Invité au grand meeting des paysans tenu le 31 août à Koutiala, le secrétaire général de la Fédération nationale des producteurs d’huile et d’aliments de bétail (FENAPHB) de Koutiala a expliqué les difficultés que rencontre leur secteur. Selon lui, la flambée des prix de l’huile alimentaire, de la viande et de l’aliment bétail est due au fait que leurs doléances n’ont pas été prises en charge en amont. Dans une interview qu’il a voulu nous accorder, il passe au peigne fin les accords qu’ils avaient conclus avec l’Etat à titre préventif. Lisez plutôt.
Le Témoin : Parlez-nous de la Fédération nationale des producteurs de l’aliment bétail qui a son siège à Koutiala.
Boubacar S Diabaté : On a quatre-vingt-quinze huileries autorisées en République du Mali par le ministère de l’Industrie. Nous, nous achetons toute la production en graine de coton de la CMDT. Par un pôle bancaire, nous mobilisons chaque année 35 milliards pour acheter toute la production en graine de la CMDT. Nous mobilisons également une trentaine de milliards pour acheter à l’extérieur, 300 mille tonnes de graines au Bénin, au Togo, en Côte d’Ivoire et en République de Guinée, pour faire tourner nos usines. Nous employons 3 800 personnes dont 2 000 femmes. Aujourd’hui, nous produisons également 400 mille tonnes d’aliments de bétail et 60 millions de litres d’huile alimentaire. L’année dernière, à la place de 300 mille tonnes, la CMDT ne nous a donné que 10 mille tonnes. Imaginez-vous un peu que nous, nous avons voulu nous rendre à l’extérieur. Pour ce faire, nous avions demandé au régime défunt de nous accompagner par des exonérations afin qu’on puisse faire entrer 300 mille tonnes de graine de coton exonérées. Cela allait nous aider à alimenter le marché malien en aliment-bétail et en huile alimentaire. Le régime défunt avait signé des décrets, mais, compte tenu de la crise, l’application a posé problème. On a remué ciel et terre, malheureusement, on n’a pas pu avoir les exonérations. Au niveau du cordon douanier, on a voulu faire transiter les produits, mais on nous a demandé de payer le tarif réel. Chose qui a beaucoup joué sur la transaction. C’est ce qui a fait qu’on a eu des difficultés à ce niveau. On n’a pas pu faire entrer beaucoup de graines et en même temps les productions d’aliment-bétail et d’huile alimentaire ont chuté. Cela a conduit à des pertes d’emplois avec à la clé une crise autour de l’huile et de l’aliment-bétail. Si l’aliment-bétail devient cher, il va de soi que la viande aussi le devienne. Nous avons dit sans ambages que la crise de viande qu’on a connue l’année dernière ainsi que celle de l’huile et de l’aliment-bétail sont dues au fait que nous n’avions pas été écoutés. Cela a également coïncidé avec le changement politique et en voilà que nous sommes en train de vivre les répercussions.
LT : Qu’est ce qui explique votre présence au meeting des cotonculteurs ?
BSD : Nous avons reçu une invitation pour venir écouter à ce meeting de soutien à la transition, qui est en train de poser des actes. Nous avons rencontré le PDG de la CMDT, il nous a dit que cette année, à la place de 300 mille tonnes de graines, ils vont nous en donner entre 350 mille et 400 mille. Donc, cela a suscité de l’espoir au sein de notre fédération. C’est pour cela que nous avons décidé de venir marquer notre présence à ce meeting géant organisé par les cotonculteurs du Mali.
LT : Combien coûte la tonne de l’aliment bétail ?
BSD : Aujourd’hui, on nous a dit qu’elle coûte 140 mille francs, avec exonération, selon les cahiers de charge. Mais sans exonération, celui qui va au Bénin, à 3000km, charge un camion en suivant tout le processus de dédouanement, avec tous les frais et faux frais compris. Cette tonne lui reviendra à 150 mille francs. En période normale, c’est 140 mille francs le prix carreau. L’huile c’était 11 000 francs le bidon de 20 litres. Le prix a pris l’ascenseur aujourd’hui simplement parce qu’on n’a pas pu bénéficier de l’exonération.
LT : Quel message avez-vous donc à adresser aux autorités ?
BSD : Maintenant, ce que nous pouvons dire aux autorités, c’est d’encourager la cotonculture, c’est de nous faire des faveurs en matière d’exonération. Si l’Etat renonce à certaines taxes, notamment la TVA, je pense que nous serons à un cahier de charges qui va nous permettre de vendre l’aliment bétail et l’huile alimentaire à un prix raisonnable. On n’aura même pas le choix parce que tenus par les termes du cahier de charges.
LT : Parlez-nous de la qualité de l’huile malienne par rapport à l’huile importée ?
BSD : Le Mali a trois laboratoires certifiés : le laboratoire national de la santé, le laboratoire Cerfitex et le laboratoire Prosla. Nous, nous avons une convention avec le ministère de l’Industrie qui nous impose qu’après chaque production d’huile, d’envoyer obligatoirement des échantillons au niveau de ces trois Labo. Il y a un service autorisé qu’on appelle Service phytosanitaire. Ils ont des agents assermentés. Ce sont eux qui passent dans nos huileries pour recueillir des échantillons. Et leurs déplacements sont à nos frais. Nous avions même demandé à l’Etat que ces frais soient partagés parce que c’est leur mission régalienne. Aucune huilerie ne peut prendre un échantillon pour se diriger vers ces laboratoires et se faire accepter. Ce sont des agents assermentés qui font la ronde des quatre-vingt-quinze huileries autorisées, qui prennent des échantillons et les emmènent pour nous faire parvenir après, notre bulletin d’analyse. Les déplacements de ces agents à Koutiala, San, Mopti, Kayes, Kita, sont à notre charge à 100% et cela constitue un problème.
LT : Qu’est-ce que vous avez comme difficultés majeures dans votre secteur ?
Boubacar S Diabaté : Comme première difficulté, nous avons l’électricité qui coûte cher au Mali, parce qu’il n’y a pas de tarif industriel. Nous payons le courant au même titre que les consommations familiales que vous faites au niveau de vos journaux ou de vos maisons. Et celui qui a installé une machine qui paye 20 ou 30 millions par mois, vous avez le même tarif au niveau de l’EDM. Chose qui n’est pas aisée. Nous avons demandé dans le temps au gouvernement depuis une dizaine d’années de voir la situation. Lors de nos visites d’échanges dans les pays voisins, on a vu que les tarifs industriels sont instaurés dans certains pays. Cela encourage les industries à s’installer. Mais s’il faut payer sur la base de la même grille tarifaire que ceux qui ont des consommations familiales, c’est-à-dire qui ne payent pas 10 000 francs de facture dans le mois, cela n’encourage pas l’industrialisation. La deuxième difficulté, c’est la concurrence déloyale parce que depuis l’avènement de la crise en 2012, le Mali a des frontières poreuses et l’huile rentre par les pays arabes, de la Mauritanie, de l’Algérie. De tous les côtés, on ne voit que des bidons sur le marché. Aucun contrôle parce qu’il n’y pas de service de contrôle dans ce sens : les gens font rentrer de l’huile comme ils veulent. Nous arrivons à écouler mais avec des problèmes parce que nous sommes contraints d’aligner nos prix aux leurs. Or on peut doit s’interroger sur la qualité de ces huiles-là. Il y en a qui utilisent nos étiquettes même souvent. Nous l’avons souligné au niveau du Conseil national de régulation des prix chaque fois que l’occasion s’est présentée. Même les autorités sont informées, avec des calculs de coûts par rapport aux différentes provenances de nos cotons graines. L’Etat doit faire des efforts pour nous accompagner, d’où l’idée d’exonération des TVA. Malheureusement, ce qu’on écrit n’est pas toujours appliqué en République du Mali, c’est dommage et regrettable.
Propos recueillis par Amidou KEITA