«Le but d’Afrilivres est de donner de la visibilité aux éditeurs africains afin de mieux faire circuler le livre», dixit Sékou Fofana

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Dans un entretien à bâtons rompus, le secrétaire général de l’Organisation malienne des éditeurs de livres (OMEL) et secrétaire exécutif d’Afrilivres, Sékou Fofana, présente ses associations. Il raconte également  les activités menées, les difficultés, les perspectives, et surtout sa participation à la rencontre internationale d’Abidjan, il y a quelques semaines.

Le Débat : Pouvez-vous présenter ainsi que vos associations à nos lecteurs ?

Sékou Fofana : Je suis Sékou Fofana, je travaille pour les éditions Donniya. Je suis le secrétaire général de l’Organisation malienne des éditeurs de livres (OMEL), et secrétaire exécutif d’Afrilivres, qui est l’association panafricaine des éditeurs de livres, regroupant 34 maisons d’édition de 13 pays francophones. Afrilivres a été créée en 2002 à Dakar dans le but de rassembler les éditeurs africains du Sud du Sahara, et surtout des éditeurs francophones dans le but de mutualiser nos forces afin de faire face aux défis qui se posent à nous, en terme d’édition, en terme de livre, et en terme de lecture en Afrique. Avec cette association, nous avons plus de chance de faire face à la concurrence des grands éditeurs du Nord, dans un premier temps. Dans un second temps, de faire circuler le livre en Afrique. Je ne vous l’apprends pas, au Mali, pour faire passer un livre de Bamako à Kayes, ou de Bamako à Sikasso, c’est un problème, et le livre africain est confronté au même problème. Pour faire passer un livre du Bénin au Mali, ou du Mali à la Côte d’Ivoire ou en Guinée, c’est tout un problème. Donc, Afrilivres vise à faciliter la circulation du livre entre ces différents pays du continent et la visibilité du livre africain en dehors du continent.

Quelles sont les activités réalisées par l’Afrilivres ?

Comme j’ai dit, le but d’Afrilivres est de donner de la visibilité aux éditeurs africains afin de vendre leurs produits. En terme d’activité, nous avons organisé ici cette année, à Bamako, un salon du livre, uniquement en langues africaines. Ce salon est une première au Monde. Nous avons recensé la participation d’une vingtaine de maisons d’éditions venues de la Côte d’Ivoire, du Sénégal, du Niger, du Bénin, du Rwanda, de la Guinée, du Burkina… Ces maisons d’éditions sont venues exposer leurs différents livres produits en langues nationales africaines. Des professionnels maliens, notamment l’Académie malienne des langues et les autres structures travaillant dans le cadre de la promotion des langues au Mali étaient présentes. Ce salon est rendu possible grâce à l’accompagnement de nos partenaires tels que l’organisation internationale de la francophonie (OIF) et la Coopération suisse, entre autres.

Après ce salon, nous avons organisé récemment à Dakar un atelier de formation pour les jeunes éditeurs de moins de 35 ans. Une dizaine d’éditeurs y ont pris part. Le Mali était représenté par Moussa Gansoré des éditions Sahéliennes. Je précise que, pour le moment, les éditions Sahéliennes ne sont pas membres d’Afrilivres, mais nous avons tenu à ce que ceux qui ne sont membres, puissent bénéficier de ces formations afin qu’ils puissent adhérer à leur tour à l’association. Comme on le dit, plus nous sommes nombreux, plus nous sommes forts.

Quelles sont les difficultés des éditeurs maliens et africains ?

Localement, les difficultés sont nombreuses. Je prends un exemple, le ministère de l’Education a lancé un appel d’offres pour doter les lycées maliens en livres littéraires. Mais à notre grande surprise, il n’y a aucun livre d’éditeur malien parmi une centaine de titres proposés. Et pourtant, ce n’est pas par manque de livre, mais plus un choix dont nous ignorons les critères de sélection. Mais je trouve que c’est une forme d’ignorance de ceux qui ont fait ce choix-là. Si on regarde, ce sont les mêmes titres proposés depuis 1960. La plupart des titres sont des œuvres françaises ou des grands écrivains africains. Les titres proposés sont des titres édités par des Européens. Les deux auteurs maliens de cette dotation sont les œuvres de feus Massa Makan Diabaté et d’Amadou Hampâté Bah, qui sont édités par des Français. Et pourtant, il y a des maisons d’éditions au Mali. Ça sera aujourd’hui une injure de dire que la littérature produite par nos auteurs et nos éditeurs n’a pas sa place dans notre propre programme scolaire. Les livres produits ici répondent plus à nos réalités que des livres importés et écrits par des auteurs d’ailleurs. Nous n’avons rien contre les grands auteurs classiques européens ou européens. Mais, ce qui est important aujourd’hui, nous sommes face à des mutations, et des problématiques s’imposent à nous et auxquelles les auteurs du 17è ou 18è siècle n’ont pas forcément pensé. Certaines de nos productions nationales répondent mieux à ces questions. Aujourd’hui, on parle de décentralisation, et qui, mieux que les Maliens, pourront parler de la décentralisation à notre place dans notre contexte particulier ? Donner des livres littéraires aux élèves maliens sans la littérature malienne, cela prouve qu’il n’y a pas de littérature au Mali. Il est donc inacceptable et inadmissible que les auteurs maliens soient écartés de telle sorte. Il est grand temps que la littérature malienne soit incluse dans le programme scolaire du pays.

Nous faisons face également aux prédateurs, car il y a une forme de concurrence déloyale dans ce pays. Des gens qui se lèvent du jour au lendemain et vont faire les copies de nos livres et les revendre sur le marché à des prix très bas. Des prix que l’on ne peut pas concurrencer. La preuve, l’année dernière, nous avons pris quelqu’un la main dans le sac, qui était en train d’imprimer nos livres à Bamako. Nous sommes allés au Bureau malien des droits d’auteur, personne n’a levé le petit doigt pour nous accompagner dans ce combat-là. Nos livres sont piratés et nous n’avons aucun soutien pour mener une enquête sérieuse afin de traquer les fraudeurs devant la justice. À notre niveau, nous ne pouvons rien faire si le soutien politique n’est pas là. Les autorités doivent prendre des mesures draconiennes pour dissuader les fraudeurs afin de mettre fin à ce fléau qui nous cause tant de préjudices. Ensuite, il y a des ONG (depuis quelques années Save the Children fait des appels pour doter des écoles de la région de Sikasso en livres scolaires, nos titres sont inclus, personne n’achète les livres avec nous ; pourtant les marchés sont exécutés) qui proposent nos livres pendant des appels d’offres sans nous consulter. Nous avons écrit l’année dernière, mais en vain. Ces ONG se procurent ces livres à notre insu et nous ignorons comment elles font pour avoir autant d’exemplaires. Face à toutes ces difficultés, les éditeurs maliens ont du mal à prospérer et à vivre de leur art.

Quelles sont vos perspectives ?

Dans l’immédiat, c’est d’abord la sensibilisation. Nous allons faire appel au bon sens, car nous sommes dans un pays où le dialogue a toujours prévalu. Nous avons plus de tribune d’expliquer aux gens la nécessité  d’acheter les livres avec les vrais éditeurs. Nous comptons faire des conférences-débats, passer sur les radios ou à la télé pour mieux informer la population sur  le travail de l’éditeur, car le travail de l’éditeur est mal compris au Mali. Ensuite, au niveau de l’OMEL, on veut établir la charte de l’éditeur. Cette charte définira la réglementation du domaine et les critères pour devenir un éditeur. Au niveau d’Afrilivres, nous envisageons de mener des campagnes de mobilisation auprès des Banques afin que les éditeurs puissent avoir des prêts dans des conditions meilleures, afin de réaliser leurs projets. Nous avons besoin de l’accompagnement pour que ce secteur trouve un essor et participe au développement économique. Nous comptons restaurer aussi le salon du livre au Mali pour donner plus de visibilité à notre pays en crise. Les gens oublient souvent que la culture n’est pas seulement les artistes, mais c’est aussi et surtout les livres.

Vous venez de prendre part à une rencontre à Abidjan, peut-on connaître les grandes lignes de ce voyage ?

La rencontre d’Abidjan était d’abord en deux étapes. Dans un premier temps, il y avait un atelier de formation organisé par l’Alliance internationale des éditeurs indépendants, qui a son siège en France et regroupe plus de 400 maisons d’éditions de l’Amérique latine en passant par l’Europe et l’Afrique. L’atelier portait sur la fabrication et la Distribution de livres numériques, et  c’était en marge du Salon international du livre d’Abidjan qui est à sa 8e édition. Au cours de la rencontre, des thématiques, comme la place du livre dans nos mémoires, ont été débattues. Dans un second temps, nous avons procédé à la remise du prix Afrilivres d’une valeur de 10 000 euros, financé par OIF. Cette remise, qui aurait dû se faire à Bamako, a été reportée à l’époque à cause de l’attaque de l’hôtel Radisson. Je suis allé avec les livres des différents éditeurs maliens pour  faire la promotion du livre malien. Ça a été une belle occasion pour moi d’exposer les livres maliens. Contrairement à notre pays, il y a une réelle culture du livre et de la lecture en Côte d’Ivoire.

Un mot pour conclure ?

Je demande aux gens de fréquenter les livres et les bibliothèques. Quand on regarde aujourd’hui, l’argument économique qui empêcherait certains d’acheter le livre ne tient plus, car tous Maliens ont un ou deux téléphones, et nous dépensons beaucoup plus pour d’autres futilités. C’est la volonté qui manque. Les gens se plaignent du niveau de nos élèves, de nos étudiants, or, pour qu’un élève écrive correctement ou s’exprime convenablement, il doit lire les livres. Il ne s’agit pas simplement d’avoir un manuel scolaire, mais de disposer de vrais livres de lecture, peu importe le genre. Je demande aux parents de donner comme cadeau aux enfants des livres. Pour devenir forgeron, on va à la forge. Pour apprendre à lire, on doit chercher un livre ou aller à la bibliothèque. Les adultes doivent donner l’exemple aux enfants.

Propos recueillis par Yacouba Doumbia

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