LA REFONDATION: Dans votre discours, vous avez parlé d’émotion, en quoi êtes-vous ému par cette inauguration?
Amadou SOW: Bien ! Ecoutez, rien qu’à voir l’œuvre, il y a de quoi être ému. Ce n’est pas donné à tout le monde de vivre ça dans sa vie. On vous a parlé de 90 mégawatts, et on vous a dit que c’est la plus grande centrale thermique au Mali, on vous a aussi dit que ça représente 25% de toutes les capacités que le Mali a installées. Alors quand un individu est au-devant d’un tel projet et qui aboutit, c’est normal qu’il soit très ému le jour de l’inauguration. Voilà les raisons !
LA REFONDATION : Donc on peut dire que c’est une belle histoire ?
Amadou SOW : … Ah ! C’est le projet de toute une vie. Je disais tout à l’heure qu’il n’est pas donné à tout le monde de vivre cette aventure. Mais vraiment c’est le projet de ma vie. Et c’était pas facile d’être là où on est arrivé aujourd’hui, mais on a surmonté toutes sortes de difficultés, ne serait-ce que par la position géographique du Mali, c’était un défi à relever ; parce que quand vous êtes un pays qui n’a pas d’accès à la mer et quand vous devez amener quatre cent cinquante contenairs plus des moteurs de plus de deux cents tonnes. Rien que cette logistique-là c’est un défi. Et je ne parlerai pas de la péripétie de réunir les fonds qu’il fallait, notamment au niveau des banques ; ça c’est vraiment une autre histoire. Je ne vous parle pas non plus de toutes les difficultés dans la négociation de notre contrat de concession et notre contrat d’achat. Souvent, on était confronté à des personnes qui ne savaient même pas ce que c’était un PPP (Partenariat-Public-Privé). Donc, on a dû tourner en rond pendant des mois, sinon pendant des années, avant d’avoir même des documents bancables. C’est aussi tout cela qui explique notre émotion.
LA REFONDATION : Quel est l’impact de projet pour les populations du Mali, en général, et de la commune de HawaDembaya, en particulier ?
Amadou SOW: Voilà, nous sommes ici, à HawaDembaya. C’est une commune dans laquelle le projet a été réalisé. Et vous avez dû constater par vous-même qu’il y a une certaine complicité entre les populations et nous, du fait que nous avons, dès le début, essayé de comprendre leurs problèmes et de contribuer à trouver des solutions pour les soulager. C’est ainsi que nous avons mis en place un programme de forage, avec des pompes à motricité humaine. Aussi, nous avons mis l’accent sur le reboisement, nous avons planté cet hivernage deux mille six cents pieds de gomme arabique sur une quantité de cinq mille deux cents. Et je disais tantôt que les fruits de la gomme seront mis à la disposition des femmes du village. Dans le même esprit nous avons rénové, équipé et doté en personnel médical le dispensaire de Médine qui était fermé. C’est un dispensaire qui a été fait au temps colon, qui a aujourd’hui cent ans. Il est devenu fonctionnel. Vous avez vu qu’on a mis des lits, vous avez vu que c’est climatisé. C’est un hôpital qui est digne d’une capitale régionale. Donc nous nous attelons à tout faire pour que la population de HawaDembaya et nous soyons en harmonie ; et qu’à travers ce projet, nous essayons de régler certaines difficultés des populations qui nous ont accueillis à bras ouverts quand on a voulu commencer les travaux de cette centrale ici.
LA REFONDATION : Monsieur Sow, vous avez tout de suite parlé de votre rapport à la population d’ici. Connaissiez-vous déjà Kayes?
Amadou SOW: Moi-même, je peux dire que je suis originaire de Kayes mais je la connaissais pas du tout. Nous les Sow, nous venons du Fouta Toro, au Sénégal où sont restées des familles au Sénégal. Il y en a qui ont émigré. Certains sont partis à Ségou ; d’autres ont suivi El Hadj Oumar Tall (paix à son âme !) jusqu’à Bandiagara. Pour autant, je ne connaissais personne à Kayes. Je n’étais même jamais venu à Kayes ; enfin, j’ai dû, à l’enfance, traverser Kayes par train pour aller à Dakar. C’est donc le Gouvernement du Mali qui a décidé que cette centrale soit installée à Kayes. Et, ce, pour la bonne raison que le Mali dispose d’un potentiel minier à Kayes. Et le problème premier auquel les miniers reste l’accès à l’énergie. C’est ainsi que nous sommes arrivés ici.
LA REFONDATION:Ici, dans la Commune de HawaDembaya, les femmes placent beaucoup d’espoir en vous ; puisqu’elles en sont désormais réduites à travailler dans le concassage des pierres pour leur subsistance.
Amadou SOW : Absolument ! C’est vrai que nous avons vu ça, au début, les femmes ont un métier pénible ici : c’est le concassage des pierres qui abîme les mains. Et nous les avons approchées pour savoir ce qu’elles veulent faire à la place de ce métier fastidieux. Elles nous ont parlé de jardinage. C’est ainsi que notre programmes de forages consiste à mettre assez de forages dans la zone pour que toutes ces femmes abandonnent le concassage auxquelles elles sont contraintes et retournent au jardinage qu’elles veulent faire. Aussi, les avons-nous conseillées de faire du jardinage bio.
LA REFONDATION : Vous avez tantôt parlé de l’EDM, nous faisant savoir qu’au bout de 20 ans, le projet lui sera cédé. Ou alors avons-nous mal compris ?
Amadou SOW : Bon, voilà ! Ce qu’on a fait s’appelle un BOOT. Un BOOT c’est qu’on vous donne une concession sur un temps limité. Et en fin de période concessionnelle vous transférez le matériel à l’Etat. En fait, on transfère le matériel à l’Etat. L’Etat étant l’actionnaire unique de l’EDM, on donne indirectement à l’EDM, mais pour le compte de l’Etat. Eh bien, voilà, c’est ça le BOOT! Et, c’est ce qui se fait de plus en plus. Ainsi, dans l’optique de développer nos pays, nos Etats cèdent des concessions à d’autres opérateurs. Ces derniers vont chercher les financements nécessaires en lieu et place des Etats, leur venant en aide ainsi.
LA REFONDATION : Donc, ce sera sans contrepartie ?
Amadou SOW : Oui, c’est sans contrepartie !
LA REFONDATION : Y’aura-t-il raccordement avec l’énergie de Manantali ?
Amadou SOW : Mais… En fait, il y a un réseau de l’OMVS qui relie les trois pays le Mali, le Sénégal, la Mauritanie. Et le même réseau transporte l’énergie de Mananali. Donc, ça vient en appoint à l’énergie de Manantali. Vous savez l’énergie de Manantali, c’est à partir d’un barrage ; et qui dit barrage dit eau. Il est arrivé des années où il n’y avait pas d’eau dans les barrages. Or, s’il n’y a pas d’eau dans les barrages, il n’y aura pas d’électricité. Donc le réseau interconnecté de l’OMVS transporte aussi bien l’énergie de Manantali que la nôtre; en attendant d’ailleurs l’arrivée de notre propre réseau dont le point de départ se situe au barrage de Gouina qui est en construction. Donc, Manantali et nous mettons tous sur le même réseau.
LA REFONDATION: Autant dire que vous n’avez pas encore commencé, concrètement, à distribuer l’énergie ?
Amadou SOW : Pour être concret avec vous, aujourd’hui, à minuit pile, nos groupes seront sur le réseau pour soulager EDM ; parce que notre contrat commence le 1er novembre (2018), on commence à produire l’électricité à partir du 1er novembre. Et le 31(octobre) à partir de minuit, les groupes que vous avez vus dans la centrale vont commencer à mettre l’énergie sur le réseau.
LA REFONDATION : C’est historique ?!
Amadou SOW: Je dirai: oui, c’est historique ! C’est la première fois que, des individus, arrivent à lever un tel financement; parce que, généralement, c’est les Etats, les sociétés multinationales qui lèvent de pareils fonds ; en ce sens que les banques ont moins de risques chez eux. Nous, nous sommes donc deux individus, mon partenaire, Beckers et moi qui avons eu le courage d’affronter six banques et les convaincre pour réaliser ce projet. C’est historique et c’est du jamais vu !LA REFONDATION : Voilà pourquoi l’on se demande bien d’où vient la géniale idée d’un tel projet ?
Amadou SOW : Non mais, madame, on a quand même souci de notre pays et de son développement ! C’est au vu de ça que nous avons voulu apporter notre contribution. Quand on a souci de son pays, on va chercher là où ses besoins sont pressants, comme dans l’énergie, par exemple ; parce que vous ne pouvez pas développer un pays sans énergie.
LAREFONDATION: Que retenez-vous de cette visite présidentielle?
Amadou SOW : Un encouragement. Le Président a tenu à participer à cette cérémonie. Je pense qu’il a eu raison. Aujourd’hui, c’est tout le secteur privé malien qui est à féliciter, c’est pas monsieur SOW seul. Ce premier PPP ouvre la voie à d’autres projets d’envergure. Et cette initiative a prouvé qu’au Mali c’est possible ! Parlant de projets, ce ne sera pas forcément l’énergie ; ça peut être les routes. Pourquoi pas ? Un opérateur peut faire une route si l’Etat le lui permet, à travers une concession; puis, il peut mettre un péage pendant un certain nombre d’années et la transférer par la suite à l’Etat.
C’est valable pour des ponts. Aussi, des aéroports sont gérés ou sont faits en BOOT. Donc, c’est vraiment un modèle qui permet de soulager les Etats. Ça ne se passe pas d’ailleurs qu’en Afrique, hein ! Moi, j’ai même vu des hôpitaux en BOOT en Europe.Et d’autres opérateurs devraient suivre et porter des projets d’envergure ; parce que c’est ça les projets structurants. J’ai dit tantôt dit que nous avons quand même investi dans la petite commune de HawaDembaya un milliard cinq cents millions, c’est pas rien. La centrale va être opérée par des travailleurs qui viendront de la commune ou d’ailleurs. C’est des impôts qui seront payés, c’est des salaires qui seront distribués. Donc, ça va résorber un peu le chômage et distribuer pouvoir d’achat. Et puis, voilà ! On est dans une région d’émigration à Kayes. Et les cinq cents et quelques employés que nous avons utilisés sur le chantier ont eu une formation. Je pense que ces personnes, ils ne pas tenter l’aventure de vouloir traverser l’océan ! Donc, c’est aussi ça !
LA REFONDATION : Donc on peut dire : pari gagnant ?
Amadou SOW : Oui, on peut dire ça : pari gagnant !
LA REFONDATION : Vous avez aussi souligné le rôle de vos épouses dans votre discours. C’est quand même là un hommage qui en dit long sur le rôle qu’une femme peut jouer dans la vie de son époux.
Amadou SOW : Vous savez le couple, comme dirait l’autre, c’est sacré. Et quand vous vous engagez dans une aventure comme celle-là, il n’y a pas de repos, vous êtes tout le temps stressé. Vous devez convaincre les banques, l’administration…etc. Et, il y a tellement d’obstacles que si votre épouse n’est pas compréhensive, vous courez même le risque d’une rupture. De même, vous engagez même le patrimoine familial ; parce que pour développer un tel projet, il faut beaucoup de moyens.Or, les moyens dans un couple c’est pour la famille ! Alors, si votre épouse consent que vousvous priviez de beaucoup de choses pour développer un tel projet, c’est stimulant. Dès lors, je ne pouvais terminer mon propos sans remercier aussi bien mon épouse que celle de mon partenaire. Elles ont été là à tout moment, surtout au moment où nous étions très stressés, découragés, nous soutenant et nous encourageant. En retour, elles méritent vraiment d’être aujourd’hui remerciées.
LA REFONDATION : Autant dire que ce sera aussi fêté à la maison ?
Amadou SOW : Ah, oui, oui, bien sûr ! Ne vous en faîtes pas. On donne un grand dîner demain, à la maison ; et vous y êtes d’ailleurs invités, en même l’ensemble de nos partenaires et nos familles, voilà !
LA REFONDATION : Quel est votre profil ?
Amadou SOW: Bien ! Moi, j’ai un master en sciences et en génie. Je suis passé par le baccalauréat, avant de faire l’Université Mendeleïev où j’ai reçu donc ce diplôme de master of science and geny, avec la spécialité synthèse du pétrole. Pour autant, aujourd’hui, je ne suis pas dans le pétrole ; mais cette formation m’a permis d’avoir l’esprit ouvert, de pouvoir développer un projet, de comprendre un peu de finances. Et, je n’ai pas tout de suite commencé par l’énergie. Avant, j’avais une société immobilière avec laquelle j’ai réalisé beaucoup d’immeubles de bureaux et d’immeubles d’appartements. Aujourd’hui, je me suis tourné vers l’énergie parce que c’est quelque chose dont mon pays a besoin. Et, en cherchant à faire en BOOT, j’ai pensé que ça pouvait soulager l’Etat. D’autant que cette centrale vaut quatre-vingts milliards. Montant que l’’Etat emprunterait certainement s’il devait la réaliser, cette centrale. Aujourd’hui, l’Etat pourrait investir ce montant dans les écoles, dans les routeset dans la santé, par exemple.
LA REFONDATION : Qui est monsieur Sow?
Amadou SOWlarge sourire : Ah, c’est très difficile de parler de soi-même. Mais, j’ai un grand-frère ici, à côté, qui se fera le devoir de parler de monsieur Sow(l’homme contient à peine son rire ; puis, continue).Non, mais c’est très difficile de parler de soi. Tout simplement, je voudrais dire que monsieur SOW est le fruit, juste, d’une famille, d’une éducation. Je disais tout à l’heure dans mon discours que mon partenaire et moi avons toujours cultivé l’amour du travail. Donc, monsieur SOW c’est ce monsieur qui a eu une éducation au niveau familial, une famille qui lui a enseigné tout ce qu’il y a comme vertus et le travail bien fait.C’est cette famille qui m’a soutenu, éduqué et envoyé à l’école. Et cette école m’a permis d’avoir certaines connaissances auxquelles je dois d’être aujourd’hui à ce niveau-là. Donc, c’est ça monsieur SOW, ni plus ni moins, un citoyen ordinaire, fils du pays qui a voulu faire quelque chose, laisser une trace dans l’histoire son pays. Voilà !
LA REFONDATION : Est-ce alors Monsieur SOW, fils du Mali, qui est allé chercher des partenaires ou les partenaires sont-ils venus à lui ?
Amadou SOW : Ah, non, non. C’est moi qui suis allé chercher le partenaire. D’autant que je suis l’initiateur et le promoteur du projet.
LA REFONDATION : Donc vous êtes fier aussi?
Amadou SOW : Mais c’est ce que je vous ai dit : ému et fier !
LA REFONDATION : Emu et fier ?
Amadou SOW : Oui !
Propos recueillis à Médine par Hawa DIALLO
Bonjour
Il aurait mieux fallut du solaire
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