Harouna Barry, homme politique et ancien compagnon de feu Cabral, se refuse à réduire à néant les efforts de construction et de développement réalisés au bénéfice du peuple par ceux qui ont marqué l’histoire du Mali. Fussent-ils des adversaires politiques. Il vient de publier un ouvrage « les Charmes Discrets de Bamako » à travers lequel, humblement mais honnêtement, il reconnaît les efforts fournis par l’ancien Président Alpha Oumar Konaré pour donner au Mali, Bamako en l’occurrence, une image méritée : celle d’un pays qui a connu un grand essor au cours des deux mandats du Président Konaré. 26 Mars s’est entretenu avec l’auteur de l’ouvrage.
26 MARS : Qu’est-ce qui vous a motivé par écrire les Charmes Discrets de Bamako ?
Harouna Barry : Trois motifs principaux sont à la base de la rédaction de cet ouvrage. Il y a tout d’abord, le constat indéniable des changements apportés par la révolution du 26 MARS dans tous les aspects de la vie des Maliens. Il y a ensuite la volonté de l’homme de culture de rendre visibles et lisibles les changements dans le domaine de la sauvegarde, de la restauration et de la promotion du patrimoine culturel national, notamment physique. On peut se demander pourquoi seulement Bamako ? J’ai fait avec les moyens du bord et il fallait commencer quelque part. Le 3è motif réside dans des préoccupations heuristiques. En effet, j’ai voulu comprendre et faire comprendre ; j’ai voulu m’expliquer et expliquer les discussions, les controverses et les polémiques suscitées par la construction des équipements culturels en général et l’érection des mouvements en particulier sous précisément les deux mandats du président Alpha Oumar Konaré.
Toutefois, le livre traite d’autres équipements culturels et monuments réalisés bien avant le Président Konaré. On peut citer entre autres : les salles de cinéma, l’Institut National des Arts, le Musée national qu’il a rénové et agrandi, des équipements culturels polyvalents comme : le Carrefour des Jeunes, la Maison des Artisans, la Maison des Jeunes, les centres culturels (Djoliba, Français, Islamique d’Hamdallaye) le Palais de la Culture et des monuments comme la place de la liberté, le monument de la survie de l’Enfant, le square Lubumba. Il y a également les sites et monuments anciens et des équipements culturels réalisés par des promoteurs non étatiques (le musée Muso Kunda, le musée du District, le San-Toro et le centre Amadou Hampaté Bah, Lunna parc, le parc de loisirs pour enfant).
Il faut noter enfin que la saga des monuments avait commencé déjà sous la Transition à Bamako par le canal du gouvernorat du district (la première mouture de la statue de Patrick Lubumba, et les 3 statues de la route de Koulikoro).
Elle s’est étendue autour et dans l’Assemblée Nationale sous la présidence du professeur Ali Nouhoum Diallo (les fresques, le Mali traditionnel et le Mali futur, la statue le grand Mali, les 15 statues du succès du développement économique et social du Mali et les masques du rail da).
26 MARS : Que représentent les équipements culturels en général, les monuments en particulier, dans la vie d’un peuple d’une Nation ?
Harouna Barry : En 1956 lors du premier congrès des écrivains et artistes du monde noir tenu à Paris à la Sorbone, on pouvait déjà lire le slogan suivant. « Il n’y a pas de peuple sans histoire ; il n’y a pas d’histoire sans civilisation et il n’y a pas de civilisation sans culture ». Les équipements culturels sont les lieux et les expressions de l’histoire de la civilisation, de la culture d’un peuple, d’une Nation. Ils conservent, forment et assurent la promotion du patrimoine culturel. Ils ont, en outre, un rôle de démonstration et de création. Ils sont aussi des carrefours, des réceptacles et des interfaces de communications inter culturelles.
Les équipements culturels offrent à un peuple des lieux appropriés, des moyens adéquats, des occasions idoines et des motifs exaltants d’épanouissement culturel et intellectuel. Enfin, (la liste n’est pas exhaustive) ils assainissent, embellissent, offrent des repères et améliorent le cadre de vie.
26 MARS : Les monuments s’adaptent-ils à notre culture et à notre histoire ?
Harouna Barry : Cette question est complexe. Pour certains, les monuments sont une nouvelle forme d’expression culturelle, d’exercice du devoir de mémoire et de réhabilitation et de repérage culturel pour notre civilisation. Pour d’autres, comme Karamoko Mahamoud Bamba, (NDRL : pionnier et animateur incontesté dans la promotion du « n’ko »), les monuments ne sont pas inconnus de notre histoire. Maître Bamba identifie à cet effet trois choses qui rappellent étrangement les monuments actuels : les Furutuw, les Jaadow et les Baliw. Les Furutuw étaient des sortes de chambres sans porte et sans fenêtre, surmontées d’une sorte de minaret (Sorodo). Construite à l’entrée ou à la sortie des grandes agglomérations, les Furutuw ne révetaient jamais une forme humaine ou animale, leur fonction principale était d’exprimer la puissance du prince du jour (Fama Ka fanga). Les Jaadaw revêtaient deux principales formes (humaine et animale) sur la base de l’ubiquité (Yélen), les Jaadaw étaient construits sur les places publiques ou à l’entrée et à la sortie des agglomérations. Généralement c’était les grands animaux le lion, l’éléphant, l’hippopotame, le buffle, etc. Ils recevaient des noms qui sont devenus aujourd’hui des patronymes : Touré en Soninké, éléphant, Sama-ké (l’homme éléphant) en Bamanan ; Sogo-ba (le gros gibier). Ils symbolisaient le degré de la puissance de l’armée (Fangahaké).
Cependant, les Furutuw et les Jaadaw n’étaient pas à adorer contrairement au boliw (idoles). Par ailleurs, les furutuw et les Jaadaw exprimaient les valeurs culturelles (Mogo Dambé), les souvenirs (Sinkomine ou Sinkoyira), l’embellissement (Masiriw).
En même temps, ils servaient à apeurer l’adversaire (jugu) et l’espion. C’étaient donc des mogolasiranlaw.
Toute fois, l’islam Sunite condamne la représentation humaine et animale à la différence de l’islam chiite. Quant au christianisme, il ne condamne pas les monuments, mais s’oppose à l’idéocratie comme l’islam.
26 MARS : Au regard des priorités de développement, les équipements culturels ne sont-ils pas « des diversions trop chers payées » pour un pays pauvre comme le Mali ?
Harouna Barry : J’ai cité la page 79 du livre le professeur Pascal Baba Coulibaly (à l’époque chef de cabinet du Président Konaré) qui avait identifié un courant opposé à la construction des équipements culturels et à l’érection des monuments, au profit de « l’entretien des gosiers ».
En dehors de toute approche polémique, il faut prendre ici très au sérieux les cinq vérités suivantes. Premièrement investir pour la culture, c’est agir en faveur de la vie économique. Car la dépense culturelle a un effet multiplicateur pour l’économie. Cet effet multiplicateur se lit en trois flux : directs (dépenses locales, salaires et autres achats) ; indirects (dépenses effectuées par les bénéficiaires et les clients de l’équipement culturel), induits, enfin, (recours positif à ces dépenses dans le long terme).
Deuxièmement la dépense culturelle est créatrice d’emplois et de valeur ajoutée. Au titre des emplois, on peut citer les emplois de conceptions, les emplois scientifiques et techniques, les emplois commerciaux, d’assistance d’accueil, de communication et de production. Là, la limite n’est rien d’autre que celle de notre capacité d’innovation scientifique, technique et technologique. Car la muséographie et la scénographie offrent de grandes opportunités.
Troisièmement, la dépense culturelle paraît donc constituer un facteur d’attraction pour l’implantation d’entreprises de toutes sortes, de renforcement des capacités pour l’épanouissement intellectuel et culturel. La dépense culturelle est donc structurante.
Quatrièmement, il n’y a pas d’avenir sans mémoire. Cette vérité est assumée par la qualification des équipements culturels en entreprises culturelles et par la promotion de l’aménagement culturel du territoire. Ainsi, on met à la disposition des générations futures un patrimoine culturel entretenu et enrichi. Enfin, l’intervention publique et communautaire, en synergie avec l’investissement culturel privé, réduit les inégalités sociales par la démocratisation de l’accès à la culture et la limitation des facteurs d’incertitudes par des réglementations protectrices.
Cinquièmement, enfin comme le disait Jack Land en 1981 devant l’Assemblée Nationale française : « économie et culture même combat », il faut cesser de traiter injustement l’investissement culturel avec condescendance. Le développement est par essence culturel.
26 MARS : Vous soutenez que le peuple a adopté « les monuments d’Alpha » : Pourquoi et comment ? Que deviennent alors les critiques qui leur avaient été faites ?
Harouna Barry : Je pense que l’expression « les monuments d’Alpha » relève d’un formidable malentendu. L’expression rend hommage à l’engagement culturel du président Konaré, mais ne rend pas compte de la diversité des équipements culturels réalisés et du fait que ceux-ci ont été faits par et pour le peuple Malien. Le peuple du Mali ne s’est d’ailleurs pas trompé, qui en dépit de ces nombreuses critiques, justes et ou injustes, contre ces équipements culturels, a fini par les adopter. En effet, ils magnifient les moments fondateurs et refondateurs de notre société. Ils fixent pour l’Histoire et les générations futures notre idiosyncrasie culturelle et civilisationnelle. Invitent à être les ancêtres du futur. En dépit de ce qu’on peut leur reprocher, ils assainissent et embellissent le cadre de vie et offrent des loisirs sains et instructifs. Aussi, ils jalonnent les itinéraires de visites officielles, ils constituent des lieux de commémoration des moments majeurs de la vie de la Nation et des citoyens (dépôt de gerbes de fleurs, célébration d’événements nationaux, mariages, promenades galantes, tournages de films et de vidéos, etc).
26 MARS : Partagez-vous l’opinion selon lesquelles la transformation de la ville de Bamako s’expliquerait par le fait que Alpha ait seulement voulu laisser son nom dans l’histoire du Mali ?
Harouna Barry : Non, je ne pense pas. Mais c’est Alpha lui-même qui peut éclairer l’opinion. Toutefois l’histoire retient non seulement ce qui a été fait mais aussi celui qui les a fait. Supposons, par un malin plaisir, que des ambitions seulement personnelles aient été à la base de ce programme salutaire de construction d’équipements culturels et d’érection de monuments, le peuple quant à lui n’a retenu et ne retiendra que ce qui est civiquement bénéfique, utile et agréable.
26 MARS : Votre dernier mot ?
Harouna Barry : Il faut saluer tous ceux qui construisent ce pays, leur reconnaître leur mérite et leur défaut, leurs réussites et leurs lacunes. Il faut surtout que le peuple ne retienne que ce qui est bien pour lui. Il faut enfin sur la base des équipements culturels réalisés développer l’économie de la culture et l’ingénierie culturelle au Mali. Je remercie le 26 MARS, cette rupture historique et réfondatrice de notre société et de notre peuple dans le sens du progrès social et économique.
Propos recueillis par
Moussa Coulibaly