La présence d’autres pathologies augmente le risque de complications chez un patient atteint du nouveau coronavirus. D’où l’importance pour les porteurs du VIH ou les anciens tuberculeux de redoubler de vigilance. Entretien.
Le professeur Jean-Marie Kayembe est chef du service de pneumologie aux cliniques universitaires de Kinshasa. C’est aussi le doyen de la Faculté de médecine de Kinshasa, en République démocratique du Congo (RDC).
Mercredi 22 avril, il était l’invité de l’émission Priorité santé, sur RFI.
RFI : Qu’est-ce que cette pandémie a changé dans votre exercice, pour un spécialiste de la santé des poumons, comme vous ?
Pr Jean-Marie Kayembe : La difficulté respiratoire étant reprise parmi les motifs de consultation de référence, toute personne présentant ces signes, associés à la fièvre, oublie d’emblée la pneumonie bactérienne ou virale… Toute l’attention est focalisée sur ce tueur rapide qu’est le coronavirus. Les affections chroniques sont toujours là, mais l’attention est capitalisée par cette pandémie qui nous apprend à tous l’humilité.
Existe-t-il un risque supplémentaire pour quelqu’un qui a souffert par le passé de tuberculose pulmonaire face au coronavirus ? A-t-on des retours sur cette comorbidité ?
Nous apprenons encore beaucoup de cette affection. Nous n’avons pas connaissance pour le moment, parmi nos malades traités pour tuberculose, de cas ayant contracté le Covid-19. La tuberculose comme affection chronique, on en guérit quand elle est traitée adéquatement. Nos pays et systèmes de santé sont bien organisés autour de cette affection chronique. En revanche, le Covid-19 nous tombe comme une sorte de fatalité, pour laquelle il faut garder la tête froide et l’humilité d’en apprendre tous les jours davantage.
Une série de maladies chroniques constitue un facteur accru de risques. Il en est de même pour les déficiences immunitaires. On pense bien sûr à la situation des personnes porteuses du VIH. Y-a-t-il une sensibilisation ciblée dans les services dédiés au VIH-Sida ?
Effectivement. La plupart des pays d’Afrique subsaharienne ont des programmes nationaux de prise en charge des sujets VIH. La recommandation la plus importante est que les personnes sous traitement ne l’abandonnent pas. Ils doivent être très attentifs aux mesures barrières. En période de confinement, un sujet VIH devrait mieux que quiconque s’adapter à toutes ces mesures barrières, qui ont prouvé leur efficacité dans tous les pays.
En cas de symptômes pulmonaires, est-ce qu’il y a aussi une préconisation d’un dépistage du VIH ou de la tuberculose, à l’occasion d’une consultation Covid-19 ?
Il est important de rappeler que le Covid-19 est bien là, mais que nous avons toujours ce cortège de maladies chroniques dont les symptômes sont connus. Cela ne doit pas détourner obligatoirement l’attention de ces autres maladies. Par exemple, j’ai été contacté par un malade asthmatique. Il prend des corticoïdes inhalés qui le stabilisent. Après avoir appris que les anti-inflammatoires non stéroïdiens étaient proscrits dans le Covid-19, il ne savait plus quoi faire. Il faut continuer les traitements qui stabilisent les patients ! L’asthme est une maladie inflammatoire chronique. La pandémie actuelle ne justifie pas que les patients interrompent leur traitement.
Est-ce que le message de prévention passe bien auprès des populations ?
Je pense que le travail de sensibilisation ne doit en aucune façon s’arrêter. Nous faisons face dans nos pays à un autre ennemi commun : la pauvreté qui appelle à la promiscuité et à la débrouillardise quotidienne pour survivre. En dépit de cela, le port du masque vient d’être déclaré obligatoire dans les lieux publics dans notre pays. Nous l’accueillons comme une mesure barrière supplémentaire qui va protéger les personnes malades de leur environnement, mais aussi celles qui ne le sont pas. Nous avons libéralisé la disponibilité de masques chirurgicaux importés. Ces masques n’étant pas à la portée de toutes les bourses, nous encourageons le port du masque en tissu, fabriqué par nos tailleurs locaux. Ce masque a pour avantage de pouvoir être nettoyé et de servir plus d’une fois. Il ne faut pas que l’on assiste à une montée vertigineuse du prix de ces masques, même fabriqués localement. C’est une histoire de solidarité nationale. Ce n’est surtout pas le moment de chercher un enrichissement illicite qui risque de sortir du bon sens.
Quand on a une maladie chronique, en aucun cas il ne faut prendre de traitement en automédication, sans en avertir son médecin car il peut y avoir des interactions et des contre-indications, n’est-ce pas ?
On voit la place qu’occupent les comorbidités dans le pronostic de l’infection Covid-19, notamment l’hypertension, le diabète, l’obésité, le syndrome d’apnée du sommeil, etc. Il est important de ne pas oublier la carte médicale du patient uniquement parce qu’il est aujourd’hui Covid positif.