Amadou Traoré dit « Amadou Djicoroni » reste ferme sur sa condamnation du coup d’Etat militaire du 19 novembre 1968. Dans une interview qu’il a bien voulu nous accorder, ce compagnon du père de la nation malienne s’insurge contre la probable présence du général Moussa Traoré au défilé du cinquantenaire.
Peut-on savoir votre point de vue sur les 50 années du Mali ?
Amadou Traoré : Cinquante ans du Mali, ça se résume à trois phrases. Il y a eu une proclamation de l’indépendance effectivement le 22 septembre 1960. C’est un jour merveilleux, de gloire en ce sens qu’il couronnait 70 ans de lutte anticolonialiste et ouvrait l’avenir large au peuple qui avait pris ses responsabilités et qui se dressant de toute sa taille voulait construire une nation souveraine, développée aux plans technique, technologique et culturel.
C’est alors que débuta une page de notre histoire dont nous pouvons être fiers. Pendant 8 ans, le peuple malien s’est mis au travail dans tous les domaines. Il a fait montre de tout ce qu’un génie créateur d’un peuple est capable de réaliser quand il est sollicité. Cela a donné des fruits importants sur lesquels nous pouvons nous étendre un autre jour que maintenant. Donc première phase : le Mali a commencé par 8 ans d’indépendance, de souveraineté, de responsabilité, de développement dans l’enthousiasme, la cohésion, la fraternité et la paix.
Ensuite s’en est suivie une longue parenthèse qui a été ouverte par un coup d’Etat militaire de 14 officiers maliens qui sont venus dissoudre la Constitution du 22 septembre, arrêter les dirigeants qui ont proclamé l’indépendance du Mali et instaurer une dictature fasciste qui a endeuillé la vie du peuple malien pendant 23 ans et qui s’est terminée dans un bain de sang le 26 mars 1991. C’est une longue parenthèse.
Et à partir de 1991, s’amorce la troisième phase qui est celle que nous vivons. Elle est dite de régime multi-partisan. C’est pourquoi je résume les 50 ans du Mali en trois régimes : la première République, la longue parenthèse historique et la IIIe République que nous vivons depuis le 26 mars 1991. Pour moi la IIIe République n’est pas encore née, car, ce qui s’inscrit entre 1968 et mars 1991 est une parenthèse historique qui n’a même pas de nom parce qu’elle n’a pas d’état civil, un enfant qui n’a ni père ni mère, un monstre de la société, un régime enfanté par 14 lieutenants et capitaines et qui a eu deux phases : match aller en tenue militaire et match retour en boubou brodé jusqu’au talon.
Qu’est-ce qui explique selon vous le choix du 22 septembre pour la proclamation de l’indépendance du Mali ?
A. T. : Lorsque vous construisez une stratégie, le jour de votre victoire n’est pas un jour choisi. C’est pourquoi le 11 novembre 1918 n’a pas été choisi par le peuple de France. C’est le jour de sa victoire à l’occasion de la Première Guerre mondiale. Le 8 mai 1945, c’est la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Ce n’est pas un choix, c’est un jour de victoire après une longue lutte.
Le 22 septembre 1960 n’a pas fait l’objet d’un choix, même si quelques intellectuels malhonnêtes ont réduit cela au 22 septembre 1878 de Sabouciré. C’est un montage grotesque qui n’a aucune base historique, c’est faux. Le 22 septembre 1960, c’est le jour où le peuple malien en luttant a acquis son indépendance, un point un trait. On n’a pas pensé à monter ça, à greffer ça à un souvenir quelconque.
Vous avez expliqué que Sabouciré est un grotesque montage, alors pouvez-vous nous dire ce qui s’est réellement passé le 22 septembre 1878 ?
A. T. : Ce qui s’est réellement passé le 22 septembre 1978 a été vérifié à la télévision et à la radio malienne. Je n’en parlerai pas parce que ce n’est pas la peine. Ça a servi à semer la confusion tout simplement pour induire le peuple malien dans l’erreur et installer ce qui s’est passé à Sabouciré comme un phénomène, le premier de notre histoire de la lutte anticolonialiste : c’est faux. Notre pays a été agressé à travers la ruse d’abord ensuite à travers un combat militaire. La ruse c’est quoi, les colonialistes se sont présentés dans notre pays à Médine comme des commerçants qui voulaient un espace pour faire du commerce.
Ils ont donc acheté un espace à Médine qu’ils ont occupé. Mais dès qu’ils ont eu l’autorisation de l’occuper, ils ont construit plutôt un camp militaire et amené des soldats. Et dans l’histoire coloniale, dans le livre de Jacques Meniaut qui est l’historiographe de la colonisation, pionnier du Soudan, qui était un des secrétaires de Borgnis Desbordes et d’Archinar, il est écrit qu’en réalité Médine était une base militaire dans la perspective de la conquête de notre pays jusqu’à Tombouctou. Donc c’est là-bas que les choses ont commencé en 1855, soit 21 ans avant Sabouciré. Et c’est là-bas où El hadj Omar Tall non content de cette situation a encerclé la ville et poser un siège qui a duré d’avril à juillet 1857, quand Faidherbe est venu par des bateaux sur le fleuve Sénégal, libérer les militaires françaises qui étaient encerclés par les troupes d’El hadj Omar. C’est dans ces combats qui se sont étendus de 1856 à 1857 qu’El hadj Omar a perdu au moins 300 à 400 de ses hommes sous les balles des militaires.
Donc les balles qui ont été tirées en 1857 précèdent de 21 ans celles de Sabouciré. Certes, nous nous compatissons devant les mémoires des combattants de Sabouciré qui se sont sacrifiés le 22 septembre 1878, mais cela n’établit pas que Sabouciré est la première attaque subie par notre pays de la part du colonisateur. Tous les montages intellectualistes qui ont visé à mettre Sabouciré comme tel alors que Médine a précédé 21 ans avant, je trouve que ce n’est pas exact et ce n’est pas juste de jouer avec l’Histoire du peuple.
Comment voyez-vous la célébration de notre cinquantenaire ?
A. T. : Le cinquantenaire de notre pays mérite d’être célébré. Mais qu’est-ce qui mérite d’être célébré, c’est le combat patriotique de nos aïeux qui ont résisté à la pénétration coloniale : depuis El hadj Omar, l’imam Mamadou Lamine Dramé, Almamy Samory, les Ahmadou Amadou, Babemba, Tièba, Aguibou, Cyril et tous les résistants jusqu’à Kola Ladji et autres Babani, c’est tous ceux-ci qui méritent d’être célébrés dans le bon temps, la vérité, la transparence.
On doit aussi célébrer la nouvelle technique qui a été découverte d’organiser le peuple malien, de le rassembler pour en faire une armée consciente et dynamique dans l’élan d’un seul parti, un mouvement de libération : l’Union soudanaise RDA où se sont engagées toutes les forces patriotiques une à une et volontairement, pas par la ruse ni par la menace. A cette époque, tous les hommes politiques se sont donné la main, de même que tous les militants patriotes. Toutes les femmes, tous les jeunes se sont retrouvés comme un seul homme pour aboutir à la victoire du 22 septembre. Le cinquantenaire, c’est ça d’abord.
Le cinquantenaire, c’est aussi le 22 septembre 1960 où des choses importantes ont été dites, des engagements ont été pris, des voies ont été choisies. Un œil critique sur ces engagements, ces choix, sur les institutions, les réalisations et les erreurs mérite d’être fait et la leçon à en tirer pour l’avenir. C’est comme ça que j’aurais conçu le cinquantenaire et non une fête essentiellement confinée dans des t-shirts, des chansons, des danses et concerts. Le cinquantenaire, c’est le souvenir d’une victoire, d’un long combat multiforme, difficile et terrible.
Comment vous jugerez la présence du général Moussa Traoré au défilé du cinquantenaire ?
A. T. : Je pense qu’il s’agit là d’un acte qui ne peut pas être ni accepté ni toléré. Parce que c’est une insulte à la démocratie, une insulte au 22 septembre 1960 dont Moussa a dissout la Constitution. C’est aussi une insulte à la mémoire des martyrs du 26 mars 1991, à l’Histoire de notre peuple. Je peux même dire que c’est une infamie, un acte condamnable que tout patriote malien digne de ce non doit combattre.
Comment voyez-vous l’avenir du Mali après ces 50 ans ?
A. T. : Je pense que le Mali est un grand pays, il est habité par un grand peuple, il a une riche culture, tôt ou tard la vérité finira par triompher et le peuple va réellement accéder au pouvoir pour le gérer dans le sens de ses propres intérêts et non de ceux de quelques uns. Je pense que les 50 prochaines années verront surgir les forces patriotiques se donner la main, travailler avec l’esprit d’équipe et en intelligence pour aboutir à un régime qui fera le bonheur du maximum des Maliens dans le minimum d’Etat possible.
Entretien réalisé par A. D