“Les drogues saisies sont incinérées conformément à une ordonnance du juge”
Dans cet entretien exclusif, le directeur général de l’Office central des stupéfiants aborde plusieurs questions qui permettent d’en savoir davantage sur les différentes missions et réalisations de sa structure chargée de lutter contre la drogue au Mali, les quantités et genres de drogue saisis, le sort réservé à ces saisies, la collaboration avec d’autres services, entre autres sujets importants.
AUJOURD’HUI : Monsieur le Directeur, qu’est-ce que l’Office central des stupéfiants, notamment son statut et ses missions ?
Adama Tounkara : L’Office central des stupéfiants est un service central du Ministère de la Sécurité et de la Protection Civile. Sa Direction est basée à Bamako avec trois antennes dont une à l’aéroport et une antenne dans chaque capitale régionale. L’Office central des stupéfiants a essentiellement trois missions. La première est d’assurer la coordination de la lutte contre la drogue au niveau opérationnel sur l’ensemble du territoire national. Vous n’êtes pas sans savoir qu’en plus de l’Ocs et d’autres structures interviennent sur la question notamment la police, la gendarmerie et la douane d’où la nécessite de coordination entre les différents intervenants.
La seconde, est une mission de prévention et de sensibilisation et la troisième, la répression. C’est cette dernière mission qui confère à l’Ocs le statut d’un service de police judicaire en matière de lutte contre le trafic illicite des drogues, lui permettant de rechercher, de perquisitionner et de mettre à la disposition de la justice toute personne impliquée dans ledit trafic.
En parlant de stupéfiants, de quoi s’agit-il exactement ?
Le stupéfiant est tout produit naturel ou synthétique qui produit des effets physiques et psychiques sur le sujet qui le consomme. A ce niveau, il faut préciser que dans la catégorie des drogues, il existe d’autres produits comme les psychotropes et les précurseurs.
Sont-ils produits au Mali ? Si non, d’où proviennent-ils ?
Parmi ces produits, seul le cannabis, à notre connaissance, est produit au Mali. D’autres produits stupéfiants comme la cocaïne, l’héroïne ou la métamphétamine sont produits ailleurs. De plus en plus, des renseignements font état de la présence de laboratoires clandestins au Mali. Nous prenons la menace au sérieux et depuis un bon moment nous y travaillons activement pour d’éventuels démantèlements. Les drogues saisies proviennent de plusieurs pays. Il y a la cocaïne qui provient de l’Amérique latine (Brésil) quant au cannabis, il provient généralement du Ghana en passant par le Burkina pour arriver au Mali. Aussi, le Haschich nous parvient du Maroc en passant par la Mauritanie.
Selon l’expérience de l’Ocs, quel genre de stupéfiants circule beaucoup plus au Mali ?
Au regard des saisies effectuées par l’Ocs et les autres unités, il est incontestable que le cannabis reste la drogue qui circule le plus au Mali à cause de son prix accessible. Mais à coté du cannabis d’autres produits psychotropes comme le tramadol restent une menace réelle pour la santé de nos populations. Avec la Douane, nous avons fait de la lutte contre ces genres de produits dopants notre priorité. Ensemble, nous avons eu des séances de travail et avons élaboré des fiches d’identification de ces produits pour renforcer la vigilance des agents de douane aux différents postes frontaliers.
Y a-t-il des raisons de penser que le Mali est en passe de devenir une plaque tournante du trafic de drogue en Afrique de l’ouest ?
Le Mali n’est pas encore une plaque tournante du trafic, mais un lieu de transit. Notre mission est justement d’œuvrer pour que cela n’arrive pas.
Mais qu’est-ce qui explique, selon vous, le regain d’activité des trafiquants vers le Mali ces derniers temps, en tenant compte des quantités saisies ?
S’il y a des quantités importantes de drogues saisies, c’est parce qu’il existe aujourd’hui un réel engagement des forces de sécurité à lutter contre le fléau et surtout une prise de conscience de la population à aider les forces de sécurité à les sécuriser. Je ne dirai pas un regain, mais plutôt une persistance du trafic qui s’explique par la porosité des frontières que les trafiquants essayent d’utiliser pour tromper la vigilance des forces de sécurité. Vous savez, même les pays avec de petites superficies ont du mal à pouvoir suffisamment protéger leurs frontières, a fortiori le Mali qui partage plus de 7000 kilomètres de frontières avec 7 pays. Donc ce qui fait qu’il y a plusieurs points de passage de ces drogues. La seule chose qui facilite un peu notre tâche, c’est que quels que soient les points de passage, il y a une convergence vers les grandes agglomérations. C’est pourquoi, nous essayons à chaque fois d’adapter notre stratégie en fonction du mode opératoire et des moyens que nous avons.
Peut-on savoir, à ce jour, la quantité de drogue saisie par vos services et par genre durant les trois dernières années ?
Sur les trois dernières années, les éléments de l’Ocs ont saisi environ 11 kilogrammes de cocaïne, 4 kg de métamphétamine et environs 5 tonnes de cannabis. A cela, il faut ajouter une importante quantité de produits psychotropes composée de tramadol, de l’éphédrine et plus de 7 tonnes de produits pharmaceutiques contrefaits ou avariés.
Et quelle quantité spécifiquement pour l’année en cours ?
Pour l’année 2017, nous continuons avec les opérations de recherche et de saisie. Déjà à ce jour, les antennes de l’Ocs ont saisi plus de 600 kg de cannabis, environ 1,10 kg de cocaïne, 10, 50 kg d’héroïne avec la douane et plus d’une centaine de cartons de psychotropes dont du tramadol, du rivotril sans compter une grande quantité de produits pharmaceutiques.
Les populations s’interrogent parfois sur le sort réservé aux drogues saisies. Que leur répondez-vous ?
Les drogues saisies sont incinérées conformément à une ordonnance du juge. Vous vous rappelez, l’année dernière à cette même date, l’Office central des stupéfiants et les membres de la Commission nationale de destruction ont incinéré, en présence de la presse et des partenaires, plus de cinq (5) tonnes de cannabis. Egalement, il y a moins de deux semaines, la Direction Générale des douanes et la Direction de la pharmacie et des médicaments ont procédé à l’incinération d’une grande quantité de drogues.
Pour nous, l’incinération des drogues saisies, en plus d’être une exigence légale, est une action de sensibilisation de nos populations sur l’ampleur du trafic de drogues dans notre pays.
Monsieur le Directeur, votre mission demande beaucoup de moyens humains, matériels et financiers. En êtes-vous suffisamment dotés ?
L’Etat fait de son mieux pour nous mettre dans les conditions optimales pour faire face à notre mission. Mais au regard de tous les défis qui entourent la lutte, je peux dire que nous ne sommes pas suffisamment dotés pour faire face aux enjeux du trafic. Nous gardons espoir que la nouvelle loi de programmation sur la sécurité intérieure apportera des réponses pour réduire le gap entre les moyens dont nous disposons et le défi du trafic dans notre pays caractérisé par un contexte sécuritaire à plusieurs variantes.
Et qu’est-ce qu’il faudrait améliorer, selon vous ?
La lutte contre la drogue au Mali reste confrontée à trois difficultés majeures, à savoir la coordination des efforts, l’absence de ressources financières pour la prise en charge des informateurs et des moyens techniques appropriés pour les enquêtes. L’opérationnalisation de la Mission Interministérielle de Coordination de la Lutte contre la drogue que nous avons sollicitée des autorités est le meilleur cadre pour la planification stratégique de la lutte. Elle permettra de doter notre pays d’une politique et d’une stratégie nationale de lutte contre la drogue. Aussi, ce cadre est l’endroit propice pour faire évoluer le dispositif législatif vers la confiscation et la gestion des avoirs issus du trafic illicite des drogues au profit des services de sécurité, de justice et de prise en charge sanitaire. Nous avons besoin de moyens suffisants pour renforcer la capacité opérationnelle des services de répression et aussi prendre en charge les toxicodépendants que nous devons tous considérer comme des victimes du trafic et des trafiquants.
Par ailleurs, vous collaborez avec d’autres services dans le cadre de vos activités. Etes-vous satisfait de cette collaboration ?
Chaque fois qu’il y a plusieurs intervenants, la mutualisation s’avère indispensable pour éviter des chevauchements. Sur le plan national en tant que service de coordination, nous avons vite compris cet état de fait. C’est pourquoi, les 11 et 12 décembre 2016 avec le soutien financier de l’Onudc, nous avons organisé un atelier national qui a regroupé tous les acteurs-clés pour parler de mutualisation des stratégies de lutte contre la drogue au Mali. Les structures de la police, de la gendarmerie, de la douane, de la justice, de santé ainsi que des organisations de la société civile sont arrivées à des recommandations fortes pour une lutte efficace. Depuis, il faut reconnaitre que nous avons enregistré des progrès significatifs du coté de la douane. Par contre, d’autres services de sécurité manifestent le flou et même une sorte de réticence par rapport au cadre de concertation nécessaire pour relever le défi de la lutte. Sur le plan international, l’Ocs entretient d’excellents rapports d’échange et de partage d’information avec les structures similaires dans le cadre des relations de coopération.
Quel message à l’endroit de la population malienne ?
Le trafic illicite des drogues est une activité souterraine, dont la lutte est basée essentiellement sur le renseignement. C’est pourquoi, je lance un appel renouvelé à la population à partager avec les services de sécurité tout renseignement afin de nous permettre d’accomplir pleinement nos missions.
Réalisé par A.B.HAÏDARA