Bourama Doumbia, célèbre tradi-traumatologue à Samako : « Le premier interdit de cette science est l’appât du gain »

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Bourama Doumbia, la cinquantaine, installé à Samako, un quartier périphérique de la capitale malienne, est réputé dans son domaine. Il nous a  accordé une interview sur sa pratique traditionnelle, les  types de fractures des os qu’il soigne, les origines de son expertise dans cette pratique traditionnelle, ses difficultés, etc.

Le challenger : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Je suis Bourama Doumbia, tradi-traumatologue (spécialiste des traitements des os)  et employé à ICRISAT en tant qu’agent de nettoyage et d’hygiène. Je suis arrivé de Manako dans le cercle de Bougouni pour m’installer à Samako près de Bamako.

La traumatologie traditionnelle est-elle un héritage chez vous ?

Non, ce n’est pas un héritage dans mon cas. J’ai été initié par Guindo Balla Diakité qui est décédé depuis trente ans. Je fus moi-même malade et ai été pris en charge par ce vieux. Il m’a ainsi transmis cette connaissance. Je n’étais pas le seul à être initié par lui, mais je suis le seul à valoriser cette science qui exige certains interdits à ne pas violer. L’inviolabilité de ces interdits est certainement la raison qui a empêché les autres initiés à en profiter.

Peut-on savoir quels sont ces interdits ?

(Sourire) Je ne peux vous citer que quelques uns. Le premier interdit de cette science est l’appât du gain. On ne doit pas fixer un prix au malade. Secundo,  on ne répond pas aux messages de reconnaissance et de remerciement  des malades après leur guérison. Je me limite à cela.

Depuis combien d’années pratiquez-vous cette science  et combien de malades recevez-vous par jour ?

Je pratique la tradi-traumatologie depuis 25 ans.  Chaque jour, à mon retour du travail, je peux recevoir une cinquantaine de malades avec différentes fractures au pied, au bras, au cou ou au dos. Mais les samedi et dimanche qui sont des jours fériés, je reçois environ 300 personnes car beaucoup savent que je suis disponible ces jours-ci. Certains patients arrivent littéralement paralysés.

Avez-vous un prix fixe pour  les différents cas de fracture ?

Comme je vous l’ai dit, je ne traite pas les malades pour de l’argent mais à cause de Dieu. Certains malades après leur guérison, me font des gestes et je les accepte. C’est la raison pour laquelle, je suis embauché et reçois un salaire à l’ICRISAT pour ne pas être financièrement dépendant de cette pratique qui a des exigences strictes.

Où sont logés ces centaines de malades ?

Présentement, 348 patients sont hébergés ou hospitalisés à Samaya et Ouenzindougou. Comme je n’ai pas de locaux pour les recevoir tous, je suis obligé de démarcher les familles voisines dans le village pour m’aider à les héberger. Vu le nombre élevé de malades à Samako, j’héberge près de 70 personnes à Ouenzindougou où on m’a offert une cour  grâce  à la générosité du chef de village et de ses conseillers qui ont compris le sens de mon travail. C’est là-bas que j’héberge les malades durant leur séjour. Ce sont  des conditions pas très souhaitables pour moi, mais mes moyens sont limités pour les loger confortablement. Lors de leurs traitements, les malades de fractures doivent être immobilisés sur place pour la réussite du traitement, raison pour laquelle nous les logeons chez nous pour un meilleur suivi.

Avez-vous bénéficié d’une quelconque aide du gouvernement pour la prise en charge de ces malades ?

Nous sommes ignorés de l’Etat, car nous n’avons jamais reçu un représentant de l’Etat après 25 ans de service rendu.  Si les malades, après leur guérison reconnaissent nos efforts, cela nous satisfait. Toutefois, ce ne doit pas empêcher que nos efforts soient appuyés pour réduire la souffrance des malades. Nous avons un grand besoin d’aide pour construire des bâtiments afin de donner un peu de confort aux patients. Les malades viennent de tous les horizons : Mauritanie, Sénégal, Guinée, Burkina Faso, Gabon et même l’Europe et l’Amérique.

Collaborez-vous avec la médecine moderne ?

Je collabore avec les médecins  modernes, car il y a des cas de fracture qu’on évacue vers les centres de santé les plus proches.  Par exemple, il y a des cas où la chair est déchirée par les os à cause du choc violent. Pour ces cas, ce sont les médecins qui se chargent de faire des sutures. Mon petit savoir-faire me permet de soigner certaines plaies béantes. Mais, pour les cas de paludisme, d’hypertension et d’autres affections que certains patients contractent pendant leur séjour, nous nous referons aux médecins. C’est pourquoi, nous avons besoin d’ambulance pour l’évacuation des cas d’urgence.

Que répondez-vous à ceux qui pensent que vous faites des miracles en soignant des cas de fractures les plus compliqués. Comme les fractures du dos, du cou ou des cas d’os broyés etc. ?

(Sourire). C’est Dieu qui m’aide à soigner ces cas graves. Oui, je soigne des cas de fractures du dos, du cou et même des os broyés. Parfois, ce sont des malades qui ont déjà fait le tour des centres hospitaliers universitaires Gabriel Touré ou autres. Une fois chez moi, Dieu merci, je les soigne et ils retournent chez eux en marchant. Présentement je traite une jeune fille qui est arrivée chez moi presque paralysée car son cou et son dos étaient tous fracturés. Vous l’avez vue vous-même, ce matin en train de marcher seule. J’ai reçu un autre cas venu de la Mauritanie qui est actuellement en traitement. Quand il arrivait ici, son dos, ses pieds et sa main droite étaient tous fracturés. Dieu merci, il est sur le point de guérir. Or en Mauritanie, les médecins désespérés ont signé forfait.  Vous êtes allé le voir dans sa chambre. C’est pour ne citer que ces quelques cas.

Quels sont les moyens par lesquels vous traitez les malades ?

J’utilise le beurre de karité pour soigner mes patients, il a de multiples vertus. Il traite les problèmes de nerfs, les douleurs musculaires et autres. Avec notre savoir-faire nous remettons l’os cassé à sa place.

Parlez-nous de votre association pour le soutien des malades ?

Nous avons créé une association pour soutenir les malades dans leur prise en charge. Certains malades, pendant leur séjour, ont des difficultés financières. L’association vole au secours de ces malades. Morikè Koné, un de vos confrères de radio, m’aide pour la coordination de cette association.

Préparez-vous déjà la relève

Oui, je prépare  certains  jeunes  pour assurer la relève. Ces jeunes travaillent bien avec moi. Certains se chargent du registre pour enregistrer l’arrivée et le départ des  malades. Nous nous organisons comme cela.

Votre mot de la fin

Je vous remercie de venir voir ce que nous faisons ici. Comme mot de la fin, je demande à toutes les bonnes volontés de nous aider à construire notre cour pour la prise en charge de nos frères malades.

Propos recueillis par Modibo L. Fofana

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