Dans une interview accordée à l’Auditeur Francophone, le trimestriel d’information sur l’audit interne en milieu francophone, le Vérificateur général, Sidi Sosso Diarra, passe en revue sa mission et les défis à relever dans l’amélioration de la gouvernance au Mali voire en Afrique. Nous vous livrons, ici, des extraits de cette riche interview de l’homme qui s’apprête à passer la main, en avril 2011, et cela au terme de son mandat unique de 7 ans non renouvelable.
L’Auditeur Francophone : Au nom de l’ensemble des Auditeurs Francophones, nous vous remercions pour avoir accepté cette interview malgré votre emploi du temps très chargé et surtout au moment où vous venez de déposer votre rapport annuel 2009. Monsieur le Vérificateur Général, qui êtes-vous et pourquoi avez-vous accepté cette fonction?
Sidi Sosso Diarra : C’est au contraire moi qui vous remercie pour tout l’intérêt que vous portez à ma personne, en tant qu’auditeur, et pour le travail de l’institution que je dirige actuellement. Je m’appelle Sidi Sosso Diarra, je suis Malien, expert-comptable et père de 5 enfants. J’ai été auditeur en France, Chef de mission à la Commission Bancaire de l’UMEOA puis Directeur du Budget et de la Comptabilité à la BCEAO, avant d’être Vérificateur Général du Mali pour un mandat unique de 7 ans ; fonction que j’assume depuis le mois d’avril 2004. Malgré cette étiquette d’auditeur-comptable, je suis passionné d’économie, de droit, de musique et de cinéma. J’ai accepté d’être Vérificateur Général du Mali pour servir mon pays. Je tiens à rappeler que j’ai eu l’immense privilège de partir étudier en France grâce à une bourse d’excellence octroyée par le Fonds d’Aide et de Coopération (FAC) par l’intermédiaire de I’ Etat malien. Il me semble donc légitime de venir mettre au service du développement national, ces années d’expériences acquises à travers le monde. Il faut aussi reconnaître que mon profil semblait correspondre aux attentes du président de la République. Les missions assignées au BVG-Mali convergent vers la promotion de meilleures pratiques de gestion des ressources nationales, ce qui est un combat que j’ai toujours voulu mener pour les pays en développement comme le notre. La fonction de Vérifcateur Général est la réponse parfaite à cette dualité qui, en fin de compte, résume assez bien ma personne.
A.F. : Vous avez donc une riche expérience dans le domaine de l’audit, notamment pour avoir travaillé en France dans des Cabinets internationaux d’audit. Quelles sont les difficultés pour la promotion de l’audit au Mali?
S.S.D. : En effet, j’ai commencé ma carrière d’auditeur en France et j’ai eu la chance d’apprendre et de diriger des équipes dans de grands cabinets comme Arthur Andersen & Cie, Ernst & Young. Cette expérience me permet aujourd’hui d’affirmer que la prospérité de nos jeunes économies passe par une gestion rigoureuse des ressources publiques, la contribution de femmes et hommes compétents et intègres et l’émergence d’une culture basée sur l’imputabilité.
Au Mali, l’une des difficultés obstruant la promotion de l’audit réside dans la perception négative et méfiante du contrôle par les entités vérifiées qui y associent une dimension sanction-répression. A cet égard, un effort supplémentaire reste à déployer de la part de l’ensemble des structures de contrôle afin de mieux expliquer notre travail et de mettre en avant la dimension incontournable de la pédagogie. De plus, la faible valorisation, dans plusieurs structures publiques, du métier de contrôleur ou d’auditeur est de nature à minorer toutes les forces exploitables qui peuvent résulter d’un audit de façon générale. Ceci se traduit notamment par le silence et le faible impact qui entourent les conclusions d’audit. Cette dévaluation de la fonction a été accentuée par l’absence de normes et de méthodes communes de travail. C’est d’ailleurs l’ambitieux projet de la Banque Mondiale à travers l’IDA qui a désigné le BVG-Mali comme agence d’exécution d’un projet allant dans ce sens.
A.F. : Monsieur le Vérificateur Général tout au long de ce mandat sensible et unique de 7 ans, la question relative à l’indépendance a beaucoup marqué l’actualité de votre Bureau, qu’en est-il réellement ? Êtes-vous réellement indépendant ? Si oui, cette indépendance prévoit-elle pour vous une immunité ou une autre forme de protection juridique après votre mandat, de sorte de ne pas vous inquiéter des conséquences à venir, des actes posés aujourd’hui dans l’exercice de vos fonctions?
S.S.D. : Oui, le Vérificateur Général est indépendant. Cette indépendance est tangible et perceptible depuis la première étape qui est le processus de sélection qui est fait sur la base d’un appel à candidature. L’organisation du Bureau, le choix de nos missions et la communication de nos résultats à travers le rapport annuel illustrent cette indépendance. La loi instituant le VG me protège contre les injures, provocations et menaces dont je peux faire l’objet dans l’exercice de mes fonctions.
Vous avez appris comme le reste du monde mon arrestation en 2009 suite à un choix de gestion que j’ai fait et qui, aujourd’hui encore, me semble incontournable pour mener à bien la noble mission que le chef de l’Etat m’a confiée. Il s’avère donc qu’en réalité ma protection est partielle, car le VG n’a pas d’immunité, ni pendant ni après son mandat. De plus, ceux qui ont tout fait pour immobiliser le travail du BVG, sans succès, prennent de l’élan et promettent de régler mes comptes à la fin de mon mandat. J’ai mesuré le niveau de sensibilité lié à ma fonction et c’est en connaissance de cause que je l’ai accepté.
A.F. : Vous êtes à la fin de votre mandat. Quels enseignements pouvez-vous en tirer pour l’amélioration de la gouvernance au Mali voire en Afrique ?
S.S.D. : Le Mali est sur une bonne voie qu’il convient de renforcer et de pérenniser. Une meilleure gestion de nos ressources publiques limitées peut nous aider à développer le Mali. Pour ce faire, il est indispensable de continuer à contrôler la gestion des deniers publics, d’améliorer la performance des services publics dans la prestation de services aux citoyens et enfin la nécessité de suivre et de mettre en œuvre les recommandations formulées par les missions de contrôle. Aussi, je pense que l’Etat gagnerait à communiquer davantage les suites que la justice, dans sa souveraineté, réserve aux affaires traitées ainsi que les sanctions et mesures administratives prises pour pallier les dysfonctionnements constatés.
A.F. : Etes-vous fier de servir le Mali ? Si oui, quelles sont les vérifications qui vous ont marqué ?
S.S.D. : Oui. Je suis fier de servir ce pays de vaillants hommes dont le courage a conduit à l’institution d’un Vérificateur Général. Fier de ce pays qui a osé dévisager le mal qui le ronge depuis toujours, à cause de la complicité de certains et du silence coupable d’autres. Dans l’exercice de nos missions classiques, nos constats et nos recommandations sont, pour nous, une contribution pour édifier un avenir meilleur et parfaire l’héritage que nous léguerons aux générations futures. C’est avec honneur que j’ai eu à initier et à travailler sur l’ensemble des 165 missions de vérification effectuées par ce Bureau. Mais il faut reconnaître que si toutes les vérifications, à mon sens, ont plus ou moins la même portée, certains constats ne laissent personne indifférent. C’est notamment le cas des faits révélés par les vérifications relatives aux manuels scolaires où il était question de livres conçus mais livrés avec des retards de deux ans ou encore le cas des missions effectuées dans les Directions Administratives et Financières des Ministères, qui ont décelé de façon récurrente des fautes de gestion et des malversations essentiellement causées par les libertés prises par certains gestionnaires.
A.F. : Votre mandat n’a pas été sans difficultés. Pouvez-vous nous en indiquer quelques-unes et quels conseils avez-vous pour le futur Vérificateur Général ?
S.S.D. : La première difficulté apparue dans mon mandat a été liée au choix du personnel destiné à m’accompagner dans mes fonctions. Les négociations ont duré presque une année entière avant que les autorités ne consentent à accepter le niveau de salaire que j’ai proposé pour mes collaborateurs. Une autre difficulté de taille est apparue suite aux missions de vérification auprès de la Direction Générale des Impôts. Ces missions nous ont amené à comparer auprès des opérateurs privés et publics de la place, les recettes générées par leurs activités, devant être reversées dans les caisses de l’État comme la TVA ou encore la vérification de l’utilisation des avantages fiscaux que l’État leur accorde. Ce contrôle a provoqué une levée de boucliers de la part du patronat malien qui a essayé de fermer le BVG pour avoir essayé de fouiller dans les comptes d’entreprises privées. Les difficultés sont inhérentes à la fonction de Vérificateur Général, même si je dois avouer qu’elles ont culminé avec les évènements de 2009 qui ont conduit à mon arrestation.
Le conseil que je donne à mon successeur serait de s’armer de courage et de patience, de collaborer autant que possible avec les autres structures de contrôle et enfin de continuer à préserver et à renforcer l’indépendance de l’institution qui est le prix de sa crédibilité.
Accordée à la Lettre trimestrielle "Auditeur Francophone" n°5.