La décision a été rendue publique à la fin de la semaine dernière : la Cour pénale internationale a abandonné ses poursuites contre Simone Gbagbo, l’ancienne épouse de Laurent Gbagbo. La levée de cette menace judiciaire peut-elle jouer un rôle dans le parcours politique de l’ex-première dame ? Comment Simone Gbagbo s’est-elle positionnée politiquement depuis le retour de Laurent Gbagbo le 17 juin dernier ? Pour en parler notre invité ce matin est Séverin Kouamé, sociologue, enseignant-chercheur à l’université de Bouaké en Côte d’Ivoire. Il répond aux questions de Laurent Correau.
Quel profit politique Simone Gbagbo peut-elle tirer de la décision de la CPI d’abandonner ses poursuites contre elle ?
Séverin Kouamé : Je crois que le premier profit essentiel pour elle, c’est sa liberté de mouvement. Du fait de son incarcération et de celle de son mari, différents mouvements se sont créés pour marquer leur compassion, leur sympathie à sa personne, mais au-delà pour maintenir la flamme aussi bien en Europe qu’en Côte d’Ivoire, parce qu’il était important que l’image de ces deux personnes ne s’étiole pas dans la conscience collective. Donc, il est important qu’elle puisse retourner vers ces personnes, un peu comme le veut la tradition africaine pour leur dire toute sa gratitude, mais aussi surtout pour travailler à son réseautage parce qu’elle reste quand même et malgré tout une femme politique.
Est-ce que l’annonce de leur divorce par Laurent Gbagbo le 21 juin dernier a fragilisé Simone Gbagbo politiquement ou est-ce que cela l’a renforcée ?
Fragilisée ou renforcée, je ne dirais pas cela. Je pense qu’il y a eu beaucoup d’émotion, parce que c’est quand même un couple qui reste emblématique dans l’espace politique ivoirien. Ils ont un parcours commun et ce parcours commun a renforcé l’idée d’une certaine indissociabilité des deux personnages. Cette annonce lui permet, je pense, de se construire en solo. Il y a une occupation de l’espace médiatique qui se fait de façon graduelle et qui laisse présager qu’elle n’a pas encore dit son dernier mot.
Effectivement, le 6 juillet dernier, Simone Gbagbo a diffusé sur internet une adresse dans laquelle on l’a vue apparaître très apaisante, appelant à la réconciliation, au retour des exilés, à la libération des militants politiques emprisonnés. Que nous dit cette vidéo du positionnement qu’elle souhaite adopter ?
Tous les acteurs politiques ivoiriens sont convaincus d’une chose : les discours guerriers ne portent pas, en tout cas dans le contexte actuel. Elle a une image qui lui est collée à la peau d’être l’un des partisans de la ligne dure du FPI [Front populaire ivoirien]. Jouer la carte de la modération, de la pondération, avec un discours d’apaisement, c’est justement donner des gages au national, et aussi à l’international : dire ‘vous voyez, on m’a collé une certaine image d’Épinal. Je travaille à la déconstruire. Je ne suis pas telle qu’on croit que je suis. Je reste quand même portée par le sens de l’humanité, le sens de la fraternité. Il y a un besoin pour le pays de se réconcilier et de se construire au-delà des divergences, et là-dessus, j’embouche la tempête de la réconciliation’.
Madame Gbagbo construit son propre espace, sa propre trajectoire. C’est là où tout va se jouer : sa capacité à dissocier son image, tout en restant fidèle à l’image de monsieur Gbagbo pour se construire une propre trajectoire. C’est là que les prochaines semaines, les prochains mois seront assez décisifs pour ce qui est de la vie politique au niveau du FPI, mais aussi au niveau de l’échiquier politique national.
Est-ce que cela veut dire que l’un des enjeux à venir, c’est le contrôle des cœurs au sein du parti FPI ?
C’est cela. C’est le gros challenge. Je pense qu’il y a les cœurs à conquérir, il y a les instruments du parti à mobiliser pour soi, parce que, qu’on le veuille ou pas, le FPI reste un parti organisé. Il a son congrès, qui désigne qui va le représenter. Donc le défi c’est qui contrôle certaines fédérations qui votent.
Mais au-delà de cela, il y a un élément qui est crucial en Côte d’Ivoire, c’est la capacité des acteurs à se faire accepter par tout cet électorat non encarté. Et c’est en cela que son élargissement et sa capacité de mouvements restent essentiels pour elle : descendre sur le terrain, parler aux gens, parler aux femmes, parler à tous ceux qui ont une aspiration au renouvellement du personnel politique. Et là-dessus, elle a une carte importante à jouer, la carte de sa féminité, de son offre politique aussi alternative. Donc, tous ces éléments qui présagent de lendemains politiques assez animés, assez enfiévrés parce que, qu’on le veuille ou pas, il y a une transition qui est en train de se mettre en place, en termes d’offres de futurs politiques, de visages.
Est-ce que vous diriez que la bataille pour le contrôle du FPI a déjà commencé ?
C’est une bataille qui a commencé depuis bien longtemps. Je pense même que déjà, depuis la prison, les uns et les autres, Monsieur comme Madame Gbagbo travaillaient à cela. Chacun a ses pions qu’il place. Le premier défi pour madame Simone Gbagbo, c’est justement de construire son réseau en interne à travers justement ces « jeunes loups » -« jeunes » mais ils sont d’un certain âge- qui pendant longtemps ont joué un second rôle, mais qui aujourd’hui, commencent à prendre de l’ascendant. Je pense à des personnes comme Justin Koné Katinan, je pense à l’ex-DG du BNETD (Bureau national d`études techniques et de développement) Ahoua Don Mello, tout un ensemble de personnalités comme ça qu’il faut avoir avec soi. Mais les luttes de contrôle actuellement sont assez farouches. On le voit, certains organes proches de la femme officieuse de monsieur Gbagbo semblent ostraciser d’une certaine façon Simone Gbagbo. Le groupe de presse détenu par madame Nadiany Bamba ne fait pas toujours feu de tout bois lorsqu’il s’agit de faire de la place médiatique à madame Simone Gbagbo. C’est un constat.