Boniface Diarra, ancien une icône de la liberté

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Boniface Diarra ! Ce nom est devenu quasiment une énigme pour la jeune génération. On en parle vaguement comme héros de la liberté. Pourtant, il fait partie de ceux qui ont osé affronter un Moussa Traoré au summum de sa puissance et de sa gloire. Boniface est un prénom entré dans l’histoire politique des étudiants maliens et aussi celui de la diaspora malienne du Canada. Option a rencontré cet infatigable combattant de la justice et de la dignité…

 Option : Boniface Diarra est un nom évocateur d’un passé de lutte dans le monde associatif des élèves et étudiants du Mali. Dites-nous quand et comment vous avez été un responsable très influent de l’UNEEM, l’Union nationale des élèves et étudiants du Mali ?

Boniface Diarra : Je voudrais vous remercier de la grande amabilité avec laquelle vous m’invitez à répondre à vos questions. Avant de répondre à votre première question, celle de savoir « quand et comment » j’ai « été un responsable très influent de l’UNEEM », vous voudriez bien me permettre de signaler que n’étant pas une personne sainte, DIARRA Boniface n’est pas inoubliable. De mon point de vue, nul ne devrait être salué du nom de « glorieux », s’il n’est pas mort. Je n’ai donc aucun mérite que celui de m’être conformé aux enseignements que mes père et mère ainsi que toute la communauté de Fougna-Karanden-bougoula  m’ont donné dès ma tendre enfance : « Ne jamais trahir ses engagements envers  les siens ». J’ai accepté, sur proposition des Étudiant(e)s en 1977, de devenir le Secrétaire général à l’École Nationale d’Administration (ENA) du Mali puis d’accepter le poste de responsable à la presse et l’information de l’UNEEM. Je ne pouvais donc pas prendre prétexte du fait que j’étais à une semaine de la fin de mes études à l’ENA, études qui me destinaient à devenir magistrat ou juge, pour sacrifier l’intérêt de mes camarades élèves et étudiants au profit de mon intérêt personnel, sans me rendre indigne de l’éducation reçue de mes parents.

Option : Vous venez de quel village ou de quelle ville, parlez-nous de votre origine.

 Boniface Diarra : Je suis né à Fougna-Karanden-bougoula que des prêtres catholiques nomment « Saint Isidore ». Ce village des gens scolarisés ou, pour mieux dire, des habitants convertis au catholicisme, est situé à 12 km de Kita, où mes parents sont venus s’installer.

Option : Êtes-vous marié ou célibataire ?

Boniface Diarra : Je suis marié. Avec mon épouse (Muaka Mambuene) ressortissante de la République Démocratique du Congo (RDC), le Seigneur Dieu nous a confié trois enfants (Fahirah Baba Muaka, Sirah Ngoma Nganga et Hamadu Séku).  

Option : Le 22 avril 1977, l’UNEEM a déclenché une grève nationale autour de la plate-forme suivante : suppression de concours d’entrée dans l’enseignement supérieur, suppression du tronc commun, reconnaissance de l’UNEEM et libération inconditionnelle et immédiate de Boniface Diarra. Où et comment vous avez été arrêté, quelles étaient vos conditions de détentions?  

Boniface Diarra : De fait, j’ai dû me rendre ou sortir de la clandestinité en échange de la libération de  mon grand-frère Grégoire Diarra arrêté à Tominian et de mes jeunes frères privés de liberté à Kita. Ne souhaitant guère qu’ils payent pour mon engagement envers la cause scolaire et estudiantine, j’ai décidé, après avis favorable de mon inoubliable ami, Maître Assane Seye, de me rendre à Kati chez  le négociateur du Comité militaire, Amadou Baba DIARRA. Celui-ci me fit conduire par monsieur Fabala Diallo au Bureau du Directeur des Services de sécurité Tiékoro Bagayoko. Après quelques mois de détention au 2ème Arrondissement puis à la Brigade d’investigation, j’ai été prisonnier à Inakouender (Camp militaire situé entre Taoudénit et Tombouctou). Je m’incline devant la mémoire du lieutenant Boubacar Bah et des soldats de Kati qui ont protégé ma vie. Vous savez, la souffrance corporelle est d’autant plus supportable que la personne qui en est victime baigne dans la plénitude de la paix intérieure.

Option : Vous avez étroitement collaboré avec Abdoul Karim Kamara dit Cabral torturé et tué par le pouvoir militaire de l’époque, quelle est votre lecture de ces persécutions militaires et de cette fin tragique, le 17 mars 1980, de cet ancien secrétaire général de l’UNEEM ?

Boniface Diarra : Cabral a été tué lorsque j’étais à Ménaka. Je m’incline devant sa mémoire. J’ai eu l’occasion de lui prodiguer des conseils. Lors de notre dernière rencontre chez mon ami O. Séméga, je lui faisais l’analyse de la situation qui prévalait à l’époque au pays en mal de structurer la jeunesse (UNJM) du parti UDPM. Je lui suggérais, dans son engagement indéfectible envers les étudiants et élèves du Mali, de ne tenir que des langages corporatifs pour éviter la confrontation avec les militaires au pouvoir à Bamako. Dans un langage prémonitoire très explicite je me souviens lui avoir dit exactement : «  Le tigre blessé tue. Moi, il m’a raté. Toi, tu ne lui échapperas point ».

Les circonstances ont fait que Cabral n’a pu bénéficier de la protection que m’ont assuré les hommes de troupe du camp militaire de Kati. De plus, la fidélité dont me témoignèrent mes ami(e)s n’a guère trouvé réplique dans son entourage intime. Judas l’a livré à ceux qui l’ont tué. Il faut se garder néanmoins de faire un amalgame entre l’armée malienne qui a une haute conscience de ses devoirs et certains officiers enivrés par la détention du pouvoir.

Option : Vous avez immigré au Canada comme étudiant ou revendicateur du statut de refugié?

Boniface Diarra : Ayant initialement refusé la voie de l’exil lorsqu’elle me fut proposée en Côte d’Ivoire au bénéfice du stage probatoire obligatoire pour l’intégration à la fonction publique malienne, je recevais une affectation au cercle de Ménaka. À la fin de mon stage d’un an, je rédigeais un rapport pour fin de titularisation. Ce rapport a été déclaré perdu pour justifier ma mise à l’écart de la fonction publique. Mon ami, Maître A. Seye et le Rotary Club de Bamako se mobilisèrent pour me trouver une bourse d’études. Le Rotary international choisissait le Canada plutôt que l’Allemagne pour y effectuer des études de maîtrise en criminologie. Parti du Mali en septembre 1980 sur admission en maîtrise préparatoire à l’École de criminologie de l’Université de Montréal, j’obtenais ma maîtrise dans cette discipline en 1983, avant de faire et d’achever (1992) un doctorat multidisciplinaire et interdisciplinaire sur la violation du droit international en même temps que ma maîtrise en droit du commerce international à l’Université Laval. Détenteur d’un certificat de la Fondation canadienne des droits humains (1986), je couronnais (1993) ma formation académique par des études postdoctorales à l’Université du Québec à Montréal.

Option : Titulaire d’un doctorat, vous donnez des cours dans des universités canadiennes, parlez-nous, étant immigrant, de ce processus d’évolution du statut d’étudiant à celui d’enseignant.

Boniface Diarra : Ne pouvant retourner au Mali, j’ai demandé et obtenu la protection internationale du Canada. Ne résistant cependant pas, avant la soutenance de ma thèse de doctorat, au désir de retourner en Afrique, je choisissais de postuler pour aller travailler au Zaïre, la RDC d’aujourd’hui. Je fus recruté par le Centre international de criminologie comparé (CICC) pour coordonner un projet de resocialisation de jeunes à Madimba et NBensékéfuti. Le pillage par les soldats de Mobutu de Kinshasa en 1991 anéantissait mon rêve de retour. C’est alors qu’à cause, disait-il de la qualité de ma thèse, qu’un chef de programme de criminologie à l’Université de Montréal me demanda de venir enseigner. Depuis 1992 je dispense des cours dans des écoles et universités canadiennes.

Option : Vous avez participé à l’élaboration de certains documents statutaires de la Communauté malienne au Canada sans jamais accepter d’être dirigeant d’une des associations communautaires provinciale ou fédérale, pourquoi ?

Boniface Diarra : La camisole socioculturelle du manding dont je suis porteur m’imprègne. La réussite personnelle n’est qu’une illusion d’optique. La réussite effective ne peut-être que collective. Il faut de plus savoir que ce que l’on conçoit pour soit, peut faire l’envie de ses frères et sœurs qui sont autant doué, sinon plus, d’intelligence que soi-même. Au Canada, j’ai toujours travaillé à animer l’esprit et la flamme de l’unité africaine. Cet esprit et cette flamme doivent être éprouvés dans son milieu naturel. Aussi, ai-je accepté de collaborer aux associations sans chercher à en prendre la tête. 

Option : Envisagez-vous un jour vous installer au Mali pour y apporter vos expériences professionnelles et associatives?

Boniface Diarra : Je n’ai pas choisi l’exil, j’y ai été contraint. Malgré ce que j’ai subi au Mali, la détermination d’apporter ma petite contribution est restée vivace. Quoi de plus naturel que de vouloir revenir au pays. Depuis le remplacement de Moussa TRAORÉ à la tête du pays, j’ai offert mes talents de professeur et d’analyste à l’Université et à la Faculté des Sciences Économiques et juridiques (FSEJ) dans le cadre du projet Tokten. J’ai travaillé au projet de documentation juridique avec monsieur Vincent Coulibaly et Marc-André Ledoux pour créer les conditions de mon retour. J’ai frappé à la porte du projet de reforme de la justice au Mali, etc. Pour le moment, les portes sont closes. Je poursuis néanmoins la réflexion et des efforts pour trouver une voie d’accès. Ce qui me chagrine le plus, c’est la conscience d’être à l’écart de la reconstruction scolaire au Mali. Je reviens donc à l’idéal dont j’ai été toujours porteur : l’Éducation. L’avenir d’une société, d’un pays ne peut-être que ce qu’est la formation de ses enfants. Le système éducatif du Mali est malade depuis plusieurs décennies sans que les gouvernements successifs ne parviennent à le ramener à l’état normal. Il faut avoir la conscience nette que sans la réussite dans le domaine éducatif, il n’y a pas de solution d’avenir pour le Mali. La réussite de l’éducation doit donc être le cri de ralliement de toutes les filles et de tous les fils au cinquantenaire du pays et, particulièrement, le terrain de réconciliation des opprimés des différents régimes qui se sont succédé depuis 1960. Ce terrain éducatif  est un lieu de pardon et non d’’oubli.

 

OPTION

 

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