Après avoir lancé un cri du cœur envers les autorités publiques par la voix de son président, Cyril Achcar, l’Organisation patronale des industriels (Opi), dans son rôle de partenaire de proposition, a remis au Gouvernement un Livre Blanc dans lequel se trouve portées 24 mesures innovantes pour booster l’industrie malienne. Les choses ont-elles bougé depuis lors ? Au moment où le Mali vient de fêter le 57ème anniversaire de son indépendance, peu de temps après le lancement par le ministre du Développement industriel d’un ” Plan d’urgence pour le Développement industriel du Mali “, il y a de quoi faire le point, notamment en donnant la parole aux professionnels du secteur industriel regroupés au sein de l’Opi dont le président, Cyril Achcar, a bien voulu nous accorder un entretien exclusif.
Aujourd’hui : M. le Président, à plusieurs reprises vous avez lancé un cri du cœur envers les autorités publiques, après avoir dressé un tableau sombre de l’industrie malienne. Avez-vous l’impression d’avoir été entendu ?
Cyril Achcar : Je vous remercie pour avoir pensé à l’Organisation patronale des industriels, dont j’ai le privilège d’être l’actuel président. L’Opi milite pour la transformation locale. C’est la seule voie pour la transformation structurelle de l’économie, source de création d’emplois avérés et de richesses.
Pour revenir à votre question, en effet, il est vrai que l’Opi ne cesse d’attirer l’attention des pouvoirs publics sur les difficultés qui freinent le développement des entreprises industrielles au Mali et handicapent l’attractivité du secteur. Le gouvernement a certainement entendu notre message, mais nous nous interrogeons beaucoup sur le niveau de perception de notre appel.
De façon plus précise, y a-t-il des avancées notables ?
D’abord, il est utile de préciser qu’il serait bien dommage que notre Économie rate le ” train “ de la transformation productive. Le Mali n’a donc plus le choix. L’industrialisation est la seule voie sûre pour garantir un développement solide et durable. En fait de progrès significatif au plan de l’intensification du tissu industriel du Mali, nous sommes en attente des premières vraies réformes industrielles sous IBK !
D’un autre côté, il y a aussi que l’on reproche aux industriels maliens un manque d’audace en matière d’investissement, préférant attendre beaucoup de l’Etat. Réalité ou mauvais procès ?
Faire de l’industrie au Mali est en soi un grand signe d’audace ! Les handicaps structurels, notamment l’enclavement, le coût élevé et l’insuffisance des facteurs de production, la faiblesse de la demande nationale, etc. combinés aux handicaps conjoncturels comme l’insécurité dans la zone centre et nord du Mali, l’iniquité des textes Uemoa/Cedeao, la porosité des frontières, la concurrence déloyale au profit des produits importés qui bénéficient de la fraude au cordon douanier, l’unilatéralisme de l’Etat, la lenteur des réformes pour le climat des affaires, etc. constituent quelques unes des vraies barrières qui ralentissent ou bloquent le processus d’industrialisation et l’amélioration de la compétitivité des unités industrielles du Mali.
C’est fort de cette expérience du terrain que l’Opi plaide pour des réformes en vue de renforcer les capacités de compétitivité des entreprises industrielles nationales face à un marché Uemoa/Cedeao organisé selon des règles qui sont largement en défaveur des intérêts des pays de l’intérieur comme le Mali. La conséquence immédiate de ces réformes se traduirait, entre autres, par une plus grande amélioration de l’indispensable transition du secteur du négoce vers le système productif organisé.
Monsieur le Président, en suivant de près les activités du ministère du Développement industriel, on a l’impression d’un état des lieux qui s’éternise, au détriment de décisions concrètes, comme le pensent des industriels rencontrés. Qu’en pensez-vous ?
Les pouvoirs publics ont été bien inspirés en créant un département dédié exclusivement à l’industrie. Le Mali peut et doit s’industrialiser ne serait-ce que pour transformer ses productions agro-sylvo pastorales. Pour cela, nommer un ministre ne suffit pas, loin s’en faut ; faire des visites de constats, non plus ! Il faut des réformes en profondeur soutenues par des moyens financiers et humains conséquents. On en est loin hélas pour le moment !
Justement, le ministère du Développement industriel vient de lancer un plan d’urgence de développement industriel. Est-ce que l’Opi se retrouve dans ce plan ?
Nous apprécions le dynamisme du ministre du Développement industriel depuis qu’il se trouve à la tête de ce Département. Ses démarches sont généreuses et le lancement du plan d’urgence de développement industrie s’inscrit dans cette dynamique qui n’est ni plus ni moins que le condensé du plan d’action 2015-2017 de la Politique de Développement Industriel de mars 2010, lequel recommande de mettre en œuvre les réformes du Livre Blanc.
Justement, l’Opi a fait parvenir au Gouvernement un Livre blanc qui recense les principales préoccupations des industriels, tout en formulant des propositions de solutions. Où en est-on à présent ?
La balle est dans le camp du Gouvernement. Après avoir conçu et réalisé le Livre Blanc, l’Opi a pu mobiliser des subventions à l’effet d’approfondir les propositions qui sont contenues dans le document, souvent à la demande même du Gouvernement. Mieux, ces études ont fait l’objet de validation en rapport avec les services techniques de l’Etat.
L’Opi entend poursuivre sa démarche en jouant son rôle de partenaire de proposition. Il appartient à l’État de surmonter son attentisme pour accepter celles des réformes qui sont justes, pertinentes, efficaces et profitables à l’économie.
Mais avez-vous l’impression que le traitement des préoccupations soulevées par ce Livre blanc est en bonne voie d’aboutir aux réponses que vous attendez du Gouvernement ?
Nous avons les mêmes objectifs, à savoir créer les conditions de l’émergence économique par la transformation des matières premières locales ; renforcer la compétitivité du Mali face à la concurrence sous régionale ; favoriser la création de richesses et des emplois via l’activité productive. Dans les faits, le constat est que sur ce terrain, nous avons du chemin à faire…
De façon plus précise, peut-on dire qu’il y a une véritable politique de développement industriel avec les instruments appropriés, si l’on sait que l’on s’appuie sur un document qui date de 2010 et dont certaines données et projections ont été déjà faussées par la crise multidimensionnelle que le pays a connue ?
Beaucoup de choses ont évolué au Mali depuis 2010 en effet. Votre question alerte sur l’importance de l’analyse prospective et de l’action concertée. L’Opi fera son travail de plaidoyer et de sensibilisation. Nous continuerons aussi d’être une force de proposition et de travail sur lesquels les autorités peuvent s’appuyer pour examiner et traiter les problématiques économiques qui sont par nature complexes et évolutives
Votre dernier mot, Monsieur le Président ?
Notre pays vient de fêter les 57 ans de son indépendance. Bon anniversaire à tous ! Toutefois, la meilleure des indépendances est économique. Sur ce terrain, le principal défi à relever est celui de l’industrialisation. Il doit être déclaré au rang de priorité nationale ; le secteur industriel ne requiert pas de l’Etat malien des financements comme le secteur agricole vital, mais seulement l’application de règles douanières et fiscales radicales et immédiates contre la fraude, la concurrence déloyale avec l’application d’une fiscalité industrielle favorable aux transformations et particulièrement celles des produits agricoles locaux.
Avec une industrie forte, nous amènerons le Mali au niveau industriel des pays côtiers, en ne nous contentant pas de rester un éternel pays consommateur de ce qui est produit ailleurs ; quittons l’arrière cour.
Réalisé par Amadou Bamba NIANG