Dans une interview accordée a nos confrères de TV5 monde et de RFI, à la veille des festivités du cinquantenaire de notre indépendance, le président de la République Amadou Toumani Touré, a abordé sans ambages de nombreuses questions d’actualités, notamment, le projet de Code de la famille, sa recente visite au Parlement Européen et la lutte contre le terrorisme. Et s’agissant de ce dernier aspect, ATT a affirmé avec convicton que le "Le Mali est otage et victime du terrorisme issu de la bande sahélo-saharienne . Nous vous proposons l’intégralité de cet entretien.
TV5 et RFI : L’enlèvement de sept étrangers, des civiles dont cinq Français, un Togolais et un Malgache au Niger cette semaine. Avez-vous des informations à nous donner sur ces enlèvements.
ATT : Je commence par condamner de tels actes. Nous en sommes gênés. A la limite c’est une honte ; que certains types de comportements puissent se jouer dans la bande sahélo-saharienne que nous partageons. Evidemment, depuis les premières heures, nous avons été toute suite en contact avec le Gouvernement et l’armée nigérienne…
TV5 et RFI: Donc, le Mali est mobilisé ?
ATT: Le Mali est mobilisé. Habituellement, chaque fois qu’il y a des actes de part et d’autre nous conjuguons nos efforts et nous avons d’ailleurs permis à tous les pays riverains de faire des poursuites si éventuellement les assaillants rentraient sur le territoire malien. Ainsi, nous avons été informé de ce qui s’est passé au Niger et dans toute la bande est du Mali, nous avons toute suite au triangle Mali-Algérie -Niger, nous avons mis toutes nos forces en état d’alerte et même plus loin. Donc, nous contribuons, nous aidons et nous soutenons l’armée nigérienne dans cette quête
TV5 et RFI: Est-ce que vous pensez que cette opération porte la marque d’Al Qaïda au Maghreb Islamique ?
ATT: J’avoue que pour le moment, il est un peu difficile de se prononcer. Je pense qu’il n’y actuellement que des hypothèses. Mon analyse ne m’a pas permis de pouvoir situer la responsabilité de cet acte. Moi, je pense qu’il faut attendre peut-être quelques jours certainement nous serons mieux édifiés, lorsque ceux qui auraient commis ce fait, se déclareront.
TV5 et RFI: Les ravisseurs conduisent presque toujours les otages vers la Mali. Comment expliquez-vous que presqu’à chaque fois les prises d’otages se terminent sur votre territoire ? Considérez-vous à présent le terrorisme comme toujours un problème importé ou problème malien?
ATT: Non. Je pense que d’abord il faut voir la dimension de la bande sahélo-saharienne qui fait 8 millions de km2, un quart du continent africain. C’est de la Mauritanie jusqu’au Soudan, vingt fois la France ! C’est-à-dire il y a le Mali, le Niger, le Burkina Faso, l’Algérie, le Tchad et la Libye. C’est une zone hostile où la densité humaine est pratiquement nulle et de grandes formations montagneuses et des milliers si non des millions de kilomètres de tas de dunes. Et je crois que jusqu’à présent, le Mali se considère comme victime et otage parce que toutes les menaces et elles ne sont pas seules : des trafiquants cigarettes, les passeurs vers le paradis européen, les salafistes venant du Maghreb, la drogue venant d’Amérique latine et destiné à d’autres peuples. Voilà pourquoi je dis que de toutes ces menaces, aucune n’est née dans la bande sahélo-saharienne, aucune ne nous est destinée. C’est donc une menace transfrontalière qui s’accentue de plus en plus et face auxquelles la bande sahélo-saharienne, les Etats riverains surtout, et l’Europe doivent tenir compte
TV5 et RFI : On dit souvent que l’AQMI a une forte implantation dans le Nord du Mali. C’est une réalité ?
ATT : Le Nord du Mali, c’est le sud de l’Algérie, c’est l’est de la Mauritanie, c’est le Nord du Niger. Moi, je pense qu’il est extrêmement difficile de trouver une adresse postale de ceux-ci. Je pense qu’on ne peut pas dire avec exactitude où est-ce qu’ils se trouvent. Ils se promènent dans toute la bande sahélo-saharienne. Leur progression est transfrontalière. Aujourd’hui, ils sont là demain, ils sont dans un autre pays.
TV5 et RFI: Vous dites que ces partisans d’AQMI ne sont donc pas plus au Nord-Mali qu’en Mauritanie, au Sud de l’Algérie ? Votre territoire n’est pas plus particulièrement visé par ces activistes ?
ATT: Absolument pas. Je pense que toute la bande sahélo-saharienne est la limite visée. Raison pour laquelle, j’ai vu cette menace venir petit à petit. C’est pourquoi en 2006 déjà, je proposais l’organisation d’une conférence sahélo-saharienne sur la paix et le développement. Parce que, dans ma lecture et dans mes analyses, je pense que cette réunion était extrêmement difficile. Pourquoi cette réunion, pourquoi les difficultés que nous connaissons aujourd’hui ? Je le dis clairement : c’est le déficit de la coopération sous-régionale également qui a été un facteur limitant. On commence à corriger à Tamanrasset avec l’Etat major régional. Cependant, c’est un fait qu’il faut corriger.
TV5 et RFI: Vous dites donc que le terrorisme prend sa source dans le sous-développement. Les deux phénomènes sont liés ?
ATT: Je ne dis pas que les deux phénomènes sont liés. Mais le terrorisme se nourrit du sous-développement ; surtout de la précarité. Lorsque les populations concernées sont dans une extrême précarité. Elles sont exposées. C’est la petite divergence que nous avons avec certains de nos voisins. Pour certains, c’est le " tout sécuritaire ". Nous avons dit que ça ne suffit pas. Nous avons passé par là. Nous avons fait "le tout sécuritaire" pendant des années si non des mois. Nous avons perdu beaucoup de soldats et nous avons causé beaucoup de pertes ailleurs. Nous nous sommes dits sécuritaire oui, défense aussi, mais, nous pensons que la réponse qu’il faut donner, c’est le bien-être, c’est le développement local et c’est sur cette ligne que je me suis appesanti devant l’Union Européenne.
Vous pensez que le développement va faire disparaître ces réseaux d’islamistes au Nord du Mali. Pas seulement le développement. C’est la conjugaison de certains facteurs. C’est la sécurité, le développement, la défense et surtout la complicité des populations. C’est là où tout se joue. S’ils gagnent les populations, nous aurons beaucoup de difficultés et parmi ces populations, il y a une population cible, c’est la jeunesse. Lorsque le jeune n’a aucune alternative, alors il s’embarque avec n’importe quel criminel pour des actes répréhensibles.
TV5 et RFI: Parlant du risque de complicité de la population. Pour obtenir récemment la libération des 4 otages espagnols, on a libéré un trafiquant malien surnommé Omar le Saharaoui. Est-ce que vous estimez qu’il y a des segments dans la population malienne qui, par intérêt financier, peut-être, sont complices du terrorisme islamique ?
ATT: Je pense quand même qu’il faut voir ce problème pas seulement dans la dimension malienne. Parce que nous également, qu’est-ce nous avons fait pour mériter un tel sort. Nous sommes surpris. Depuis le 9 è siècle, nous sommes dans un islam tolérant et humain. Nous-mêmes sommes surpris par ce comportement. Je pense qu’il faut que nous acceptions une responsabilité partagée.
Pour le Saharaoui, il a été arrêté et jugé en Mauritanie.
TV5 et RFI: Quelle est la stratégie dans de ces cas de figure ? Les Espagnols ont tendance à négocier. Leurs otages ont été libérés. Les Français ont refusé et Michel Germaneau a été exécuté. Faut-il oui ou non négocier avec les terroristes ?
ATT: Il faut faire tout pour ne pas rentrer dans les négociations. Dès qu’on y rentre, on se retrouve en position de faiblesse. A moins que nous ayons des moyens militaires appropriés pour nous permettre de régler le problème militairement. Avec tous les risques que cela comporte. J’ai toujours dit que la solution c’est de travailler en amont : il faut faire en sorte qu’il n’y ait pas de prises d’otages… Pour ce qui concerne le cas du Mali. Nous avons eu affaire à l’otage français, Pierre Camatte. Un homme qui a travaillé pendant 3 ans dans le désert malien. Il a été enlevé dans le Nord-est du Mali. Et ces gens ont exigé que nous libérions 4 otages qui, il est vrai, n’avaient posé des actes terroristes sur le territoire malien ; mais qui étaient recherchés par les autres. C’est la décision la plus importante et la plus difficile de ma vie. Que faire ? Faire le dur et refuser de libérer ces otages et laisser exécuter M. Camatte, notre hôte (la France est un pays ami) ? Nous avons opté de libérer ces otages après les avoir jugés. Et nous avons récupéré Pierre pour le rendre à la France Ici, il y a deux écoles qui s’affrontent : faut-il négocier ou ne pas négocier. Si on a les moyens de ne pas négocier. Je pense que c’est mieux.
TV5 et RFI: L’Algérie vous critique beaucoup sur ce point. Le Mali a beaucoup servi de base de repli aux Algériens, notamment au moment de la guerre d’Algérie. Vous estimez que les Algériens se servent du désert malien comme un endroit pour repousser leurs terroristes, leurs problèmes islamistes.
ATT : Pendant la guerre d’Algérie, le Mali a servi de base. C’est à partir du Mali que les armes étaient fournies en partie aux Moudjahidine algériens. Et c’était le président Abdel Aziz Bouteflika qui était le chef de la zone Mali. C’est pour dire que le Mali a participé. Et cela, nous l’avons payé dans le cadre de nos relations avec la France à l’époque. Moi, je ne rejette la responsabilité sur personne. Aucun Etat riverain ne peut dire que c’est l’autre qui est fautif. Je pense que la responsabilité est commune dans le dossier de la bande sahélo-saharien
TV5 et RFI: Pourriez-vous dire que les Algériens repoussent le problème chez vous ?
ATT: Difficile à dire. Mais, dans tous les cas de figure, ces gens là ne sont pas maliens et ils ne sont pas venus du Mali. Ils seraient venus du Maghreb
TV5 et RFI: On dit qu’AQMI serait infiltré ou manipulé par des services militaires algériens, le DRS (département Renseignement et Sécurité). Est-ce là une hypothèse que vous retenez ?
ATT: Non, c’est une hypothèse que je ne retiens pas. Depuis longtemps, nous avons eu des avis partagés sur la manière de gérer le problème à propos du " tout sécuritaire ". La petite divergence qui existe entre nous se corrige aujourd’hui. Notre Nous avons mis en place un Etat-major inter alliés. Etat-major inter-alliés mis en place à Tamanrasset. Un commandement composé de toutes les armées n’est pas encore opérationnel
TV5 et RFI : Le Mali est accusé d’avoir totalement relâché la surveillance au Nord. Pas de postes de polices, etc ?
ATT: Que ceux qui nous accusent n’ont qu’à empêcher leurs salafistes de venir chez eux ! C’est trop facile d’accuser les autres. Nous avons perdu assez de temps à nous s’accuser mutuellement. Certains ont dit que le Mali est le maillon faible de la chaîne. Je dis de quelle chaîne vous parlez. Il n’y a pas de chaîne dans cette lutte. C’est maintenant que nous travaillons pour mettre en place cette chaîne…
TV5 et RFI: Vous étiez récemment au Parlement européen. Vous pensez que l’Europe ne fait pas assez par rapport à la lutte contre le terrorisme ?
ATT: L’UE est notre premier partenaire au développement. Le Mali est le 2 e pays en Afrique au Sud du Sahara. Je suis allé au Parlement européen pour dire par ma part de vérité. J’ai eu l’impression qu’il y a beaucoup de commentaires par rapport à ce sujet. Au même moment où j’étais face aux députés européens, mon ministre des Affaires étrangère était à la tribune des Nations Unies. Je pense que le message est porteur
TV5 et RFI: En 2009, le Code de la famille, sous la pression des communautés musulmanes, avec des imams à leur tête. Ne pensez-vous pas que les imams s’immiscent trop sur le terrain politique ?
ATT: Aucun imam n’est député. Aucun imam ne fait de la politique au Mali. Les imams ne font de la politique. Nous avons de grands érudits sur lesquels nous comptons. Dans ce dossier du Code de la famille, je pense que nous n’avons pas bien communiqué. Je dois dire que je n’ai pas retiré le texte du Code. Pour certaines incompréhensions, j’ai demandé tout simplement à l’Assemblée nationale de procéder à une seconde lecture du texte. Le Code n’est pas enterré comme certains le disent. Je souhaite que nous ayons un code de la famille amélioré tenant compte de toutes nos valeurs culturelles et religieuses
TV5 et RFI : Vous n’avez pas l’impression que l’islam se radicalise au Mali ?
ATT: Il n’y a aucune radicalisation de l’islam au Mali. Je vous rassure qu’au mali nous ne connaissons pas le fondamentalisme…
TV5 et RFI: ATT va-t-il quittez le pouvoir en 2012 face à autant défis pour le Mali sur le plan lutte contre le terrorisme, les questions de développement?
ATT: La Constitution malienne dispose clairement que le président ne peut faire plus de deux mandats. Depuis vingt ans notre Constitution n’a subi aucune modification. Donc, je pense que personne n’est indispensable. Je dois partir. Je n’est pas le choix…
Propos transcrits par Bruno Djito SEGBEDJI