Ville des 333 Saints et la capitale intellectuelle et spirituelle de l’Islam en Afrique, Tombouctou a été victime de l’occupation des islamistes au Nord. Parlant de saccage des mausolées inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO aux destructions de manuscrits qui représentent un véritable trésor culturel du Mali, Bruno Maïga, ministre de la culture depuis le 15 décembre 2012, a bien voulu se confier à votre journal pour en parler un peu plus.
-Le Combat : Tombouctou, la ville des 333 Saints, est inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1988. Durant l’occupation du Nord par les islamistes, plusieurs de ses mausolées et manuscrits ont été détruits. Monsieur le Ministre, quel bilan pouvez-vous nous donner aujourd’hui après le départ des islamistes de Tombouctou ?
-Le Ministre Bruno Maïga : Je vous remercie de cette initiative pour me permettre de parler un peu de la situation de Tombouctou d’après guerre, si on peut parler ainsi. En fait, il est difficile en ce moment de faire un bilan, étant donné que nul n’a procédé à une évaluation objective des préjudices causés sur le patrimoine culturel de Tombouctou durant l’occupation. Il y a eu beaucoup de données par-ci par-là qui se sont même avérées de simples rumeurs. On nous avait même rapporté un moment que les manuscrits avaient été détruits dans leur totalité, mais il est avéré aujourd’hui que 95% des manuscrits ont été sauvegardés par la bienveillance de bonnes volontés, en l’occurrence Monsieur Haïdara qui dirige une ONG et d’autres ONG et partenaires qui se sont dédiés à cela. Donc la plupart de ses manuscrits se trouvent en lieu sûr à Bamako, y compris des manuscrits familiaux, c’est-à-dire qui étaient logés dans des bibliothèques de familles. Cette ONG a beaucoup fait et ce matin même (jeudi dernier), j’ai reçu Monsieur Haïdara qui m’a confirmé la sauvegarde de la plupart de ces manuscrits, mais une partie a été brûlée, notamment ceux qui étaient dans l’institut nouvellement construit par la fondation «Agha Khan». Incessamment, nous avons procédé à la rédaction d’une communication verbale pour l’information du gouvernement et très bientôt, un communiqué de presse pour informer l’opinion nationale et internationale. Par ailleurs, nous envisageons une conférence avec ceux qui ont contribué à préserver ces manuscrits pour que tout le monde sache effectivement ce qui s’est réellement passé. Tombouctou, ce n’est pas que des manuscrits, c’est aussi des monuments historiques à travers les mosquées de Djingareyber, de Sidi Yaya, de Sankoré et des mausolées dédiés aux différents saints de la ville qui ont été réellement détruits. Et il nous a été rapporté que c’est quatorze mausolées qui ont été détruits, dont des mausolées inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. C’est dommage car c’était des constructions faites avec des matériaux assez fragile, du banco consolidé s’est détruit. Il faudrait penser maintenant à la reconstruction. D’ici une dizaine de jours, une délégation d’hommes de culture, qui sont chargés de la sauvegarde du patrimoine, se rendra en France pour une réunion convoquée par la France et l’UNESCO pour envisager déjà quoi mettre en œuvre pour la reconstruction du patrimoine dans les zones sous occupation des terroristes. Il serait fastidieux de vous dire en détail ce qui s’est réellement passé, mais en toute conclusion, nous pouvons dire que le constat est tout simplement catastrophique parce que vu cette ville qu’on appelle communément ville des 333 saints, dans un tel état, détruite en moins d’un an ce qui a été construit sur des siècles est un coup dur porté non seulement au patrimoine culturel malien, mais aussi mondial, vous l’avez vous-même évoqué dans votre question, surtout que cette ville s’apprêtait à fêter le millénaire de son existence. Bon, ce qui s’est passé est passé comme on le dit. Il ne faudrait pas s’attarder sur le passé, il faudra plutôt penser à l’avenir pour que Tombouctou retrouve sa célébrité mondiale culturelle et religieuse. Parce que moins du patrimoine des matériaux, les populations de Tombouctou ont beaucoup souffert. Pas mal sont en enrayement à travers le pays et même du monde. Il s’agit de faire confiance à tous ces gens là afin qu’ils continuent le travail entamé par leurs ancêtres et aux grands bénéfices de toute l’humanité.
-Après la reconquête, que comptez-vous faire pour réparer les dégâts ?
–Comme je l’ai dit auparavant, il faudra évaluer tout cela car il ne s’agit pas de se concerter sur des informations parcellaires recueillies par-ci par-là, mais d’évaluer tout ça de façon experte, c’est-à-dire dans un premier temps avec l’UNESCO qui a déjà fait une pré-mission et avec cette délégation qui se rendra en France sur l’invitation des autorités françaises et de l’UNESCO pour parler de reconstruction du patrimoine culturel des zones occupées. Et en cela, l’UNESCO nous a promis l’envoi d’une mission d’experts qui, avec les experts nationaux, vont se pencher sur l’évaluation de ce qui a été détruit. Evaluer et envisager en même temps ce qui peut être fait pour que la reconstruction démarre tout de suite. Ceci se fera bien sûr avec l’appui de l’ensemble de la population de Tombouctou parce qu’il faut reconnaitre que dans cette phase de destruction, il n’y a pas mal de biens culturels qui se sont retrouvés dispersés à travers des familles. Donc il faudrait solliciter le concours des différentes populations pour réunir tout ceci et une fois l’évaluation faite, il faudra penser à reconstruire. Les mausolées qui peuvent être reconstruits le seront, ce qui peut être envisagé autrement pour qu’ils gardent leur symbolisme ou leur symbolique, même si une reconstruction totale n’est pas faite. Le gros à faire, c’est de faire revenir les manuscrits dispersés aujourd’hui sur leur site naturel. Autrement dit, il faut réhabiliter les bibliothèques familiales détruites, réhabiliter l’Institut «Ahmed Baba» qui a été en partie incendié. En un mot, il faut reconstruire ce qui a été détruit et enfin, faire revenir les manuscrits là où ils étaient pour qu’ils puissent servir à la recherche et à l’approfondissement de la connaissance sur l’Islam africain parce que c’est essentiellement de ça qu’il s’agit à Tombouctou. Ce qu’a apporté l’Islam en terre africaine et l’intégration que cet Islam a eu avec nos cultures africaines, et Tombouctou symbolise tout cela. Bien sûr, remettre les hommes de culture au travail en leur redonnant confiance. Ce ne serait pas facile, il y aura tout un travail psychologique à faire parce qu’après tant de souffrances, ce n’est pas facile de renouer avec les vieilles amours.
-Confirmez-vous que la grande majorité des manuscrits ont été sauvegardés ?
–Oui, quand j’ai reçu Monsieur Haïdara ce matin, qui est l’artisan de main-d’œuvre de toute cette sauvegarde des manuscrits. Nous sommes convenus que pour des raisons de sécurité nous n’en dirons pas trop sur comment tout ceci a été fait parce que les acteurs ou opérateurs de cette mise en œuvre de sauvegarde des manuscrits sont appelés à retourner à Tombouctou, il y en a qui y sont. Donc, on n’est jamais à l’abri d’une mauvaise surprise. On ne dira pas qui a fait quoi ni comment cela a été fait pour ne pas que les rebelles, qui ont encore des partisans sur place, ne s’acharnent pas sur ce qui leur a échappé. Il est question de les emmener pour faire un travail de restauration et d’entretien parce que les manuscrits étaient dans des conditions idoines de conservation. Il va falloir penser à la remise en forme des manuscrits avant leur retour à Tombouctou.
-La Directrice de L’UNESCO, Madame Irina Bokova, a annoncé l’aide de son organisation pour la reconstruction et la sauvegarde de son patrimoine culturel. Comment analysez-vous cela ?
–En disant cela, la Directrice est tout à fait dans son rôle. L’UNESCO a pour mission la sauvegarde du patrimoine mondial, et pas mal de nos biens matériels et immatériels ont été classés par l’UNESCO au patrimoine culturel mondial. Donc, en disant ceci, elle ne fait que redire sa mission et réaffirmer sa disponibilité à accomplir la mission qui lui a été confiée quand elle a été nommée Directrice. Mais ceci n’est pas nouveau car il y aura aujourd’hui même (jeudi 07 février) à Paris vers les environs de 18 heures une réunion qui portera sur la reconstruction du patrimoine culturel malien. Non pas seulement ce qui a été classé, mais aussi l’ensemble du patrimoine culturel malien qui a subi beaucoup de préjudices dans les zones occupées. Parce qu’en dehors de ça, vous savez, dans cette situation d’insécurité totale et de débrouillardise parce que tout est arrêté, les gens se débrouillent. Il y a beaucoup de biens qui se retrouvent sur le marché, échappant ainsi au contrôle. Et surtout, il faudra penser aussi à l’aspect de sauvegarde du patrimoine par L’UNESCO. Ou c’est nous qui rachetons ces biens culturels, ou ils peuvent être préservés et valorisés, ou alors nous trouvons des mécanismes pour mettre fin à cette déperdition culturelle et tout ceci, l’UNESCO est prête à nous aider dans tout ça. Mes échanges au téléphone avec une collaboratrice de la Directrice de l’UNESCO qui m’avait explicitement demandé de faire une requête à l’UNESCO pour qu’elle lance un appel de fonds pour nous aider à reconstituer notre patrimoine culturel.
Donc l’UNESCO et sa Directrice ne sont que dans leur rôle en faisant cette déclaration à Bamako. Et je salue la promptitude avec laquelle la Directrice elle-même a fait ce déplacement et je ne peux que saluer cette initiative de sa part. Nous ne pouvons qu’exhausser l’institution commune à nous aider davantage d’une façon plus diligente face aux périls que nous subissons.
-Votre département est un grand ministère. Confirmez-vous cela ?
–La culture en elle-même est un vaste domaine et une des plus grandes activités humaines. Bien sûr que la structuration a fait que nous nous sommes retrouvés avec un certain nombre de services rattachés au service central d’établissement public à caractère culturel. Bon, mais la mission commune reste la même : c’est la sauvegarde et la promotion de nos valeurs culturelles, et cela passe par différents canaux comme l’action culturelle, la protection du patrimoine, la création artistique et cinématographique. Mais la dimension du département ne se mesure pas à la multitude de ses structures, mais beaucoup plus à l’immensité de ses tâches que recouvre la notion même de culture et de promotion de la culture parce que la promotion humaine fait partie de la promotion culturelle. Mes perspectives est que j’agis sur le court thème, surtout que je fais partie d’un gouvernement de transition. Donc mon passage ne sera pas marqué par des réformes structurelles. Nous sommes obligés de faire avec ce que nous avons et d’améliorer l’efficacité des outils que nous avons en main avec différents services en les rendant beaucoup plus fonctionnels et opérationnels au service de la mission de la sauvegarde, de la promotion de la culture et non faire des réformes structurelles. Notre souci principal sera d’améliorer un peu l’efficacité, la fonctionnalité même de l’ensemble de ces structures. Créer le maximum de synergie pour qu’avec le temps qui nous est imparti, on puisse marquer de notre empreinte sur le travail qui se fait et puisse laisser des résultats à celui qui viendra prendre le relais.
Propos recueillis par Bathily Neïmatou Coulibaly