Crise du secteur des BTP : Boubacar H. Diallo, président de l’OPECOM, dit tout

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En prélude à la 11e  Assemblée Générale Ordinaire statutaire de l’Organisation Patronale des Entrepreneurs de la Construction du Mali (OPECOM), prévue le 19 juin, son président Boubacar H. Diallo, a dans ce long  entretien, mis son doigt sur les différentes crises qui paralysent le secteur des Bâtiments Travaux Publics (BTP). Il a insisté sur la caducité du cadre juridique et institutionnel dont il réclame la relecture des textes. L’Ingénieur des Constructions Civiles et Chevalier de l’Ordre National du Mali s’est aussi prononcé sur la grave crise que traverse le Conseil National du Patronat (CNPM).

Le Wagadu : Monsieur le président, votre organisation est l’une des plus vieilles organisations professionnelles, pouvez-vous nous la présenter et nous parler de ses missions ?

Boubacar H Diallo : En effet, l’Organisation patronale des entrepreneurs de la construction du Mali (OPECOM) est une Association professionnelle au service des entrepreneurs du Bâtiment Travaux Publics (BTP). Elle a été créée il y a 50 ans, en 1972, sous le nom de SYNABT (Syndicat National du Bâtiment et des Travaux Publics) et ses membres évoluent dans le domaine du Bâtiment, des travaux routiers et des travaux particuliers. L’organisation a ses démembrements dans toutes les régions du Mali avec un peu plus de 2000 adhérents.

C’est une occasion pour moi de rendre un vibrant hommage à nos pères fondateurs et aux différents présidents qui se sont succédé à la tête de notre organisation et qui ont tous toujours œuvré pour la cohésion entre les adhérents. Le SYNABAT a pris le nom de OPECOM, suite à l’assemblée générale de 2005. Ce changement de nom a été opéré pour éviter la confusion de dénomination avec une autre organisation.

Pendant les premières années de son évolution, le secteur du BTP n’était pas règlementé. La première réglementation est intervenue en 1979, suite à l’ordonnance 79-27-CMLN du 29 mars 1979 du CMLN (Comité Militaire de Libération Nationale) portant réglementation de la profession d’entrepreneurs et de tâcherons du bâtiment, des travaux publics et des travaux particuliers.

En 1993, la loi n°93-065 du 15 Septembre 1993 portant règlementation de la profession d’entrepreneur du Bâtiment, des Travaux Publics et des Travaux Particuliers a abrogé l’ordonnance du CMLN et a supprimé la profession de tâcherons tout en insistant sur les incompatibilités entre les différentes professions. Le décret n°97/160/PRM du 29 Avril 1997 a fixé les modalités d’application de la loi et en créant la catégorisation avec des seuils pour chaque catégorie.

Pour vous parler de notre mission, l’OPECOM est un syndicat de chefs d’entreprises en conformité avec les textes en vigueur. L’Organisation étudie et défend les intérêts matériels et moraux des Entrepreneurs du BTP, participe à leur formation technique et professionnelle et à l’élaboration des textes régissant la profession. Elle veille à instaurer une saine concurrence entre les entreprises. L’OPECOM encourage les entreprises maliennes à se regrouper pour faire face à la concurrence.

Le Wagadu : C’est très édifiant. Est-ce que ce cadre juridique et institutionnel a permis aux entrepreneurs de voir le bout du tunnel ?

B.H.D : Pas du tout. La loi et son décret d’application ont été appliqués juste pendant les premières années de leur entrée en vigueur mais aujourd’hui leur seule utilité c’est l’obtention de la carte professionnelle pour l’exercice de la profession. Je vous ai parlé du décret d’application. Celui-ci a classé les entreprises en sept (7) catégories de A à G. Un dossier d’appel d’offres devrait viser une catégorie bien déterminée pour éviter la concurrence déloyale entre les soumissionnaires avec l’avantage de faire travailler des entreprises dans chaque catégorie.

Vous êtes de la presse, avez-vous vu pendant au moins ces quinze dernières années, des publications d’avis d’appel d’offres qui font référence à des catégories d’entreprises conformément au chapitre II, article 5 du décret d’application ? Je dis non à votre place.

Le Wagadu : Alors que faites-vous, que fait votre organisation ?

B.H.D : Depuis plus de 10 ans, nous demandons la relecture des textes mentionnés. Les dernières tentatives datent respectivement de 2017 et d’octobre 2019. Le processus n’a pas abouti parce que la relecture ne donne satisfaction à aucune des parties. Entre-temps, le code des marchés publics, qui est aussi un autre décret, s’est invité dans le débat. Ce qu’il faut faire, c’est de trouver une nouvelle catégorisation qui combine les critères de qualification, la catégorie et les chiffres d’affaires.

Pour vous faire mieux comprendre certains aspects du décret, le coût estimé des travaux que chaque catégorie d’entreprise peut exécuter est égal à dix fois le montant le plus élevé de la valeur des immobilisations définies à la catégorie correspondante et il n’y a pas de limite pour la catégorie A dont la valeur des immobilisations est de 100 millions au moins et beaucoup de nos entreprises sont à la catégorie A, sans pouvoir accéder aux marchés prévus pour la catégorie A. Donc, il faut retracer les plafonds.

C’est le ministère en charge de l’habitat qui porte ce projet et c’est lui qui délivre aussi la carte professionnelle. Nous avons été reçus tout récemment au mois de mars 2021, les discussions étaient envisagées et la volonté politique et les prédispositions étaient visibles.

Aussi, nous ne sommes pas seuls dans ce combat dont l’objectif est de rehausser la profession. Notre organisation se trouve aussi dans un réseau avec les autres acteurs, notamment les ordres professionnels du BTP et nous sommes dans une cohérence pour faire avancer le secteur.

Le Wagadu : Dans ces conditions comment se porte votre secteur ? On nous a toujours fait savoir que quand le BTP va tout va ?

B.H.D : Le secteur ne se porte pas bien. Les entreprises maliennes de BTP et l’ensemble du secteur traversent d’énormes difficultés depuis 2012. La situation socio-politique et sécuritaire que traverse notre pays a plongé notre secteur dans la plus grande incertitude. À cela, se sont grevées la récente crise sanitaire due à la pandémie du Covid-19 et les sanctions suite aux évènements survenus en 2020.

Les difficultés sécuritaires entravent la relance de l’économie. Beaucoup d’entreprises ont disparu et celles qui existent encore le sont beaucoup plus dans l’apparence. Nos adhérents des régions du nord ne savent plus à quel saint se vouer. L’impact de toutes ces crises a fini par mettre presque à terre un secteur qui était déjà à genoux.

Toutes les crises qui secouent notre pays ont une conséquence directe sur notre secteur. Des projets existent pour certaines zones, mais leur mise en œuvre est compromise du fait de l’insécurité. Certains de nos membres qui ont eu leur matériel de travail détruit suite aux évènements de 2012 ne sont pas encore dédommagés. Ils sont au chômage. Les quelques entreprises qui travaillent ont d’énormes difficultés non seulement avec leurs banques du fait du non-paiement de leurs factures mais aussi avec les services d’assiette et de recouvrement.

Quand le BTP va, alors tout va et puisque ça ne va pas dans le secteur, alors la réponse est claire. Comprenez que le BTP est le secteur qui fait travailler l’ensemble des couches socio-professionnelles, de la ménagère qui prépare pour les ouvriers à l’assureur des travaux, aux banques, aux transitaires, aux commerçants import-export, aux vendeurs d’agrégats routiers, aux localités traversées par les projets d’infrastructures, à la création d’emploi qui permet de lutter contre la pauvreté et l’insécurité, et aussi à faciliter aux populations rurales l’acheminement des denrées de première nécessité  sur le marché local à moindre coût à travers les projets pour l’amélioration de l’accessibilité rurale.

Le secteur du BTP contribue à la dynamique interne de l’économie nationale par la création de richesse. C’est un maillon essentiel dans le secteur secondaire de l’économie et représente environ à lui seul 5,3% du PIB. Comme vous pouvez le constater, nous avons beaucoup d’atouts. Nous avons aussi des faiblesses notamment : le nombre élevé d’entreprises par rapport aux opportunités de marché ; le manque de critères incitatifs pour favoriser les regroupements d’entreprises ; les difficiles conditions d’accès au crédit ; dans le domaine routier, l’État est le principal pourvoyeur de marché ; dans le domaine des constructions, notamment en ce qui concerne les logements sociaux, l’Etat a délégué cette activité aux promoteurs immobiliers qui, au lieu de faire faire par les autres acteurs, font eux-mêmes, violant ainsi la loi relative aux incompatibilités des rôles et des responsabilités.

La conséquence est que les bâtiments livrés sont de piètre qualité et les bénéficiaires ne peuvent même pas y déménager à la remise des clés, sans y avoir apporté des réparations importantes qui les empêchent même de pouvoir rembourser le prêt. Dans ces conditions de mise en œuvre, le manque à gagner est important pour l’Etat en termes d’impôts et taxes.

Le Wagadu : Que préconisez-vous pour améliorer cette situation ?

Nous travaillons sérieusement. Nos membres sont repartis entre deux groupes essentiels : ceux qui exercent exclusivement dans le domaine du bâtiment et ceux qui exercent dans le domaine routier.

Dans le premier cas, j’ai expliqué ce qu’il faut faire au niveau des promoteurs immobiliers et l’exécution de tout autre bâtiment public ou privé doit se faire conformément à la loi pour éviter tous les effondrements d’immeubles.

Dans le domaine routier, il faut soutenir ces nombreuses entreprises qui ont investi dans ce domaine et revenir à la politique d’avant ces cinq dernières années, qui consistait à avoir un certain équilibre entre les besoins en entretien du réseau de base et les nouvelles constructions de routes et avoir une masse critique d’entreprises pour l’entretien périodique et pour les travaux neufs avec un financement sur le budget national à un moment où les stratégies de financement de l’entretien routier sont juste en train d’être mises en place. L’entretien routier sera désormais semestriel (avant l’hivernage et après l’hivernage).

Aussi, que les critères soient équitables et non sélectifs. Ce point de vue est désormais largement partagé par nos interlocuteurs dans la mesure où, au niveau du département des Infrastructures, nos représentants siègent dans plusieurs organes de décision et d’orientation. Nous sommes un syndicat, nous continuerons toujours à insister sur la bonne gouvernance dans le secteur.

Le Wagadu : Votre organisation fait partie du CNPM qui est aujourd’hui en crise dans un pays lui-même en crise, alors que l’État s’appuie en général sur le secteur privé pour attirer les investisseurs. N’êtes-vous pas en train de faire du tort au pays ?

Puisque vous m’amenez sur ce terrain, alors je vous réponds le plus simplement possible. Si cette situation devait causer un tort à l’État, alors l’État serait le premier à vouloir trouver la solution. Plus, le temps passe, mieux tout le monde comprend les raisons fondées de la crise. Nos adversaires ont posé des actes illégaux contre le CNPM, en comptant sur l’usure et en ignorant la détermination inébranlable de notre équipe.

Pour rappel, l’organisation d’une mauvaise élection au niveau du pays est la source des problèmes que nous vivons aujourd’hui. Pensez-vous que 40 jours après le 18 août, qu’on devrait tolérer une autre élection contestée qui concerne seulement 155 délégués et qui dure depuis septembre-octobre 2020 ?

Le Patronat, c’est la grande faîtière constituée de 39 Groupements professionnels à caractère apolitique et à but non lucratif, mais à l’intérieur de ces groupements, chacun a le droit d’avoir pour lui les ambitions qu’il souhaite, sans pour autant avoir la prétention de politiser nos organisations.

Le patronat légitime que nous sommes, représentant l’écrasante majorité des groupements professionnels et dont le président est Mamadou Sinsy COULIBALY, est un syndicat qui ne pourra pas être la base arrière politique à la solde d’un parti politique et nous resterons des interlocuteurs crédibles au sein du processus électoral de 2022, pour défendre les intérêts du secteur privé. Nous serons équidistants vis-à-vis de tous.

Le Wagadu : Vous avez tenté de rapprocher les positions de l’UNTM et celles du Gouvernement, qu’en est-il ?

B.H.D : Encore une fois, je tiens à vous préciser que ce n’est pas nous, c’est un show-biz d’ailleurs. L’UNTM récrimine d’ailleurs le patronat à travers le point 8.5 de ses revendications concernant la suppression des sociétés de placement, alors comment être médiateur dans ces conditions ?

Moi, franchement, je ne comprends pas quelqu’un qui a sa case qui brûle, qui l’ignore, mais trouve les moyens d’éteindre le feu chez les voisins. Il y a lieu de chercher à comprendre. Notre organisation a 50 ans d’existence, pendant que le patronat n’en a que 40 ans. Je ne souhaite pas répondre encore à une autre question concernant cette crise du patronat du Mali dont les procédures judiciaires sont en cours.

Le Wagadu : Votre organisation tient sa 11ème assemblée générale ordinaire statutaire. Quel appel avez-vous à lancer à vos adhérents ?

B.H.D : Je leur demande de venir nombreux, de ne pas se décourager et que le combat continue. On ne peut pas discuter du problème de quelqu’un qui n’est pas autour la table de négociation. Les partenaires de l’administration seront là et c’est une opportunité à saisir.

Le Wagadu : un mot peut-être pour conclure ?

Je vous remercie pour l’opportunité qui m’a ainsi été donnée. Je souhaite que toutes nos attentes en matière de sécurité et de bonne gouvernance soient comblées pour enfin permettre le développement de notre pays. Notre pays s’endette pour réaliser des infrastructures importantes, mais nos entreprises n’en profitent pas.

Je souhaite que les pouvoirs publics, lors des négociations des financements, fassent en sorte que nos entreprises ne soient pas éliminées par les critères qui, pour nous, sont souvent taillés sur mesure. Je souhaite enfin que les Maliens se retrouvent dans le cadre d’un sursaut national pour amorcer notre développement.

 Entretien réalisé par

Abdrahamane SISSOKO

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