Agé, aujourd’hui, de 68 ans, notre confrère et doyen Diomassi Bomboté, originaire de Kayes, a séjourné, pendant plus d’un demi siècle, à Dakar au Sénégal avec son vieux père qui était maçon. Professeur au C E S T I de Dakar, Diomassi Bomboté a regagné depuis, son Mali natal avec qui il veut partager ses multiples expériences dans le domaine de l’évolution et de l’instauration de véritables entreprises de presse. Présent à la journée d’information de l’ ASSEP sur la Haute Autorité de la Communication, Diomassi a bien voulu se prêter à nos questions.
Le Pouce : En votre qualité de Doyen, quel regard portez- vous, en ce moment, sur le paysage médiatique du Mali ?
Diomassi Bomboté: Le regard sur la presse malienne, est qu’il s ‘agit d ‘une presse naissante. Nous sommes à 50, 60 ans d’existence. Nous sommes pressés. Nous voulons, tout de suite, que l’idéal soit-là. Et si nous nous comparons à d’autres vieilles civilisations modernes qui ont plus de 200, 300 ans d’existence, on voit encore aujourd’hui que ces presses ont beaucoup de tares et de difficultés. Le journalisme est un processus. Chaque émission, chaque reportage, chaque activité du journaliste, est une nouvelle création, un accouchement. Or, on sait qu’un accouchement est toujours douloureux. C’est ce qui rend notre profession assez difficile, avec une très grande exigence sur le plan de la déontologie. Ce sont des règles admises par tout le monde. L’éthique n’est pas codifiable. C’est une équation personnelle qui relève de mes propres convictions, de ma morale personnelle. Elles s’inspirent d’une valeur générale de la société. L’éthique est l’expression personnelle de l’ensemble des valeurs et préside des règles de la profession que j’ai intégrée et qui font ma personnalité, qui est différente de celle de mon confrère. Il y a un devoir d’effort à faire dans la quête de l’information.
Au Mali, nous sommes handicapés par plusieurs facteurs. Il y a cette dialectique. Si les gens se plaignent de la presse, c’est parce qu’en face, il n ‘ y a pas d’opinion publique exigeante qui les interpelle, les pousse et les accule. La presse est aussi exposée à des difficultés économiques considérables. Le besoin de créer une véritable économie de l’information s’impose. Nous n’avons pas d’entreprise de presse digne de ce nom, à part les structures comme l ‘ORTM, l’AMAP. Celles-ci bénéficient d’un environnement adéquat. Ce qui est de la presse privée (radio presse écrite, télé privée) elle est une nécessité absolue de toute société qui aspire à la démocratie qui a un besoin de formation à la gestion d’une véritable entreprise de presse.
Souvent, en Afrique, nos presses sont l’expression de notre paresse parce que le commentaire est très facile. Le commentaire est manichéen; j’aime, je n’aime pas; c’est beau, ce n’est pas beau. Le journaliste, en principe, n’a pas d’émotion et les faits sont là. Il pleut, il pleut. Le journaliste peut analyser, expliquer mais il n’a pas à porter de jugement, à insulter. Le jugement vient seulement après avoir expliqué, analysé et sauvé les faits. C’est çà qui fait notre drame au Mali. Les gens sont prompts à porter des jugements. Même ceux qui ne veulent pas porter de jugement, ne font pas l’effort nécessaire de fouiller, d’aller au fond afin que la vérité soit connue. Souvent, nos confrères sont victimes d’une certaine forme d’empathie, c’est à dire de prendre fait et cause avec celui qui vous parle. On ne garde pas assez de distance. Conséquence : l’information est biaisée, la vérité massacrée.
Le Pouce : Comment avez- vous accueillie l’effectivité prochaine de la Haute Autorité de la Communication ?
Diomassi Bomboté: Il s ‘agit d ‘une structure de régulation, d ‘encadrement. En principe, la régulation dans la presse, c’est un peu gênant. Mais, je pense, cependant, que c’est l’attitude assez indispensable, une exigence pour mieux gérer la profession afin qu’elle soit plus près des conditions idéales d’exercice. Si la régulation veut dire exiger des journalistes plus de professionnalisme, plus de respect du public à qui on donne des informations qui sont fiables, on ne doit pas se servir de sa plume, ou se cacher derrière la liberté d ‘expression pour saccager voire détruire des vies humaines . Faisons comme le veut la religion à savoir, le discernement entre le bien et le mal. Le journaliste, au moment de traiter son information, doit rester aux faits. Si j ai un proche qui a commis un délit et que je suis obligé de traiter, ou qu’on m’oblige à traiter, je ne peux que présenter les faits. Je laisse la liberté à ceux qui vont consommer l’information que j’ai mise sur le marché, d’apprécier et de donner leur point de vue, d’aimer ou de ne pas aimer.
Le Pouce : Quelles sont donc vos attentes ?
Diomassi Bomboté: C ‘est un défi qui est lancé à l’ensemble du peuple malien. La haute autorité de la communication, n’est pas un cadeau, ni non plus une prime à la profession. C est une prime à la démocratie. Le processus démocratique exige que toutes les composantes de la société, soient concernées et prennent en charge leur propre destinée. La H A C, est une tentative de réflexion sur les conditions d’exercice. La H A C permettra à l’opinion publique en général, de connaître les difficultés auxquelles les journalistes sont exposés. La H A C trouvera auprès des différentes composantes (décideurs, le secteur privé, la société civile) compréhension, soutien et accompagnement. La H A C, c’est pour la démocratie malienne et doit être animée par des gens au dessus de tout soupçon qui font l’effort de s’élever au dessus des contingences individuelles et des émotions. Certes, l’idéal n’existe pas. Seulement, il faut faire en sorte que la part de l’émotionnelle qui est en chacun de nous, n’étouffe pas la partie rationnelle qui exige un traitement efficace, juste et honnête de l’information.
Interview réalisée
Par Tiémoko Traoré