Il y a quelques jours, nous avions rencontré le Conseiller technique chargé de l’enseignement supérieur, Oumar Maïga, par rapport à l’année blanche et aux autres problèmes qui minent l’université du Mali. Ce dernier nous avait tenu un langage plus qu’ambigu. Nous avons donc décidé de nous entretenir avec le Secrétaire Général du Conseil exécutif national du Syndicat national de l’enseignement supérieur (CEN/SNESUP), le Dr. Abdou Mallé, vendredi dernier. Le syndicaliste n’est pas passé par quatre chemins pour fustiger la gestion calamiteuse du supérieur par nos autorités. En commençant par la ministre Siby Ginette Bellegarde. Lisez plutôt.
22 Septembre: Il y a quelques jours, nous nous sommes rendus au ministère de l’Enseignement Supérieur pour savoir si l’arrêt prématuré des cours signifiait que c’était une année blanche. Nous avons eu une réponse peu satisfaisante. Alors, vous qui êtes encadreur, quel est votre point de vue sur cette situation?
Dr. Abdou Mallé: Quand on lit le communiqué du Conseil des ministres du 14 juillet 2011, c’est très clair que c’est une année blanche. Il est écrit qu’ils «envoient les enseignants en congé pour une reprise d’ensemble…». Notre réaction a été immédiate, lorsque nous avons pressenti que le ministère voulait choisir cette option. Lors de notre dernière séance de négociations, il faut dire que la validation de l’année est l’une des conséquences de la grève. Nous avons posé le problème à la ministre, qui n’en a eu cure. Elle a été très évasive et nous a fait savoir qu’elle ne voulait aucunement engager un débat sur le sujet. Auparavant, c’est-à-dire le 5 juillet, nous avions adressé une lettre au ministère, pour lui expliquer que nous étions prêts à sauver l’année. Quel que soit le prix que nous, enseignants, devions payer.
C’est très clair, il faut appeler les choses par leur nom. C’est une année blanche. La ministre, Mme Siby Ginette Bellegarde, a profité du communiqué du Conseil des ministres pour mettre tout le monde en vacances. Il est vrai qu’il ya quelques structures qui ne sont pas frappées par cette mesure. Mais, globalement, c’est toute l’Université du Mali qui est à la maison.
Quand on nous raconte que c’est à cause de la saison des pluies, ou autre chose, je crois c’est vouloir rouler les Maliens dans la farine. Il faut que la ministre soit, pour une fois, responsable. Il faut qu’elle prenne son courage à deux mains pour dire aux Maliens que cette année est blanche.
D’ailleurs, pour savoir si cette décision est responsable, demandez à la ministre si elle peut résoudre les nombreux problèmes de l’Université du Mali en deux mois. Demandez-lui si elle est convaincue que les cours vont reprendre effectivement en octobre. Je suis formel sur le fait qu’on peut traiter les problèmes d’effectif, de professeurs, d’infrastructures, sans mettre fin aux cours. On ne nous a pas consultés pour cela. Même si les étudiants revenaient aujourd’hui et que tout le monde prenne ses responsabilités, nous sommes capables de sauver l’année. C’est le gouvernement qui a décidé de mettre nos étudiants au chômage et de compromettre leur avenir.
Cette année, comme en 2010, vous avez posé un certains nombre de revendications. Où en sommes-nous actuellement?
Je note tout d’abord que le gouvernement est très en retard en ce qui concerne les rappels, dans le cadre de la détaxation de nos salaires. Il y a des dossiers qui sont en cours de traitement en ce qui concerne les omissions de l’année dernière, les contractuels et la nouvelle grille salariale, conformément au système LMD adopté par la sous-région. Là aussi, le gouvernement est en retard. Quant à l’AMO, c’est le sujet qui fâche. Nous n’avons pas demandé qu’on charcute nos salaires. Nous ne sommes au courant de rien. Selon le protocole d’accord, il nous a été demandé de faire une fiche modèle de non adhésion et nous avons reçu 677 travailleurs de l’enseignement supérieur qui ne veulent pas adhérer à l’AMO. La liste ne fait que s’allonger. Ce qui nous écœure le plus, c’est que le ministère du Développement Social s’est réuni en catimini avec certaines syndicalistes et a décidé de rejeter notre dossier, prétextant que la date limite de dépôt était passée. Je tiens à souligner que le SNESUP est un syndicat autonome.
Et toute décision qui est prise sans qu’il ne soit convoqué est pour lui nulle et sans effet. Nous avons claqué la porte à la commission mise en place pour traiter les différents problèmes que l’AMO rencontre. Il n’y aura pas d’accalmie tant que notre problème ne sera pas résolu. Personne n’a demandé à être affilié. La désaffiliation, nous la faisons de bonne foi, pour faire avancer les travaux de la Commission. Si certains veulent en abuser, ils se trompent. Je le dis, il faut que toute personne qui a fauté dans cette affaire soit poursuivie. Même si c’est le ministre. Nous ne sommes plus au Moyen Age pour recevoir un diktat de qui que ce soit. Nous n’allons pas baisser les bras et nous userons de tout notre pouvoir pour nous faire entendre.
Plus que les problèmes que vous venez d’évoquer, l’enseignement supérieur ne souffre-t-il pas d’un manque criard d’infrastructures, de professeurs?…
Cela incombe au gouvernement. Nous pensons que diriger c’est prévoir. Avec le taux de plus en plus élevé au baccalauréat, il fallait s’y attendre. Cela ne devait pas se passer ainsi. Ce sont donc de mauvais dirigeants qui gèrent l’école malienne, et même tout le pays. Parce que tout ceci est purement politique. C’est un manque de volonté politique d’assainir notre système éducatif en général. L’effectif des enseignants est proportionnel aux mauvaises conditions de travail. C’est avec nos différentes revendications que certaines choses ont bougé. Au lieu de regarder notre syndicat en chien de faïence, il faut le comprendre et travailler avec lui. Nous œuvrons à retenir les enseignants sur place. Sinon, rien ne nous empêchait d’aller enseigner ailleurs avec nos diplômes. Il faut rendre attrayante la fonction au Mali. Le Mali est vaste et nous avons de la place pour construire des amphithéâtres. Tous ces problèmes peuvent être résolus sans fermer les classes. Et ce n’est pas un conseil restreint qui peut décider de la fermeture de toute une université. C’est un pilotage à vue de la ministre.
La rentrée prochaine s’annonce très houleuse…
Tant que nos problèmes ne sont pas résolus, rien ne sera fait. Ils ont décidé de fermer les classes pour, ont-ils avancé, «régler les problèmes». Puisque le vin est tiré, il faut le boire jusqu’à la lie. Nous ne reculerons plus d’un iota.
L’AEEM est un autre cas préoccupant… Qu’en pensez-vous?
C’est désagréable pour l’AEEM elle-même. Mais tout ce qui se passe est entretenu par le gouvernement. C’est ce même gouvernement qui doit assumer ses responsabilités. Quelque part, je crois que les étudiants sont victimes des manipulations des cadres de l’administration. Ils leur promettent tout et leur ouvrent des portes dont ils ne détiennent pas les clés. Au final, les étudiants se cassent la gueule. Il faut que chacun s’assume. Nous sommes cadres enseignants, mais aussi et surtout parents. Je voudrais terminer en disant aux unes et aux autres que les grèves des enseignants n’ont, en aucun cas, perturbé l’année. C’est l’incompétence de la ministre à gérer les différents problèmes qui freine le travail. D’ailleurs, elle n’a jamais géré de grève. C’est son homologue du Travail, Abdoul Wahab Berthé, qui joue au bouclier. Avec peu de succès.
Propos recueillis par Paul Mben