Tétou est artiste, elle fabrique des perles et autres parures pour femme. Elle a défilé avec ses bijoux lors de la première édition de «Bamako Fashion week» où elle fut la grande révélation. Après ce grand événement, nous avons échangé avec cette combattante infatigable pour les causes justes et nobles.
Le Reporter Mag : On parle beaucoup d’Assétou Gologo dite Tétou. Qui est-elle en fait ?
Assétou Gologo : Je suis une Malienne presque cinquantenaire, titulaire d’un diplôme universitaire en langues, obtenu en Russie en 1992, et qui a décidé, après avoir «bourlingué», de s’établir à son propre compte et d’essayer de vivre de son art.
Comment êtes-vous venue dans le monde de la création avec cette particularité, les perles, les parures, bijoux…?
Je pense que j’ai toujours été artiste dans l’âme bien que pendant longtemps cet aspect ait été refoulé. Mais on n’est que ce qu’on est. Avec le recul, je me dis que j’ai toujours eu une imagination débordante, beaucoup de créativité. J’aime écouter, pas entendre ; observer, pas voir. Aussi, je me souviens des séances d’enfilage de perles de ma maman, paix à son âme. Je lui rends hommage ainsi qu’à toutes les femmes en ce mois de mars. Comme chacun, je trouve que ma maman était exceptionnelle. Battante, créative, très manuelle. J’ai aussi grandi dans le Sénégal de Senghor, très culturel ; ça aussi a sûrement laissé des traces…Tout ce bain culturel, artisanal, s’ajoutant au caractère fort et à la créativité hérités de mon papa (Dr. Mamadou El Béchir Gologo) font de moi ce que je suis. L’engouement pour les perles m’est venu par hasard en accompagnant des amis à Ngolonina et mon imagination et ma volonté ont fait le reste.
Quelles sont vos sources d’inspiration et à quel moment de la journée vous avez de bonnes idées ?
Mon inspiration me vient en observant la matière, de l’envie que j’ai de travailler telle ou telle couleur ou matière. Les idées viennent à n’importe quel moment. L’essentiel est que je ne force pas et que je ne cherche qu’à laisser mon monde intérieur s’exprimer. Et puis, comme je n’ai pas appris formellement le métier, je n’ai aucune contrainte, disons, “académique”. Je m’exprime, c’est tout.
Vous avez combien d’ateliers et de boutiques et comment les gens trouvent vos créations au Mali ?
J’ai un atelier dont une partie sert de galerie et il est situé à Korofina Nord. J’y travaille avec deux jeunes et aussi en dehors de l’atelier, je travaille avec une famille d’artisans touaregs et un bijoutier dogon depuis le début. Sans parler de mes amis vendeurs de perles aussi bien à Ngolonina qu’au grand marché. J’ai un site web : www.tamacali.com et je fais aussi, disons, je tente de faire de la vente en ligne. Tout est si compliqué quand on est de ce côté du monde ! À part ça, je fais du dépôt-vente aussi bien au Mali qu’à l’étranger.
Quelles sont les difficultés auxquelles vous êtes confrontée ? Est-ce que votre métier a de l’avenir ?
Je pense que tous les artisans du Mali ont les mêmes difficultés. À mon humble avis, il faut une meilleure organisation du secteur, des changements. Ce qui ne veut pas dire que ça ne fonctionne pas en ce moment. Ce qu’il faut, c’est que ça fonctionne mieux et que l’artisanat ait la place qui lui revient de droit. Cela passe par des changements radicaux. Je ne vais pas énumérer les problèmes du Mali, nous les connaissons tous et le secteur de l’artisanat n’est pas une exception. Je ne sais pas si mon métier a de l’avenir…mais nous sommes quelques-uns à vivre des fruits de Tamacali depuis une dizaine d’années. Nous avons traversé des épreuves, remporté des victoires. De l’avis général, ce que nous produisons est exceptionnel. Je suis fière de mettre des étiquettes “made in Mali”. Il faudrait que le mérite soit reconnu et soutenu au Mali ; que les Maliens consomment malien, à commencer par l’Etat et ses représentants. Ainsi notre avenir, en lequel je n’ai aucun doute, sera exceptionnel. On me dit parfois : ta place n’est pas au Mali ; tu mérites mieux…Mais il y a-t-il mieux que sa Patrie, que la terre qui vous a vu naître, celle où sont enterrés vos ancêtres ? On dit aussi parfois que je ne suis pas Malienne (sourire). Eh bien, je suis Malienne, je suis une des expressions de la diversité malienne !
Vous êtes une artiste engagée, vous avez été membre du jury de la Biennale 2008 à Kayes. Comment voyez-vous l’art et la culture malienne de nos jours ?
À mon avis, un vrai artiste est toujours engagé. Oui, l’artiste est passion et l’art lui permet d’exprimer sa vision du monde. Ainsi, en créant des choses spectaculaires avec presque rien et des choses que je trouve ici, je dis au monde, en commençant par les Maliens et les Africains, «nous sommes riches, nous sommes beaux, nous sommes l’avenir, pourvu que nous ayons la présence d’esprit de nous regarder nous-mêmes, avec nos propres yeux». Oui, j’ai été honorée d’être membre du Jury de la Biennale de Kayes. J’en garde des souvenirs exceptionnels, de belles rencontres. Le Mali dans toute sa diversité à Kayes ! Des jours de voyage et dans quelles conditions pour certains ? L’art malien est très dynamique. Tout bouillonne : musique, peinture, cinéma, écriture, mode. J’espère que la culture aura un jour la place qu’elle mérite au Mali. Vous savez, je suis de ceux qui pensent que si nous voulons nous en sortir, nous devons donner à la culture et à nos traditions la place qu’elles méritent.
Tétou Gologo est sur quel grand projet actuellement ? Est-ce qu’il y a une création qui vous tient à cœur ?
Mon grand projet ? Mais, comme tous les Maliens, c’est d’arriver à vivre malgré tout ce qui nous arrive comme difficultés. La gestion du quotidien est parfois de nature à faire oublier les grands projets. C’est triste, mais c’est comme ça ! J’espère vivre assez longtemps pour voir un Mali en paix, indépendant, souverain et uni… Bon, je vais quand même annoncer un projet qui me tient à cœur, c’est de publier un livre. J’aime écrire, je publie parfois sous le sobriquet KKS (Kili Kan Sosso, que personne n’y voit de l’impolitesse, c’est le symbole) et j’ai découvert récemment qu’on aime me lire. Je me dis alors pourquoi pas ? Avec les perles, ça s’est fait de la même manière !
Quels sont vos marchés et comment parvenez-vous à faire écouler vos créations ?
Ma clientèle est assez diverse. Je vends aussi bien dans ma boutique qu’en utilisant les moyens modernes : internet…Je participe aussi parfois à des Salons ou à des Foires. J’en profite pour remercier tous ceux qui nous soutiennent, en achetant et ce, depuis le début. Oui, je dois aussi admettre que nous avons une clientèle fidèle et que le bouche-à-oreille est notre meilleure pub.
Vivez-vous de votre art ? Si non, comment ?
Oui, j’en vis et pas seulement moi. Cela ne veut pas dire que je suis riche dans le sens commun. Vous savez, j’aime dire que je suis la personne la plus riche, car je sais me réjouir de ce que j’ai. Je pense aussi sincèrement que Tamacali mérite mieux, beaucoup plus, mais je reconnais aussi que, dire comme je le fais qu’il y a des compromis qu’on ne fait pas, peut être de nature à “nuire” parfois aux affaires…Mais, l’essentiel pour moi, en tant qu’artiste, en tant que chef d’une très petite entreprise, est d’être en accord avec ma conscience.
Le Mali est un pays en crise. Est-ce que cela joue sur vous, les artistes ? Comment voyez-vous la situation du pays ?
La crise a commencé pour les artisans depuis que la France a inscrit à l’époque le Mali sur la zone orange…Nous avons été les premiers touchés…La crise a des effets assez paradoxaux sur les artistes. D’un côté, notre créativité peut être décuplée et de l’autre, nos ressources peuvent se réduire de manière drastique… Ce serait moins grave peut-être si nous consommions un peu plus malien. Oui, il faut qu’être Malien devienne un objectif, un mode de vie, voilà une solution à la résolution de la crise. L’action de certains artistes est à applaudir, il faut montrer l’unité, il faut avoir des projets et les faire vivre.
Avez-vous des mots pour conclure cet entretien ?
D’abord, un grand merci à vous, pour l’intérêt que vous portez à moi. Je souhaite le meilleur à votre Magazine. Courage ! Et mes vœux pour le Mali qui nous unit tous : des vœux d’unité, de justice, et donc, de paix. Ne rejetons pas ce qui nous unit. Même le cousinage à plaisanterie, nous le perdrons à force de vouloir être ou ressembler à ce que nous ne sommes pas.
Kassim TRAORE