En ce début de la campagne 2013-2014, le Directeur général de l’Office Riz de Ségou, Babougou Traoré nous fait, dans l’interview qui suit, le bilan de la campagne écoulée. Tout en évoquant les perspectives d’avenir de sa structure, il donne d’importants conseils aux producteurs. Lisez !
Comment se porte l’Office Riz de Ségou ?
Je dirai que l’Office Riz se porte bien, malgré le fait que nous avons traversé une année 2011-2012 difficile. La pluviométrie n’a pas été au rendez-vous dans la zone office, elle a été déficitaire. Donc, cela a négativement joué sur nos prévisions de production. C’est dans ces conditions que nous avons démarré l’année 2012-2013. A la fin de la campagne 2012-2013, nous avons fait appel à nos partenaires notamment, l’Assemblée nationale, le Commissariat à la sécurité alimentaire, la FAO et d’autres partenaires pour qu’ils viennent constater le sinistre que l’Office Riz de Ségou (ORS) a enregistré. Ces démarches ont abouti à la mise en place d’un plan d’urgence où les plus hautes autorités ont décidé de nous venir au secours. Ces différents secours ont consisté à la mise en place des semences, la mise à la disposition des exploitants sinistrés afin qu’ils démarrent la campagne 2012-2013 dans des conditions idoines.
En ce qui concerne la poursuite de l’Initiative riz, nous n’avions pas d’espoir du fait que le coup d’Etat du 22 mars 2012 a engendré d’énormes difficultés financières qui ne permettaient plus à l’Etat d’y répondre favorablement. Mais, grâce à la vigilance des autorités, le projet a été reconduit. Tous ces facteurs nous ont permis de démarrer la campagne 2013-2014 dans de bonnes conditions.
En ce qui concerne la pluviométrie et la crue, elles ont été très bonnes par rapport à l’année dernière. La pluie a commencé à bonne date et elle a été bien repartie dans le temps et dans l’espace. Contrairement à ce que les gens pensent, la crue n’a pas été exceptionnelle. C’était une crue moyenne, car quand nous avons commencé la mise en eau, quelques jours après, la décrue s’est amorcée. Cela a fait que nous n’avons pas pu irriguer toutes les superficies. Sur 29 000 hectares exploités, nous avons perdu environ 2000 hectares. La perte de ces 2000 h n’était pas liée à une mauvaise mise en eau, mais plutôt due au fait que la crue n’a pas été exceptionnelle. Le second aspect est dû aussi au fait que les paysans ont pris l’habitude de dépasser les limites hydrauliquement sûres. Cela veut tout simplement dire que les zones qui doivent recevoir de l’eau en temps normal, ont été dépassées. Les gens sont allés débroussailler les zones qui devraient recevoir difficilement de l’eau. Ces zones marginalisées n’ont pas eu de l’eau en abondance. Vraiment, il y a eu quelques difficultés à ce niveau.
En gros, sur les 29 000 hectares, nous avons plus de 25000 hectares qui sont exploitables. Mieux, le rendement que nous allons avoir cette année a battu tous les autres records en matière de production dans la zone ORS. Cette année, la campagne s’annonce bonne.
En ce qui concerne les cultures sèches, nous n’avons pas rencontré de difficultés majeures, car la pluie a été au rendez-vous et bien repartie dans le temps et dans l’espace ; ce qui présage une bonne récolte. Tout cela mis bout à bout, nous avons espoir que dans la zone Office Riz, nous serons en mesure de contribuer à l’atteinte des objectifs que l’Etat du Mali s’est fixés, c’est-à-dire, produire dix millions de tonnes dans un bref horizon.
En dépit des difficultés que vous venez d’évoquer, est-ce que vous jugez ce bilan satisfaisant ?
Je juge ce bilan satisfaisant parce que nous sommes dans un système non sécurisé, c’est-à-dire, la submersion contrôlée. Cela veut dire que si nous arrivons à réaliser une bonne production trois à quatre fois en dix ans, c’est déjà quelque chose, sinon on peut faire une succession de cinq années où on ne produit pas du tout. Je pense que c’est un très bon résultat.
Quel peut être l’impact de cette production sur le revenu du citoyen lambda ?
Dès qu’on annonce une bonne production avec une amélioration du rendement, il va sans dire que cela apportera quelque chose. Surtout que nous venions d’une année extrêmement difficile, et si jamais cette année la production n’avait pas suivi, cela voudrait dire qu’une bonne partie des populations de Ségou allaient partir en exode. Avec le nombre très important de nos frères déplacés du nord, la situation allait être très critique mais fort heureusement, nous en avons été préservés. Dès qu’on dit production, c’est dire qu’il y a surproduction quelque part et c’est cette surproduction qui sera commercialisée et qui contribuera nécessairement à l’amélioration du revenu moyen des producteurs.
Bon nombre de Maliens estiment que le riz qui est produit dans la zone office est exporté ailleurs. Quelle est la destination réelle du riz que vous produisez dans les zones ORS ?
Dans un pays où on est inscrit dans une politique de régionalisation avec l’ouverture des frontières sur les autres pays de la Cédéao et de l’Uémao, à toute forme de sortie de crise, aucun pays à lui seul ne peut prendre des dispositions pour interdire ces sorties. Ce qui reste indiscutable, c’est que chaque fois qu’il y a surproduction, forcément, les gens sont obligés de vendre une partie de leur production pour faire face à certains besoins qui sont là. Dans notre système, il n’y a pas de commercialisation organisée. Les producteurs vont sur le marché avec leur surproduction, et qui va sur le marché ne fait pas le choix de tels ou tels acquéreurs. Naturellement, les commerçants exportateurs qui viennent, passent par des intermédiaires pour faire des achats sur le marché, et il est certain que ces quantités vont sortir du Mali. Donc, nous ne pouvons rien contre ça, mais il n’y a aucune organisation en zone Office Riz destinée à faire des achats et à les exporter. Les cas que nous venons d’expliquer sont vraiment des paramètres très difficiles à contrôler.
A votre niveau, songez-vous déjà à des stratégies afin de moraliser la commercialisation des surproductions par les producteurs ?
Nous sommes en train de réfléchir aux voies et moyens. Pour preuve, il y a une mission du Ministère de l’Agriculture qui vient de sillonner toute la zone Office Riz. Elle avait pour objectif de sensibiliser surtout les populations afin qu’elles fassent beaucoup attention. Quand vous avez des années exceptionnelles où le prix est assez incitateur, les gens tentés par le gain facile, vendent parfois leur propre autoconsommation. Donc, cette sensibilisation, non seulement nous la faisons à notre niveau, mais également il y a une mission nationale qui est venue pour sensibiliser les producteurs et leur dire que c’est vrai que cette année la production sera bonne, mais qu’ils doivent faire beaucoup attention et de garder leur autoconsommation. Le surplus peut être commercialisé mais pas l’autoconsommation. Ces dispositions de sensibilisation sont en cours. De l’autre côté, l’Etat s’est retiré de la commercialisation. Sinon, au moment où l’Etat s’impliquait, ce volet était très organisé et l’Etat achetait toute la surproduction et la stockait dans les magasins pour être réinjectée. C’est vrai que l’OPAM est là mais la façon dont la commercialisation est organisée, elle passe toujours par des intermédiaires. Qui dit intermédiaire, c’est-dire pense directement aux enchères et les prix ne sont jamais maîtrisés. Si on dit que le riz est cher, ce n’est pas au niveau des producteurs mais plutôt au niveau des intermédiaires. Avant que le riz n’arrive au destinataire, il passe par au moins deux ou trois intermédiaires. Chacun ajoute sa valeur et c’est ce qui fait que le plus souvent le prix est très élevé. Sinon, il y a des dispositions qui sont en cours. Nous l’avons toujours fait et nous allons continuer à sensibiliser les producteurs à constituer leur autoconsommation et à ne vendre que le surplus.
Estimez-vous qu’il est indispensable que l’Etat reprenne la main en s’impliquant dans la commercialisation du riz produit dans la zone ORS ?
Je pense que ce système est dépassé aujourd’hui et cela constituerait un recul pour le Mali. Ce que l’Etat peut faire, c’est d’amener les producteurs eux-mêmes à s’organiser. Que toute la filière soit structurée et organisée. De la production à la commercialisation en passant par la transformation jusqu’au niveau des ventes. Que les gens soient organisés dans les différents maillons de la chaîne. Je pense que c’est ce que l’Etat doit faire, sinon je trouve caduc que l’Etat s’implique dans la commercialisation du riz.
Quelles sont les perspectives pour la saison agricole 2013-2014 ?
Comme nous sommes liés à un contrat-plan qui court sur trois ans, nos objectifs sont calés de la première année jusqu’à la troisième année. Bon an mal an, nous devons prendre des dispositions pour être dans cette logique-là. Donc, nous savons déjà depuis l’année dernière nos objectifs pour l’année agricole 2013-2014. Et c’est à nous de prendre des dispositions afin de les atteindre au maximum. Ce contrat plan prévoit chaque fois l’augmentation en termes de rendement et de productivité. Les moyens qui doivent être mis en place sont déjà callés, budgétisés et soumis aux autorités chargées du financement. Donc, à ce niveau, nous n’avons pas de problème. Il s’agit chaque fois de prendre les prévisions du contrat plan et de les renouveler pour la campagne prochaine. Au-delà de ce contrat-plan, nous avons une vision nouvelle.
Comme je l’ai évoqué précédemment, la submersion contrôlée est liée à trop d’aléas et elle est aléatoire. C’est pourquoi, de plus en plus, nous sommes en train de voir partout où cela est possible, comment transformer cette submersion contrôlée à la maîtrise totale comme dans la zone Office du Niger. Cela nous permettra de mettre de l’eau quand on veut et de la vider quand on veut. Si cela est fait, je pense qu’on ne serait pas trop dépendant de la pluviométrie et le problème de crue ne se posera pas non plus, parce que nous bénéficions déjà de l’amont du barrage de Markala et tout ce qui concerne la zone de Dioro considéré comme étant la zone potentiellement disposée à être transformé en maîtrise totale. Nous sommes déjà sur un projet qui est fiancé dont les grands travaux doivent démarrer cette année. Le projet porte sur 1271 hectares et les études viennent d’être finalisées pour trois mille autres hectares. Nous sommes toujours à la recherche des bailleurs pour le reste, afin de les transformer en maîtrise totale. Donc, c’est cela la vision de l’ORS pour le futur.
Quel appel lancez-vous aux producteurs ?
L’appel que nous lançons aux producteurs, c’est de dire d’abord à ceux qui évoluent dans la submersion contrôlée, qu’ils arrivent à s’adapter aux conditions climatiques nouvelles. Au moment où l’Office Riz naissait, l’isohyète, c’est-dire, la quantité de pluie annuelle, partait jusqu’à 1800-1600 millimètres. Aujourd’hui, nous oscillons entre 400 et 500 millimètres. Cela veut dire que les gens doivent changer de mentalité, mais aussi de variétés afin de s’adapter à cette nouvelle situation. Partout où les gens sont allés au-delà des limites hydrauliquement sûres, il faudrait qu’ils se mettent en tête qu’il faut d’autres variétés dont l’exigence en eau n’est pas poussée. On peut passer par le nerika irrigué et le riz fluvial.
En ce qui concerne les zones où nous sommes en train d’aller à la maîtrise totale, il faudrait que les gens fassent extrêmement attention, parce qu’il y a une très grande différence. A ce niveau, les engagements sont très poussés et cela demande beaucoup de main d’œuvre et d’investissements. En submersion contrôlée avec 100 000 francs ou 120 000 francs CFA, on peut faire face à tous les travaux de l’hectare et on a les deux tonnes, voire deux tonnes cinq cent. Avec la maîtrise totale, à l’hectare, il faut aller à 300 000 francs CFA ou 400 000 francs CFA pour s’attendre à un rendement de 6 tonnes. Ceux-là qui ont huit à dix hectares, doivent se rendre à l’évidence qu’en maîtrise totale, ce n’est pas la même superficie qu’il faut avoir. Il faudrait qu’ils réduisent leur superficie à trois, voire quatre hectares. Ce sont des aspects sur lesquels nous lançons un appel aux producteurs. Mais déjà, nous nous ferons le devoir de persévérer dans la sensibilisation auprès des populations pour une meilleure compréhension des techniques agricoles modernes.
Propos recueillis par Mamadou DIALLO «Mass»
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