Avec environ 55 % du territoire du pays dépouillés de végétation, les ressources forestières au Mali n’ont jamais autant été menacées comme ces deux décennies. En marge de l’édition 2020 de la quinzaine de l’environnement, le chef de la cellule du Système d’information forestier (Sifor), Cheick Oumar Karamoko Traoré est revenu sur la question. L’ingénieur forestier fait le bilan de la décennie d’existence de sa structure.
Mali Tribune : Qu’est-ce que le Sifor ?
Cheick Oumar Karamoko Traoré : Le Système d’information forestier est une structure mise en place en juillet 2008 à la suite des inventaires forestiers au niveau du nord du pays auprès de la Direction nationale des eaux et Forêts par le ministère de l’Environnement et de l’Assainissement avec l’appui financier et technique de l’Union européenne.
Le Sifor est une base de données couplée à un système d’information géographique qui renseigne l’évolution des ressources forestières et fauniques sur différentes parties du pays sur les terres forestières, les terres agricoles, les pâturages et terrains de parcours, les zones humides, les espaces battis.
Nos missions c’est de capitaliser les données et informations pour les besoins de planification, suivi et gestion des ressources naturelles, pour l’ensemble des acteurs du développement durable.
Mali Tribune : Comment se portent les ressources forestières et fauniques au Mali ?
C O. K. T.: Aujourd’hui, il y a une pression énorme sur les ressources forestières. Les raisons sont liées à notre système de production agricole, animale et à notre système de satisfaction de nos besoins énergétiques. Ces trois besoins pèsent énormément sur l’avenir et sur le développement des ressources forestières.
En 1990, les formations forestières comportant des champs étaient à 23 % au niveau national. Le taux est passé à 63 % en 2014. On a pratiquement triplé nos surfaces agricoles en 20 ans parce que la population a augmenté.
L’enjeu c’est de les nourrir. Et pour manger, il faut encore couper du bois. Ces besoins dépassent les 10 millions de tonnes par an.
Le bois de chauffe et le charbon de bois représentent 75 % du bilan énergétique au Mali plus les hydrocarbures (17 %), l’électricité (6 %), le gaz butane (1 %) et les résidus agricoles et énergie renouvelables le reste.
Ces derniers reçoivent des subventions, mais la source qui est surexploitée, qu’est le bois n’en reçoit pas du budget national pour financer son aménagement et sa gestion durable. Malheureusement, le produit est en train d’être dégradé et remet même notre système culturel, socio-économique en cause.
Mali Tribune : Quel est de taux de consommation moyenne de bois énergie par an ?
C O. K. T.: Aujourd’hui, le taux de consommation moyenne de bois énergie est à 0,9 tonnes par habitant et par an. Or, dans notre production, pour avoir une tonne de charbon, il faut brûler sept tonnes de bois tandis que le taux de renouvellement moyen du stock de bois des formations forestières est de 0,3 tonnes par an et par habitant. Ça veut dire que nous prélevons trois fois plus que ce que les forêts autorisent. Vous voyez l’ampleur de la pression.
Mali Tribune : A combien peut-on estimer la contribution actuelle des ressources forestières dans le PIB au pays ?
C O. K. T.: On va dire que c’est entre 4 à 6 %. Ce n’est pas vrai, le tout n’est pas comptabilisé.
Contrairement aux secteurs de l’agriculture, l’élevage et l’énergie, la contribution des ressources forestières dans le produit intérieur brut de la richesse nationale du pays, est sous-estimée. De telle sorte qu’on pense en y investissant, que c’est une perte d’argent. Or le développement, pour qu’il soit durable c’est un développement qui n’attend pas le capital mais c’est celui qui fait en sorte que les générations futures puissent toujours trouver les ressources forestières en place.
A la lumière des études que nous avons faites de 2010 à maintenant sur la filière bois et charbon, par exemple, au niveau des centres de consommation urbaines du Mali et à Bamako. La facture que les ménages, les boulangeries et dibiteries, les usines déboursent pour faire face aux besoins énergétiques dépasse les 150 milliards de F CFA par an.
On est dans une dynamique aujourd’hui de faire une réévaluation de la contribution spécifique des ressources forestières dans le PIB. Quand on dit ressources forestières, c’est la forêt et tout ce qu’elle englobe notamment les racines, les fruits, l’écorce, le bois, les charbons, les bois de service…
Mali Tribune : Informer et sensibiliser c’est une chose, mais comment prévenir tout ça ?
C O. K. T.: L’enjeu primaire c’était de compiler. L’autre enjeu c’est la diffusion et la transmission des données. La diffusion et la transmission présentement c’est pour des besoins de formulation, d’élaboration des politiques et projets, leur mise en œuvre et leur évaluation. Mais, d’une manière générale, les utilisateurs du charbon et du bois ne savent pas quel est le lien entre le bois qu’il utilise pour satisfaire leurs besoins énergétiques et l’impact que cela produit sur les choses qui sont communes pour nous tous, les ressources forestières. Pourtant c’est fondamental.
Donc en donnant l’information aux ménages, aux gargotes, aux boulangers, on contribue à un éveil de conscience et à faire en sorte que la question de préservation et de gestion de ressources forestières ne soit pas seulement l’affaire du ministère de l’Environnement et du Développement durable, mais de tout le monde. C’est ça à l’enjeu.
Mali Tribune : Avec environ 55 % du territoire du pays dépouillés de végétation à ce jour, est-ce que Sifor est vraiment arrivé à changer quelque chose en douze ans ?
C O. K. T.: L’objectif du Sifor était de faire en sorte que la gestion et la diffusion de l’information forestière au service du développement durable puisse être une réalité. Parce que c’était difficile d’avoir des données sur des expériences de gestion des ressources forestières acquises au cours de l’exécution des différents projets et programmes dans le domaine de la Gestion des ressources forestières au niveau des eaux et forêts.
Sa mise en place a permis à la direction nationale des eaux et forêts de compiler les informations sur les ressources forestières et fauniques dans une base de données, de le renseigner et le mettre à jour dans un système d’information géographique.
L’outil permet aux autorités d’abord du ministère de l’Environnement et de l’Assainissement et ensuite aux autres départements de voir l’évaluation des différentes politiques sectorielles et surtout leurs impacts sur les ressources forestières.
Actuellement nous sommes capables de renseigner et de donner des informations sur les feux de brousse. Hier ce n’était pas le cas. On peut dire à l’instant T la superficie brûlée dans une Commune, un cercle et une région au Mali sur une année donnée. On est à même aussi de faire un point sur les flux forestiers, son évolution de 1990 à 2000 jusqu’en 2020 et c’est accessible aux acteurs pour les besoins de développement et de plaidoyer en faveur de l’environnement.
Le Sifor est arrivé à faire sortir au-delà de l’état des catégories de terres qui subissent les différentes pressions sur notre système de consommation. Il a mis en place un système de collecte de données sur les flux de bois depuis la forêt où il est coupé jusqu’au centre de consommation urbain. Avec la direction des eaux et forêt on a mis aussi en place un système pour alerter encore les autorités par rapport à cette situation.
L’autre effort se situe dans le cadre de la reconstitution du couvert végétal à travers le reboisement. Nous avons mis une base de données pour comptabiliser tous les efforts du gouvernement par rapport à la reconstitution des forêts.
Concernant les feux de brousse, il y a un problème d’information et de conscience, mais Sifor est arrivé à mettre en place une base de données. Dans deux mois, nous mettront ces informations en ligne. Tout le monde peut le consulter en ligne. Le but c’est d’arriver à gérer la question des feux de brousse.
On veut mettre un système de prévention en place avec les prévisions de zones à risque comme le fait la météo. Ces éléments permettront aux gestionnaires au niveau des collectivités de prendre des mesures.
Propos recueillis par
Kadiatou Mouyi Doumbia