui. C’est ça sûrement l’intérêt de notre coopération avec la Russie. Parce que d’abord la Russie est un pays riche qui a toutes les matières premières chez lui. Elle dispose de technologies dans presque tous les domaines. Elle dispose de ressources humaines de qualité dans tous les domaines. Aujourd’hui, elle est disposée à entretenir des relations avec nous, saisissons l’opportunité.
Peut-on espérer sur un Partenariat vraiment gagnant-gagnant, garanti ?
C’est garanti, parce que la Russie ne pensera pas venir exploiter l’uranium du Niger à la place des Nigériens. Si ça doit profiter, c’est que ça doit profiter aux deux parties. Ce ne serait pas le même genre d’exploitation de l’uranium, comme celui que la France a mené pendant toutes ces années, depuis l’indépendance jusqu’à nos jours. Il nous faut discuter avec les pays disposant des moyens technologiques, d’obtenir les transferts technologiques pour que in fine nous puissions par nous-mêmes exploiter notre sous-sol. La Russie et tous les autres partenaires, qui voudront venir dans le cadre d’un partenariat gagnant-gagnant, seront les bienvenus, sans exclusive.
Moi, j’ai confiance en la Russie, parce que c’est le pays que je connais le mieux, je connais sa capacité et je sais qu’on peut faire de bonnes affaires avec les Russes.
Donc la Russie n’est pas que dans le domaine sécuritaire, mais également dans les affaires ?
Absolument la Russie, quand vous parlez de sécurité, c’est au niveau de la puissance militaire, personne ne porte un doute sur la puissance militaire de la Russie. Aujourd’hui, quand il faut aider dans l’acquisition des matériels militaires, on ne se trompe plus. Par le passé chez nous-mêmes au Mali, après l’achat des équipements militaires, certains pays refusent de nous les livrer. Ce n’est pas le cas de la Russie, qui vous livre à domicile, ce que vous achetez. C’est ce qui a permis à notre armée aujourd’hui de retrouver son niveau d’antan, et même en essayant de le dépasser, et je crois que notre armée aujourd’hui, n’est plus inquiète comme avant. Au-delà du domaine militaire qui peut et doit assurer la sécurité, la Russie est un pays de grande capacité et pourra aider dans le renseignement militaire par la formation pour une plus grande sécurité de notre pays. Elle est une puissance nucléaire, un pays très développé où tous les secteurs peuvent offrir des opportunités.
Dans le domaine de l’agriculture, la Russie est un pays très agricole qui a des terres très fertiles, des machines agricoles de dernières technologies, réalisant de grandes exploitations. Nous en avons besoin, pourquoi ne pas tisser des relations dans ce cadre ? S’il s’agit des exploitations minières, la Russie a une expérience avérée. Je crois que la première mine du Mali KALANA, c’est une mine qui a été découverte et exploitée par les Russes aux premières heures de notre indépendance. Ils ont une expérience dans ce domaine, et je pense que la Russie peut aider dans n’importe quel domaine scientifique que vous prenez, la Russie peut aider dans le cadre d’un partenariat justifié. Le Mali a besoin de biens de choses pour promouvoir son développement, il s’agit d’identifier nos besoins, d’aller dans un partenariat dans ce sens-là.
Le Mali est un pays à vocation agro-sylvo-pastorale ; comment faire en sorte que l’agriculture, l’élevage, la pêche, contribuent au développent de notre pays ?, les russes pourront être sollicités par ce qu’ils ont une compétence avérée dans ces domaines.
Monsieur le ministre, revenons à votre participation au Sommet entre la Russie et l’Afrique à Saint Petersburg en Russie, les 27 et 28 juillet derniers. Vous n’étiez certainement pas en terrain inconnu, en tant qu’un ami de la Russie ?
Pas du tout, je suis parti régulièrement en Russie. Pour ce forum également j’ai été invité par des amis russes, qui ont souhaité que je sois présent à Saint-Pétersbourg. Parallèlement à la tenue du forum, j’ai participé à des colloques, des débats, notamment au niveau de l’Institut polytechnique de Saint-Pétersbourg. J’ai participé à un débat très intéressant sur l’énergie nucléaire. La Russie étant une puissance nucléaire, je pense que ce débat n’était pas du tout stérile pour nous. Il nous a beaucoup instruit, nous a montré les capacités qu’ont les Russes à développer de l’énergie dans les pays africains. Il y a eu déjà une expérience avec l’Egypte, et pourquoi le Mali n’aurait-il pas une centrale nucléaire, qui pourra éventuellement donner du courant à tout le Mali ? Tous les économistes vous diront qu’il n’y aura pas de développement sans électrification. J’ai compris aussi qu’il nous faut au Mali, développer un partenariat avec les Russes dans le sens des questions énergétiques, propres à notre pays. J’ai eu beaucoup d’autres rencontres parallèles, avec des hommes d’affaires qui s’intéressent au domaine économique du Mali. Tous ceux qui sont intéressés par des questions de l’or, de lithium dont on parle beaucoup en Russie, les hydrocarbures, les engrais, l’aliment bétail comme l’aliment volaille, le matériel agricole, les matériaux de construction etc., nous avons rassuré tous nos interlocuteurs, que le Mali est une très bonne destination ; qu’en venant au Mali, ils trouveront effectivement des personnes avec qui échanger sur les opportunités dans tous les secteurs, surtout que le gouvernement de la transition du Mali, est très ouvert sur cette question de partenariat et d’échanges avec les Russes.
Nous avons eu beaucoup de rencontres à Saint-Pétersbourg, à Moscou, et à Oriol. Dans la ville d’Oriol, j’ai pu constater particulièrement l’immense expérience dont dispose cette région dans le domaine agricole et nos échanges avec nos partenaires à ce niveau ont été enrichissants.
Le domaine de l’Education et la formation a eu une place de choix dans la coopération entre le Mali et la Russie depuis les premières années de l’Indépendance. Pensez-vous qu’il va y avoir un regain d’intérêt ?
Il y a eu un relâchement, il faut vraiment le dire. Dans le cadre de la formation des cadres maliens au niveau des Universités russes, des Instituts polytechniques, je pense objectivement que notre pays doit renouer ses relations avec les autorités russes. J’ai pu remarquer que les Russes sont favorables à la reprise de cette coopération. A l’Institut polytechnique de Saint-Petersbourg, le rectorat est disposé à recevoir des étudiants maliens, et surtout que cet Institut peut former des cadres, dans le sens de l’intelligence artificielle, où il excelle.
En dehors de cet Institut, j’ai eu des échanges au niveau de l’Institut d’Etat de Géologie à Moscou, qui à son tour, a rappelé sa disponibilité à recevoir des étudiants maliens, surtout l’Institut a eu déjà par le passé à former des géologues pour notre pays. Compte tenu de toutes les ressources naturelles non encore exploitées que nous avons, je pense que le Mali a encore besoin de beaucoup de géologues. Donc cet Institut se dit très ouvert et attend qu’il ait des échanges avec le Mali pour pouvoir recruter les Maliens à ce niveau.
J’ai été reçu au niveau de l’Université du Pétrole et du Gaz du nom de Goupkina, qui a eu par le passé, à former des Maliens. Cette université dispose de deux filières : celle officielle d’Etat à Etat, et celle réservée pour ceux qui peuvent venir par la voie privée. Elle forme aujourd’hui des ingénieurs dans tous les domaines confondus du pétrole et du gaz.
Au cours de ce séjour russe, j’ai été naturellement reçu dans l’Université où j’ai été formé, il s’agit de l’Université de l’Amitié des Peuples Patrice Lumumba où j’ai eu des échanges avec les autorités. Il y a des Maliens qui ’y étudient. Les autorités de cette Université se disent également ouvertes à recevoir des étudiants maliens.
La formation est un domaine extrêmement important, à ce niveau, c’est à nous-mêmes de savoir ce que nous voulons en fonction surtout des besoins de notre développement. Je crois qu’aujourd’hui cette adéquation de l’éducation et de la formation peut trouver son répondant au niveau de ces universités russes.
Quel est votre mot de la fin, avez-vous un message à lancer ?
Je voudrais vous remercier de l’opportunité que vous m’avez ainsi donnée de parler de mon séjour en Russie et surtout de parler de la nécessité et des opportunités d’affaires et de coopération entre le Mali et la Russie. Je voudrais dire que dans la vie des nations, il y a des moments historiques que l’on ne doit pas laisser passer. Ces moments peuvent déterminer l’avenir de la nation. Ensemble, soyons unis pour le futur de notre pays.
Réalisé par Hawa Niangaly, Sidiki Dembélé et B. Daou