Daniel Tessougué à propos de la Reforme constitutionnelle: «L’organisation du Référendum est un gâchis financier»

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La reforme constitutionnelle du président ATT, déjà votée par l’Assemblée Nationale et qui sera soumise au référendum l’année prochaine, fait aujourd’hui l’objet de plusieurs controverses. Dans l’interview qui suit, Daniel Tessougué nous explique le bras de fer que son Alliance  compte engager pour barrer la route à cette nouvelle réforme.

Le Prétoire : Depuis deux ans, le président de la République a engagé un vaste projet de réforme constitutionnelle qui fait l’objet de contestations. Pouvez-vous nous l’expliquer un peu ?
Daniel Tessougué :
Je ne suis pas la personne la mieux indiquée pour expliquer ce projet. Je pense qu’il y a un département pour cela. Les réformes procèdent même de l’essence de l’Etat, chaque fois qu’il y a un besoin. C’est tout à fait normal dans le processus d’un Etat. Maintenant, c’est l’opportunité et le moment qui posent problème. La question de la réforme est une question récurrente de chaque Etat de part le monde.

Que pensez-vous de la crédibilité de la Commission Daba Diawara qui était chargée de l’élaboration dudit projet?

 Si vous voulez parler de ces différentes réformes portant sur la révision constitutionnelle, il y a de gros soucis, parce qu’on prendra l’historique de cette Constitution qui est un texte issu de la révolution de Mars 1991 qui n’est pas une petite affaire. Elle sort des larmes et du sang des Maliens. Et il faut faire attention, parce que c’est après la Conférence nationale que cette Constitution est arrivée avec d’autres textes comme la Charte des partis politiques et le Code électoral. Qu’on crée une Commission sans l’adhésion  massive de la classe politique, des citoyens d’une manière générale, cela pose problème tant dans sa forme que dans son contenu. Je pense que c’est là toute la grande question. Oui à la réforme, mais c’est la façon de procéder qui est gênante.

Votre Alliance qui proteste aujourd’hui contre le projet de réforme a-t-elle une légitimité?
Bien sûr, cette Alliance a une bonne légitimité. Comme je disais tantôt, chaque Etat peut réformer comme il le veut. Mais, il y a la question de l’opportunité qui se pose. La Constitution actuelle est sortie de la révolution de Mars 1991 avec la Conférence nationale. Est-ce que de 1992 à aujourd’hui, il y a eu une crise institutionnelle telle qu’on peut dire que la pratique de cette Constitution pose problème ? Non, il n’y a jamais eu de crise institutionnelle, sauf qu’elle n’a jamais été appliquée correctement. Appliquons correctement cette Constitution  jusqu’au bout et après, on verra si oui ou non elle a des limites. Maintenant vous me posez la question sur le vote des Députés, cela n’engage qu’eux. Nous, nous sommes de la société civile et il ya une grande partie de la classe politique avec notre Alliance. Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est qu’au Mali, il y a plus de 14o partis politiques et combien sont-ils à l’Assemblée Nationale? Est-ce qu’ils représentent entièrement le peuple malien ? Ce qui fait que tous les groupements qui contestent cette réforme, ont une légitimité certaine. Nos moyens d’action porteront sur les conférences, les marches, les meetings et les sit in. Donc, politiquement et juridiquement, nous sommes dans la légalité. Ce qui veut dire que c’est en toute responsabilité que tous ces regroupements sont en train de dire «Non, ne touche pas à cette Constitution».

Votre Alliance n’est-elle pas une Alliance de façade ?
Non, je crois que vous mélangez des choses qui ne sont pas à mélanger. Aly Nouhoum Diallo a formulé un souhait en disant qu’il faudrait que les travailleurs se  retrouvent dans une Union comme en 1991. C’est juste cela et ça n’a rien à voir avec les réformes constitutionnelles. Parler d’une Union de façade, je ne pense pas. Je crois qu’il y a une question fondamentale qui est posée. Oui ou non, doit-on toucher à cette Constitution ? Est-ce qu’il y a eu une crise institutionnelle de telle sorte qu’il fallait la modifier? Pourquoi doit-on la modifier alors qu’il y a des défis majeurs qui se posent à notre Nation? Pourquoi on va-t-on engager tant de milliards pour une opération qui n’en vaut pas la peine ? Voilà les questionnements posés par les uns et les autres.

Vous venez juste de parler des enjeux majeurs. Lesquels ?

Je prends juste quelques exemples.  Dans le document présenté par la Commission  Daba Diawara, on parle d’amoindrir les charges des contribuables maliens par rapport au fonctionnement des institutions. Mais, au lieu d’alléger leurs charges, on en crée de nouvelles. Un autre petit exemple, c’est le cas du renforcement des pouvoirs du président de la République. Mais ce qui est évident, c’est que  le président de la République   concentre tous les pouvoirs à son niveau. Et  nous disons que c’est très dangereux. Nous sortons de cette période où un homme concentrait tous les pouvoirs. C’est contre cela que le peuple malien s’est révolté en 1991. Comment voulez-vous donc qu’après 20 ans, on revienne à la case de départ ?

Ensuite, la question du référendum.  Comme disait l’un de nos camarades, c’est la dernière fois que le peuple malien sera appelé à y participer, parce qu’après, c’est le Congrès  c’est-à-dire, c’est l’Assemblée et le Sénat qui vont pouvoir réviser la Constitution.

Pourquoi le président de la République tient beaucoup à cette réforme?
Cette question, il faut plutôt la poser au président. Mais, de mon point de vue, qu’il laisse notre Constitution tranquille. Le prochain  président, s’il propose aux Maliens une révision constitutionnelle lors de la campagne et si le peuple malien lui accorde sa confiance sur la base de cette promesse de campagne, libre cours à lui d’organiser comme il le veut, sa réforme constitutionnelle. Quel intérêt ATT a-t-il en décidant de ces reformes, alors qu’il est sur le départ? La question reste posée.

Quels sont aujourd’hui les moyens de contestation de votre Alliance ?

Nous sommes des démocrates et nous pensons que tout procède du débat. C’est ce manque de débat que nous avons reproché à la Commission et à tous ces mouvements de réforme. Nous disons que le débat démocratique doit s’instaurer. Maintenant, nous avons des moyens d’action qui s’inscrivent dans la légalité. Nous espérons que nous n’arriverons pas à l’extrême et nous pensons que l’esprit de sagesse prévaudra.

Face au décalage entre le fait politique et la préoccupation quotidienne des maliens, pensez-vous que vous allez pouvoir mobiliser les Maliens autour d’un sujet politique ?
Nous sommes  dans cette logique là quand nous disons que 8 milliards pour un projet de Constitution alors que les gens ont des  problèmes de manger, de santé, de l’éducation et d’autres problèmes non moins importants. Ce qui veut dire que nous sommes en phase avec la population, nous faisons remonter l’expression des masses populaires. Aujourd’hui, la révision constitutionnelle n’est pas une préoccupation des Malien. Il s’agit pour cette population de trouver à manger, avoir la santé et une bonne éducation. Après la conférence nationale de 1992, qu’on respecte la volonté du peuple malien. Maintenant si on pense qu’il y a des problèmes on verra cela aussi. Mais, qu’un groupe «d’experts» s’enferme dans un bureau pour nous pondre un texte, cela n’est pas normal.

Quel est, aujourd’hui, le manque d’opportunité de cette réforme ?
C’est lorsqu’on sent qu’il y a des problèmes, qu’il y a des entorses dans l’application d’un texte, on s’arrête et on dit, attention, telle articulation n’a pas bien menée ; donc modifions. On nous dit qu’on a 20 ans  de pratique démocratique et donc qu’il faut modifier. Mais, la Constitution américaine a plus de 200 ans. S’il y a des problèmes majeurs, on amende. Mais, on ne se lève pas un beau matin pour dire qu’il faut modifier. Si c’est comme ça, on va modifier le texte chaque année. S’il y avait un problème entre le président de la République et le Premier Ministre au point on arrive à une rupture, on allait dire que notre pratique démocratique a failli. Mais, pendant 20 ans, il n’y a pas eu de problème. Au contraire, on n’a jamais appliqué cette Constitution du 25 février 1992. Elle a toujours été  violée par les pouvoirs successifs. De grâce, qu’on laisse cette Constitution dans son état actuel.

 En prenant l’exemple sur le cas de Moussa Traoré lors de votre conférence de presse est-ce une menace ou un avertissement au régime d’ATT ?
Soyons net sur les mots. Nous sommes des démocrates, nous nous sommes battus durant des années pour que l’Etat de droit soit, pour que la démocratie soit également. Donc, il ne nous reviendra jamais d’aller à une modification violente du processus constitutionnel. Nous demandons juste la sagesse. Cette notion a manqué à l’ancien général. Aujourd’hui, nous sommes dans un processus que tout le monde décrie. Donc il faut tout simplement l’arrêter. Si jamais il y a une crise dans ce pays, les responsables répondront devant l’histoire.

En tant qu’organisation de la société civile, avez-vous été associé au processus relatif à l’élaboration des textes ?

Justement c’est là où le problème se pose quand nous disons qu’il y a eu une absence totale de débat autour de ce projet. Pire encor, les propositions faites par les uns et les autres n’ont pas été retenues. 
Face à cette situation, nous allons mener des actions au fur et à mesure. J’espère  que vous aurez les échos de ces actions à mener. Ce qui est sûr, on ne va pas s’arrêter en si bon chemin parce qu’il s’agit du Mali.
Propos recueillis par
Nouhoum DICKO

 

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