Cheick Mohamed Chérif Koné à propos du décret accordant des avantages aux membres de la Cour suprême : «Nous avons tous les arguments pour empêcher ce décret, en l’état, de produire le moindre effet»

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Cheick Mohamed Chérif KONE (m) , président Syndicat Autonome de la Magistrature (photo archives)

Un décret du 22 juin accordant des avantages aux membres de la Cour suprême alimente de vives contestations. Le président de l’Association des procureurs, Cheick Mohamed Chérif Koné, non moins président du SAM, est sur le point d’engager la responsabilité internationale de l’Etat du Mali. Pour lui, ce décret n’aurait pas dû, en l’état, être soumis à la signature du président de la République. Il se prête à nos questions.

La Cour suprême semble mal accueillir un décret qui accorde des avantages à ses membres. N’y a-t-il pas là un paradoxe ?

Nous savons ce que nous voulons. Je ne sais pas l’intérêt que notre pays tire en se singularisant par des pratiques aussi négatives que frustrantes. Si ce décret tant attendu est aujourd’hui mal accueilli, c’est parce qu’il viole tous les principes de l’organisation judiciaire en République du Mali d’une part, et d’autre part, parce qu’il est contraire aux pratiques en cours dans tout l’espace francophone. Aucune raison ne saurait justifier des traitements discriminatoires délibérés entre magistrats de même niveau et à responsabilités équivalentes, au seul motif de leur appartenance au siège ou au parquet. Le parquet a ses réalités et spécificités propres, il ne saurait être dilué dans les sous-sections du siège. À l’analyse, tout se passe comme si le Mali s’était retiré de l’Organisation Internationale de la Francophonie, de par sa façon de traiter le Parquet général établi près la Cour suprême. Le décret, censé apporter des correctifs, a encore aggravé le déséquilibre.        À ce rythme il ne serait pas surprenant de voir le parquet disparaître à la Cour suprême, faute d’avoir des magistrats pour l’animer et le faire vivre.  Entre les deux entités, c’est le respect du parallélisme qui demeure la règle. Le parquet, bien que placé sous l’autorité du Ministre de la Justice, est une structure autonome et non pas un appendice du siège. Être près la juridiction ne signifie nullement que le parquet est sans intérêt, ou importance dans le fonctionnement de la justice. Dans le système judiciaire, qui est le nôtre, il n’est pas possible de rendre un arrêt à la Section judiciaire ou à la Section des comptes, sans avis, conclusions ou réquisitions du parquet. Aucune audience ne peut être tenue sans un représentant du Ministère public. Au-delà du mécontentement général des membres de la Cour suprême, je dirai que l’on a réussi à tromper la bonne foi du président de la République en lui faisant signer un décret fourre-tout qui réduit le Parquet général établi près ladite cour à une sous-structure, au mépris du parallélisme qui doit prévaloir entre Siège et Parquet. Pour l’instant, je suppose que le président de la République a cru devoir bien faire pour la justice de son pays. Je ne saurais douter de sa bonne foi pour avoir pu échanger avec lui autour de la nécessité d’améliorer les conditions de vie et de travail des magistrats de la Cour suprême. Malgré ses directives, ceux-ci restent toujours sans passeport diplomatique à l’instar de leurs homologues de la sous-région où ce bénéfice est même étendu aux membres de leurs familles

Quels sont les griefs de l’Association des Procureurs contre le décret qui serait salué par d’autres membres de la Cour ?

Le décret fait plus de mécontents que de satisfaits. Lorsque l’injustice prend le dessus, les efforts perdent tout leur sens. S’agissant de ce décret qui fait aujourd’hui l’objet de vives contestations, le scandale, que l’Association des Procureurs craignait, aurait pu être évité, si nous avions été associés aux travaux. À noter qu’un premier projet plus frustrant avait été vivement rejeté par les magistrats de la Cour suprême. Il est vrai que depuis longtemps, nous œuvrons pour l’amélioration des conditions de vie et de travail des magistrats de la Cour suprême du Mali, la plus haute juridiction du pays, qui paradoxalement était dévisagée comme une sous-direction, avec un Parquet général considéré comme une queue du Siège, sans budget propre et sans la moindre  autonomie financière. Le décret du 22 juin accordant des avantages aux membres de la Cour suprême était censé apporter des soulagements. Mais, contre toute attente, il a plutôt créé une frustration générale en cautionnant sans cause, ni intérêt, des injustices et inégalités encore plus graves. Tantôt il fait des magistrats du parquet des subalternes de leurs homologues du siège ; tantôt ce sont les conseillers et avocats généraux, membres  titulaires de la cour qui sont placés dans une position d’infériorité par rapport au Secrétaire général qui est non magistrat et non membre de la cour. À l’Assemblée nationale ou à la Cour constitutionnelle, qui sont censées être des institutions de même niveau,  le Secrétaire général ne vient pas devant les députés ou devant les membres de la Cour constitutionnelle du point de vue des avantages.

Pour quelle raison voudrait-on instituer la démarche contraire à la Cour suprême qui, de surcroît, est juridiction avant d’être une institution ?

La Cour suprême est une juridiction à part entière et non un Ministère. Tenter de calquer son organisation et son fonctionnement sur ceux d’un Ministère serait faire fausse route, les deux ossatures étant complètement différentes l’une de l’autre. Un Secrétaire général non magistrat et non désigné parmi les membres de la cour ne peut être assimilé du point de vue des avantages qu’à un conseiller référendaire ou à un avocat général référendaire de la Cour suprême. L’on n’est pas dans un cabinet ministériel où il viendrait devant les Conseillers Techniques qui travaillent sous sa supervision. L’on n’est pas, non plus, au niveau du Secrétariat général de la Présidence de la République ou du Gouvernement, où le Secrétaire général a rang de Ministre. Nous ne sommes pas à notre première expérience d’avoir un Secrétaire général non magistrat ou choisi en dehors des conseillers de la Cour suprême. L’actuel président lui-même a été Secrétaire général de la Cour suprême, il n’avait pas plus d’avantage que les conseillers ou avocats généraux, mais bien le contraire. Le décret est incontestablement en  contradiction avec les principes de l’organisation judiciaire du Mali, fondée sur l’égalité de traitement et le respect de l’équilibre entre le siège et le parquet. Si nous aspirons à de meilleures conditions, nous nous opposons à des traitements discriminatoires entre les magistrats, privilégiant ceux du siège sur ceux du parquet. Le mécontentement est général ; il est à tous les niveaux, qu’il s’agisse du siège ou du parquet. Le président est le chef de la juridiction et il vient en préséance devant le Procureur général  qui est lui aussi le chef du Parquet. Dans le milieu judiciaire, la préséance donnée au premier ne signifie nullement sa supériorité ou sa suprématie sur le Procureur général. Entre président et le procureur général, c’est le principe de l’égalité statutaire, sans que l’un ne soit le chef de l’autre.

Est-ce que la Cour suprême du Mali est la seule à se retrouver dans une telle situation ?

Le Mali n’est pas le seul pays de la sous-région à avoir une Cour suprême. Sa situation, qui ne se fonde sur aucun critère, reste tout de même singulière. Au Bénin, en Côte d’Ivoire, en Guinée, au Sénégal et dans tant d’autres où elle existe, la Cour suprême fonctionne sur le principe du parallélisme entre les deux entités. Il n’y a aucune différence dans le traitement entre Président et Procureur Général. S’agissant des Cours de Cassation, l’on ne verra pas d’ans l’espace francophone des inégalités aussi outrageantes entre magistrats du siège et ceux du parquet. L’exemple est donné par la Cour de Cassation française, elle-même, où le Procureur général a exactement les mêmes avantages que le Président. Le répondant du Procureur général n’est autre à la Cour suprême  ou à la Cour de Cassation, que le Président de la Cour, non pas le vice-président (poste taillé sur mesure au Mali), encore moins un Secrétaire général non magistrat et non membre de la Cour. Si l’on crée un poste de Premier Avocat Général, le répondant naturel de celui-ci ne peut être que le vice- président, mais pas au-dessous. L’Avocat Général, le plus ancien qui est encore visé par la nouvelle loi organique, devrait avoir pour répondant un Président de Section ; et un Avocat Général, un Président de Chambre. Pour rappel, le Substitut général, qui n’existe plus à la Cour suprême, était aligné sur le Conseiller. Par ailleurs, nous restons le seul pays à contenir les chambres dans la section contrairement aux autres où les sections sont plutôt comprises dans les chambres.

Et de l’intention de l’Association des Procureurs à engager la Responsabilité Internationale du Mali ?

Si ce décret devait en l’état produire des effets, notre association trouvera les moyens et arguments juridiques nécessaires pour engager la responsabilité internationale du Mali, dans le cadre de la francophonie où le parallélisme demeure le principe intangible entre le siège et le parquet. Le Mali est tenu de se conformer aux principes de l’organisation dont elle est membre mais aussi de respecter la loi d’organisation judiciaire qu’il s’est lui-même donnée. Le décret en question qui était pourtant très attendu est frustrant pour l’Association des Procureurs, en ce sens qu’il va manifestement à l’encontre des grands principes de l’organisation judiciaire en République du Mali, et ceux en cours dans tout l’espace francophone. Le Parquet général est déjà sans budget autonome avec un Procureur général  confiné au rang d’un chef de sous-section, abandonné au bon vouloir et aux caprices d’une DAF qui n’a pour lui que très peu de considération. Le domaine de Justice reste un domaine extrêmement sensible. L’on ne règle pas les problèmes par des arrangements qui créent des situations plus compliquées, voire conflictuelles. Suite à des concertations, l’Association des Procureurs, qui compte aussi des magistrats du Siège, a décidé d’agir pour le respect des principes, alors qu’il est encore temps. Aussitôt, une correspondance a été adressée au président de la République pour attitrer son attention sur les conséquences que le décret pourrait avoir sur le fonctionnement de la Cour suprême, voire sur tout le système judiciaire. Nous avons tous les arguments qu’il faut pour empêcher ce décret en l’état de produire le moindre effet. L’Association ne ménagera aucun effort pour réussir au niveau national, en faisant impliquer toutes les institutions qui ont le devoir de veiller au respect des principes qui régissent l’organisation et le fonctionnement de la Justice. Au besoin, je solliciterai l’arbitrage de l’Organisation Internationale de la Francophonie par le canal de l’Association Internationale des Procureurs et Poursuivants Francophones au sein de laquelle l’AMPP bénéficie du Statut de membre organisationnel.

Envisagez-vous d’attaquer ce décret en justice en cas de non retrait par le président de la République ?

Nous nous donnons une obligation de résultat. Je pense que les correctifs nécessaires pourraient être apportés sans qu’on n’ait besoin de l’intervention du Juge. Avec toutes ces irrégularités, ce texte doit être retiré de l’ordonnancement juridique sans grande difficulté si l’on veut bien faire pour la Justice. Attaquer ce décret en annulation pour violation des principes de l’organisation judiciaire, serait nous faire enfermer dans un imbroglio judicaire. D’abord, nous avons une Section administrative très frileuse quand il s’agit de se prononcer sur un recours porté contre un décret du président de la République. Ensuite, les collègues de cette Section étant aussi au premier rang des mécontents du décret pourraient être traités de juges et de parties. Pour preuve, les recours de l’association et d’autres syndicats contre le décret fixant la composition du CESC restent toujours en souffrance, malgré le fait que nous nous soyons acquittés de toutes nos obligations : payement de la consignation, dépôt de mémoires. Les diligences de notre conseil n’ont pu faire bouger les choses depuis plus de deux ans. Certainement que nous serons amenés à passer par l’EID qui reste une tribune ouverte à tous, en interpellation du Gouvernement sur son refus d’exécuter une décision de justice définitive et exécutoire depuis 2002.

Propos recueillis par Sinaly KEITA

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