Côte d’Ivoire: «Le Président Ouattara a manqué de rigueur dans sa gestion du pouvoir»

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École en crise, justice instrumentalisée, enrichissement illicite de fonctionnaires, corruption et vol sous toutes ses formes… Dominique Adié, ancien conseiller du Président Alassane Ouattara, dresse un bilan au vitriol de l’action du chef de l’État ivoirien. Interrogé par Sputnik, il livre son analyse et ses projets pour la Cote d’Ivoire.

Si Dominique Adié a salué le travail abattu par Alassane Ouattara, arrivé au pouvoir à l’issue de la crise postélectorale de 2010-2011 qui a fait plus de 3.000 morts, il a décrié son manque de rigueur dans la gestion des affaires publiques.

Le député, qui a été pendant plusieurs années le conseiller du Président ivoirien, en veut notamment pour preuve, le «laisser-aller total au niveau de l’équipe qui l’entoure», les ressources pillées, l’enrichissement illicite de fonctionnaires, la crise profonde qui secoue l’école et qui a failli occasionner en 2019 une année blanche.

Ancien cadre du Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI, ex-allié au pouvoir) puis du Rassemblement des Républicains (RDR, le parti présidentiel), Dominique Adié n’est par ailleurs pas favorable à d’éventuelles candidatures à la présidentielle de 2020 d’Alassane Ouattara et de l’ancien Président Henri Konan Bédié (président du PDCI).

Il est d’avis que les tensions actuelles qui résultent du divorce entre Ouattara et Bédié, alliés lors des présidentielles de 2010 et 2015, présagent des «risques sérieux de conflit».

En janvier 2019, le député Dominique Adié a quitté son poste de conseiller spécial et secrétaire général adjoint chargé du monde du sport au sein du RDR, pour créer son mouvement, «Pour la République et la Démocratie» (PRD), un parti qui se veut «centriste» et qui «se présente comme le parti qui veut établir une nouvelle alliance républicaine en Côte d’Ivoire».

Sputnik France: Le 8 juin aura lieu la première rentrée politique du PRD. Que faudra-t-il attendre de cet évènement?

Dominique Adié: «Nous allons présenter le parti, notre ligne sur l’échiquier politique national. Nous sommes un parti centriste qui entend réguler la politique nationale. Comme vous le savez sans doute, tout parti centriste est républicain. Nous avons à cœur de protéger la République. Nous estimons que le Président de la République est le garant des institutions.»

Sputnik France: La scène politique ivoirienne foisonnait déjà de partis, fondamentalement, que compte apporter de nouveau le PRD?

Dominique Adié: «Pensez-vous que la Côte d’Ivoire est entièrement bâtie et que tout baigne? Je dirai non. Plusieurs problématiques n’ont pas encore été prises en compte en Côte d’Ivoire. Le problème de l’école, il est très sérieux. De nombreuses tares minent ce secteur important. Une année blanche a failli être décrétée en 2019. Il faut donc repenser l’école ivoirienne. Tous ces élèves et étudiants qui vont sortir de nos écoles demain ne seront pas bien formés et éduqués. Plusieurs d’entre eux sont actuellement habités par l’esprit de tricherie: quels hommes seront-ils demain, alors qu’il faut à la société ivoirienne lutter contre la corruption et le vol sous toutes ses formes?

Aujourd’hui, la plupart des fonctionnaires qui ont des postes à responsabilité passent leur temps à piller les ressources mises à leur disposition pour l’intérêt général. Il faut un système de contrôle efficient et efficace, de sorte que les ressources soient utilisées à bon escient. Et il ne s’agit pas de mettre une Autorité pour la bonne gouvernance en place, comme c’est le cas, mais il faut aller plus loin. Il nous faut revenir à un État de droit. Il faut réformer la justice ivoirienne pour créer plus de confiance. Il faut aussi améliorer le quotidien des Ivoiriens, renforcer le panier de la ménagère. Le chantier en Côte d’Ivoire est énorme, comme vous pouvez le voir.»

Sputnik France: à propos de justice, début 2019, votre collègue député Alain Lobognon, qui est un proche de l’ancien président de l’Assemblée nationale Guillaume Soro, a été interpellé puis condamné pour divulgation de fausses nouvelles et incitation à la haine. Avant d’être libéré après près d’un mois passé à la Maison d’Arrêt et de Correction d’Abidjan (MACA). Quel regard portez-vous sur cette affaire?Dominique Adié: «Ce n’était pas normal, il y a eu de l’abus. Disons que le pouvoir est allé au-delà de ses prérogatives. C’était politique. La justice a été manipulée pour régler un problème politique.»

Sputnik France: Vous évoquiez tantôt la question de la bonne gouvernance, comment jugez-vous les deux mandats du Président Alassane Ouattara?

Dominique Adié: «J’attendais beaucoup du Président Ouattara. J’ai surtout adhéré à sa vision parce qu’il nous a démontré, en venant de la Banque mondiale, qu’il avait un esprit de travailleur et de rigueur. Au pouvoir, l’esprit de travailleur, je l’ai vu. Mais la rigueur dans la gestion des affaires publiques, non. Le Président Ouattara a vraiment manqué de rigueur parce qu’il a laissé faire les choses. Il y a eu un laisser-aller total au niveau de l’équipe qui l’entoure. Un exemple, le Programme Présidentiel d’Urgence mis en place au lendemain de la crise postélectorale, allez-y voir combien de fois il a été bâclé.»

Sputnik France: Au sortir de la crise postélectorale de 2010-2011 qui a fait plus de 3.000 morts, il était beaucoup question de réconciliation nationale. Qu’en est-il aujourd’hui?Dominique Adié: «Est-ce que les Ivoiriens se sont réconciliés? La réconciliation est un long processus. Non, la réconciliation n’est pas encore effective. Aujourd’hui, la rupture est un peu plus profonde, vu que les Présidents Ouattara et Bédié, qui étaient alliés, sont divisés. Voilà qui crée des tensions supplémentaires pour 2020. La réconciliation ne sera effective que lorsque tous les protagonistes, y compris l’ancien Président Laurent Gbagbo, pourront s’asseoir et tenir un langage commun qui sera transmis aux Ivoiriens, de sorte qu’on réapprenne à vivre ensemble et à s’aimer.»

Sputnik France: Avant de créer le PRD, vous étiez au RDR. Pourquoi avoir quitté le parti présidentiel?

Dominique Adié: «20 ans dans un parti, c’est toute une vie. Tout jeune est appelé après vingt ans à s’installer, à avoir un chez-soi, à être autonome, à fonder une famille. Je ne voulais plus être l’assisté d’un parti politique. C’est pour cela que j’ai créé avec des amis le PRD.»

Sputnik France: Votre départ n’est donc pas intervenu en raison de mésententes ou désaccords internes?

Dominique Adié: «Non. Il n’y avait pas de mésentente ni de désaccord entre moi et qui que ce soit. J’ai été de tous les combats du RDR dont j’ai connu tous les compartiments, je crois avoir été suffisamment formé pour voir et faire les choses autrement. Toute la vie au RDR a été une vie de combat, de recherche et d’acquisition du pouvoir. Aujourd’hui, le pouvoir, je sais ce que c’est. Ma vision personnelle ne concordait pas avec ce que je voyais du pouvoir actuel, j’ai donc préféré rendre le tablier.

Vous savez, quand on parle du vivre-ensemble, avec le RDR, ce n’était pas le cas. À un moment donné, j’ai compris que c’était une histoire de “ôte-toi que je m’asseye”. Le pouvoir est axé sur les gens du nord. On voyait les gens du nord chercher à posséder le pouvoir. Je ne me retrouvais plus dans cet environnement où je me sentais bien au départ, avec le Président Ouattara. J’estime que le vivre-ensemble, c’est de prendre tous les compartiments de ce pays et d’en faire une force globale pour la nation ivoirienne. Le mieux était donc de partir. Et partir pour un politicien, ce n’est pas aller s’asseoir, c’est aller fonder un nouveau parti avec un nouvel état d’esprit.»

Sputnik France: Depuis la formation du PRD, vous avez multiplié les rencontres. Vous avez notamment rencontré des personnalités comme l’ancien Président Henri Konan Bédié ou encore Pascal Affi N’Guessan, le président statutaire du Front Populaire Ivoirien (FPI, parti de Laurent Gbagbo). Pourquoi?

Dominique Adié: «Quand vous arrivez sur l’échiquier politique national, il faut rencontrer les leaders en place. Surtout ceux qui ont eu beaucoup plus d’expérience dans la gestion des affaires de ce pays. Nous sommes un parti jeune, nous avons besoin de leurs conseils pour évoluer dans cet environnement. Et il était aussi question de voir un tant soit peu dans quelle mesure nous pourrions être utiles les uns aux autres.»

Sputnik France: Il y a quelques jours, Sputnik s’est entretenu avec Mamadou Koulibaly, ex-n° 2 de l’État ivoirien sous Laurent Gbagbo et candidat du parti d’opposition LIDER. Interrogé, le professeur Koulibaly a notamment soutenu que si la Commission électorale Indépendante n’était pas réformée, que le Code électoral n’était pas revu et la liste électorale mise à jour, des risques de conflit comme en 2010-2011seraient à craindre lors de la présidentielle de 2020. Partagez-vous son point de vue?Dominique Adié: «Les risques de conflits sont multiples. Outre les points évoqués par Mamadou Koulibaly, il y en a un que l’on oublie parfois et qui est fondamental: la Constitution. La Constitution ivoirienne a été modifiée en 2016, à l’initiative du Président Ouattara. S’il s’engage de nouveau à être candidat en 2020, cela constituera un risque de conflit. Il serait à la fois joueur et arbitre, et cela signifierait qu’il aurait taillé la Constitution à son image. Qu’il aurait modifié l’ancienne qui définissait la limite de son mandat pour une nouvelle qui lui permet d’être encore candidat.»

Sputnik France: Vous pensez que le Président Alassane Ouattara a l’intention de se représenter?

Dominique Adié: «Je ne dis pas qu’il en a l’intention. Personnellement, il m’a dit qu’il ne sera pas candidat. Mais s’il s’engage à l’être, cela occasionnerait un risque de conflit qui serait dramatique pour le pays. Il y a aussi un autre point à prendre en compte, le Président Bédié (85 ans) a excédé l’âge qu’il faut pour être candidat. L’ancienne Constitution faisait de lui un candidat forclos, la nouvelle, non. Voici deux risques qu’on a parfois tendance à occulter, mais qui sont des risques sérieux que j’ajouterai à ceux évoqués par Mamadou Coulibaly.»

Sputnik France: Qu’en est-il de vous? Serez-vous candidat en 2020?

Dominique Adié: «Pour l’heure, je n’ai rien à dire sur une éventuelle candidature. Je suis en train de mettre en place mon parti, j’estime que seul le congrès sera apte à désigner une candidature éventuelle pour 2020 si elle le juge bon. Une chose est certaine, tout parti est mis en place pour acquérir le pouvoir d’État. Nous avons donc cette ambition.»

Sputnik France: Récemment, le PDCI a dépêché à Bruxelles une délégation conduite par son secrétaire exécutif auprès de Laurent Gbagbo, actuellement en liberté provisoire, et que la CPI a acquitté le 15 janvier 2019 de toutes les charges de crimes contre l’humanité retenues contre lui après les violences postélectorales de 2010-2011.Dominique Adié: «Nous sommes actuellement dans le jeu des alliances pour l’acquisition du pouvoir. Mais est-ce que ces alliances sont des alliances bien ficelées? Qui sera candidat et qui ne le sera pas? C’est tout ce qu’il faudra observer. Pour l’heure, nous regardons tout cela avec beaucoup de plaisir. Le PRD a également été sollicité pour adhérer à des alliances. Nous ne sommes pas contre le principe, mais pour le moment, cela n’est pas notre priorité. Actuellement, nous sommes occupés à mettre en place et consolider nos bases.»

Sputnik France: à propos de coalition, une alliance Dominique Adié-Guillaume Soro, deux anciens de la mouvance présidentielle, est-elle envisageable?

Dominique Adié: «Guillaume Soro est un citoyen de ce pays. Il a été Premier ministre, président de l’Assemblée nationale. Il a été tout ce que vous savez. Nous avons d’excellents rapports. Je suis député, lui aussi. Nous nous voyons, nous échangeons. Je n’exclus pas une éventuelle alliance avec lui. Au PRD, nous serons toujours ouverts pour une alliance, mais une alliance positive.»

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