Aminata Traoré : « Au Mali et ailleurs, cette colère contre la France est l’expression douloureuse d’un sentiment d’humiliation »

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« De Dakar à Djibouti, radioscopie de la relation Afrique-France » (4). Ancienne ministre de la culture, la militante altermondialiste décrypte les échecs des politiques de développement, notamment au Sahel.

Ministre de la culture du Mali de 1997 à 2000 et militante altermondialiste de longue date, Aminata Traoré n’a rien perdu, à 75 ans, de sa combativité. « Faire une fixation sur un sentiment antifrançais créé et entretenu par la propagande russe, c’est encore, estime-t-elle, une manière de nous dire que nous sommes incapables de penser par nous-mêmes et de nous révolter. »

Présentation de notre série De Dakar à Djibouti, radioscopie de la relation Afrique-France
Pour l’essayiste, autrice du Viol de l’imaginaire (Fayard, 2002) et de nombreux essais sur la mondialisation capitaliste et les dérives néocoloniales, la colère qui s’exprime aujourd’hui dans les sociétés sahéliennes plonge ses racines dans les échecs des politiques de développement.

Quelle a été votre première rencontre avec la France ?
Aminata Traoré Sans doute le premier jour à l’école Maginot de Bamako, sous la colonisation. C’était un établissement pour filles qui avait la particularité d’accueillir des indigènes et des enfants de colons. Les Noirs et les Métisses étaient d’un côté, les Blancs de l’autre. On ne se mélangeait pas. Ça vous marque, une telle séparation à cet âge-là. Mais j’ai cultivé des amitiés. Et comme j’étais une bûcheuse, une fois au lycée, j’ai sauté la troisième avec l’aide de certains professeurs français, maliens et sénégalais.

Plus tard, j’ai décroché une bourse pour venir étudier en France. Avec mon mari, nous sommes partis à Caen, où j’ai eu mes deux filles. La question raciale était évidemment plus prégnante en France qu’au Mali ou en Côte d’Ivoire. Une Africaine en grossesse en Normandie à la fin des années 1970, ça attirait les regards… Mais moi, je découvrais le pays, je ne me posais pas vraiment de questions. A l’époque, le Front national n’existait pas encore. La situation est devenue beaucoup plus tendue par la suite.

Militante altermondialiste, vous êtes connue pour être une voix très critique de la politique de la France en Afrique. D’où vous vient cet engagement ?

D’abord, je suis un produit de la gauche. Quand je suis entrée au lycée de jeunes filles, la première République du Mali venait de naître. Comme beaucoup de jeunes gens, j’ai fait partie des « pionniers », sous le régime de Modibo Keïta [président socialiste du pays de 1960 à 1968]. Notre slogan, c’était « pionnier aujourd’hui, pionnier toujours ». En cours d’histoire, on nous parlait des luttes de libération et plus précisément du rôle joué par le Mali et du rôle de son président dans la création de l’Organisation de l’unité africaine. Cette fibre panafricaine, j’en suis imprégnée depuis l’enfance.

Devenue étudiante, j’étais à Dakar pendant la grande grève de 1968 à l’université, la première du genre sur le continent. C’était mon premier contact avec ce genre de soulèvement. Ensuite, je suis partie étudier à Abidjan, à l’Institut d’ethnosociologie. J’y ai rencontré Laurent Gbagbo et sa femme, qui étudiaient à l’Institut de linguistique, et d’autres enseignants de gauche. On était tous très critiques de l’économie de rente et de la dépendance de l’Afrique aux cultures d’exportation. Puis j’ai rejoint le ministère de la condition féminine, créé par Félix Houphouët-Boigny [président de la Côte d’Ivoire de 1960 à 1993], et j’ai fait mes premiers pas sur le terrain en Côte d’Ivoire et dans d’autres pays africains, en tant qu’experte pour les agences des Nations unies.

Pendant près de deux décennies, dans les années 1960 et 1970, nos Etats ont vraiment cru qu’il existait un modèle de développement, que les transferts de technologie, les financements et une bonne coopération avec les pays développés nous permettraient de voir le bout du tunnel. Moi-même, j’étais persuadée que l’école et l’emploi allaient permettre aux femmes d’occuper une place dans le développement de leur pays, si tel était leur souhait. Les années 1980 ont été un coup de massue. Avec les programmes d’ajustement structurel, les premiers diplômés sans emploi ont commencé à apparaître, assis à longueur de journée dans les rues sans trouver de boulot. Les premiers départs de clandestins remontent à cette époque. Quand je suis rentrée de France, j’ai compris qu’il y avait quelque chose de tordu dans le paradigme dominant.

Les manifestations de défiance à l’égard de la France se multiplient depuis quelques années, particulièrement au Sahel. Est-ce que vous vous sentez une filiation avec ces mouvements antifrançais tels qu’ils s’expriment aujourd’hui ?

Je sais, de par mon parcours en Afrique, en France et ailleurs, que cette colère est l’expression douloureuse et peut-être violente d’un sentiment d’humiliation. L’humiliation, après tout ce qui nous est arrivé, de voir nos drames et nos morts traités différemment. L’humiliation ressentie après le discours de Nicolas Sarkozy, à Dakar. Faire une fixation sur un sentiment antifrançais créé et entretenu par la propagande russe, c’est encore une manière de nous dire que nous sommes incapables de penser par nous-mêmes et de nous révolter.

Pendant des années, on nous a donné l’impression qu’il n’y a pas d’alternative, que la mondialisation capitaliste était incontournable. Ce mensonge d’Etat, entretenu à la fois par les pays « donateurs » et les pays « bénéficiaires », a engendré une frustration énorme. Ceux qui nous gouvernent nous ont dit : « Allez aux urnes et le problème sera réglé. » Mais d’une élection à l’autre, on a constaté qu’il n’y avait toujours pas de boulot, pas de visas, pas d’argent. Puis le bourrage de crâne a consisté à nous répéter qu’il n’y avait qu’une seule manière de lutter contre le djihadisme : l’instrument militaire. Mais la libération promise a tourné à l’enlisement.

Les soldats français de l’opération « Barkhane » ont tous quitté le Mali cette année. Vous qui vous êtes toujours opposée à cette intervention militaire, comment avez-vous perçu ce départ ? Le Mali a-t-il regagné en souveraineté, comme le disent les autorités de transition ?

Oui. Car la France n’a pas gagné cette guerre. Elle est partie et nous non plus, nous ne l’avons pas encore gagnée. Mais il y a l’humiliation en moins. Au Mali, toute une génération de militaires a vécu dans sa chair ce que cette guerre veut dire. Des jeunes ont été projetés sur le terrain, sans autonomie de pensée ou d’analyse de la situation. Quand les Maliens disaient : « Laissez-nous tenter le dialogue avec Iyad et Koufa », la France répondait : « Il n’en est pas question ! ». Et les gens tombaient – et tombent encore – comme des mouches. C’est tout cela qui nous a amenés à tenir tête au diktat de Macron.

Vous avez été ministre de la culture et du tourisme du Mali à la fin des années 1990, sous la présidence d’Alpha Oumar Konaré. Aujourd’hui, des gestes en faveur d’une réconciliation des mémoires ont été engagés. Notamment avec la restitution d’objets et d’œuvres pillés pendant la colonisation. Pensez-vous que cette politique aille dans le bon sens ?

Les lignes bougent, il n’y a plus de sujets tabous, mais les bouleversements en cours sont d’une telle ampleur et d’une telle gravité qu’il faudrait faire beaucoup plus. La guerre gâche tout. Dans le nord du Mali, le pillage continue, si bien que j’ai du mal à me consoler en apprenant que quelques objets spoliés ont été restitués au Bénin. Surtout, je pense qu’il faut articuler ces questions mémorielles à ce qui fait la créativité et la culture d’une société. Nous devons nous poser la question : qu’est-ce que nous avons été et qu’est-ce que nous produisons encore qui a du sens sur le plan social, économique, écologique ?

Source: https://www.lemonde.fr/

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12 COMMENTAIRES

  1. sangare, Aminata Dramane Traore et Boua le ventru IBK sont tous des pures produits de l’ADEMA-PSJ le parti politique de la malediction du Mali rempli d’opportunistes, de nepotistes et de corrompus, alors ne les confondez pas avec les intellectuels Africains et de la Diaspora, les PanAfricanistes et les anti-néocolonialistes qui partout réclament le depart de la maudite France! Adieu Barkhane, adieu Takuba, adieu l’Ambassadeur de France, adieu les forces armées de Françaises du Mali, du Burkina, de la Centre-Afrique, de Madagascar, etc, car ce que des forces armées de pedophiles et d’homosexuels (Ambassadeur Djime Diallo)

  2. yugo sais-tu combien la France a vole de l’Afrique depuis la traite des esclaves, jusqu’ à la colonisation, les deux guerres mondiales et la neo-colonisation depuis 1960 et qui perdure? Yugo les jeunes dont tu parles ne viennent que chercher des opportunités de travail car leurs pays sont tellement surexploites par la maudite France qu’il n’existe pas de chance pour eux de travailler et gagner leur vie. Ils ne viennent pas par amour en France mais par nécessite. Souviens-toi que le President Macron de la maudite France a félicite son sous-préfet Boua le ventru IBK lors de sa ‘reelection’ avant meme que Manassa Dagnoko ne declare les results officiels! Nfp tant que durera le neo-colonialisme alors la maudite France va continuer a souffrir car elle sera chassee de partout en Afrique mais aussi en Asie et au Moyen-Orient!

  3. Tantie Ami, et si cette colère anti France n’existait que dans l’esprit de quelques Intellectuels malhonnêtes d’Afrique ? Ni toi, ni aucun autre Intellectuel qui a occupé les hautes fonctions n’est comptable de notre échec au développement. C’est pourquoi les populaces ignares des différents pays ont été si manipulées qu’elles ne vous demande aucun compte. L’élite est cleptomane, incompétente et corrompue mais c’est l’Occident ou la France qui prend le blâme de son résultat.

    Chaque fois que je vois une foule surexcitée crier – mort à la France !- dans nos rues, je ne peux m’empêcher d’estimer combien parmi ces jeunes iront mourir dans le désert ou en Méditerranée pour pouvoir rejoindre cette France si détestée. Quelqu’un qui déteste la France n’est pas celui qui prend le risque de mort pour partir en France et ne plus revenir dans sa chère Afrique bien aimée, il est tout simplement manipulé.

    Des démagogues comme SANGARÉ 😜 peuvent nous dire qu’ils n’ont rien contre la France et les Français mais qu’ils sont contre la politique Française. C’est très bien, je leur conseille d’aller au Norvège, en Russie, en Chine ou en Arabie Saoudite à qui ils ne reprochent rien. C’est tellement simple !

    • Nos jeunes sont francophones les obligeant à aller en France.
      LA FRANCE EST UN PAYS DÉVELOPPÉ QUI EST UNE OPPORTUNÉ POUR TOUS LES PAYS PAUVRES.
      Pour maintenir ce rang envié,il a fallu celle politique NÉO-COLONIALISTE en Afrique subsaharienne.
      L’électricité est achetée moins chère au niger;le pétrole et les bois au gabon et au Congo et d’autres matières premières dans d’autres pays en leurs imposant leurs prix..
      Des produits finis déversés dans nos pays à travers leurs succursales.
      Avec cette politique NÉO-COLONIALISTE,nos pays sont condamnés à être des importateurs nets.
      Ainsi les dettes de nos pays ont explosé conduisant les occidentaux à prendre des mesures afin qu’ils soient payés d’où cette politique d’AJUSTEMENT STRUCTUREL.
      Elle a consisté à dégraisser nos États afin de dégager des économies permettant de payer ces dettes.
      Naturellement,elle a conduit à l’affaiblissement de nos États que nous gérons les conséquences.
      Elles poussent nos jeunes à aller chez eux.
      Alors qu’il a fallu augmenter les prix des matières,transférer certaines unités de transformation…pour permettre à nos pays de ne pas tendre les bras.

  4. On vous connait, Aminata Traoré. Vous avez flirté avec Alpha (ministre de la culture), ATT (vous voulez être nommée gouverneur de Bamako), avant de rallier le capitaine Amadou Aya Sanogo), avec (membre du comité d’organisation des Assises nationales). Et maintenant, c’est du côté des colonels que vous lorgnez, toujours en quête d’un strapontin. Seule une certaine gauche française ingénue peut croire à vos sornettes. Pas les Maliens.

    • Dafarazan
      “Seule une certaine gauche française ingénue peut croire à vos sornettes. Pas les Maliens.”

      RIGOUREUSEMENT EXACT, MON FRÈRE !👏👏👏👏

  5. Nfp tu te souviens de ce que IBK disait aux parents d’ éleves quand il était Premier Ministre d’Alpha Omar Konare et après president de l’Assemblee Nationale sous ATT: Nous nos enfants sont a l’exterieur pour étudier et ils viendront diriger vos enfants ici au Mali. En effet Karim et Bouba étaient tous a l’exterieur avec des bourses d’etude acquises on ne sait pas comment mais sur le MERITE car ils étaient pas parmi les 20 premiers de la classe!

  6. Comme tous ceux dotés d’un cerveau, nul n’ignore plus chez nous qu’Aminata Traore n’est rien d’autre et rien de plus qu’une vulgaire BUSINESS WOMAN AVIDE DE FRIC… (tout comme sa fille, d’ailleurs).

    Et le fonds de commerce de cette business woman justement, c’est LA HAINE DE LA FRANCE !

    C’est de ça qu’elle vit (et qu’elle vit très bien !), de colloques en déclarations qu’elle facture à prix d’or, de bouquins en bouquins, etc.

    Mais ce que les crétins ignorent (ou font semblant d’ignorer), c’est que cette “digne et farouche militante Anti-occident et surtout Anti-France, TOUS ses colloques et TOUTES ses conférences qu’elle facture à prix d’or, c’est justement EN FRANCE qu’elle les donne !!!

    Bref: business is business, quoi😎

    De même, TOUS les livres qu’elle publie et qu’elle a publié jusqu’ici, ont TOUS été un publiés chez de prestigieuses maisons d’édition……..FRANCAISES !!! (Jamais Africaines, les tirages sont bien plus modestes…)

    Business is business, quoi😎

    Alors quand j’entends cette business woman avide d’argent nous parler solennellement de “l’humiliation ” infligée par la France, je m’étonné qu’elle soit infiniment moins “humiliée” de s’en mettre plein les poches avec….LES SALES COLONIALISTES !!!🤣🤣🤣🤣🤣

    Mais encore une fois, business is business 🤣

  7. Toutes ces personnes de gauche aiment vivre en france, parlent le francais, envoient leurs enfants etudier en occident mais poussent les pauvres a sortir dans la rue pour crier a bas la france.

    • Elle ne combat pas la France,mais la politique NÉO-COLONIALISTE qui perpétue l’esprit de la colonisation.
      On peut aimer la France,être même français et critiquer la politique des tenants du pouvoir.

      • sangare 26 Déc 2022 at 02:43
        “Elle ne combat pas la France,mais la politique NÉO-COLONIALISTE qui perpétue l’esprit de la colonisation.”🤣🤣🤣

        Elle combat D’ABORD ET AVANT TOUT ce. qui se “vend” et ce qui se vend très cher !

        Seuls les plus cons peuvent encore croire en elle !😎

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