Ne à Ségou, ce “Sénoufo, Minianka et Bambara” déclare tirer son inspiration de son environnement et, surtout, de cette philosophie bamanan si riche en enseignements. A l’heure de l’union sacrée pour prendre notre destin en main, il invite les artistes maliens à plus de réactivité pour inspirer les politiques publiques les concernant. Artiste-peintre de renom, qui a pris part à de nombreuses expositions à travers la planète, Amadou Sanogo nous a accordé un entretien dans cette édition spéciale 22 septembre. A la lumière de son riche parcours, il nous fait une visite guidée dans cette importante galerie de notre patrimoine culturel.
Merci, M. Sanogo, pour votre disponibilité à nous recevoir malgré votre agenda que nous savons très chargé. Si l’on vous demandait de vous présenter à nos lecteurs, que leur diriez-vous ?
Je m’appelle Amadou Sanogo, artiste-peintre. Je suis diplômé en art plastique et un produit de l’Institut national des arts.
Vous êtes artiste-peintre, un domaine dans lequel vous vous êtes taillé une solide réputation de par votre talent. Comment vous êtes-vous retrouvé dans le monde des arts ?
Tout commence par la curiosité. Quand on parvient à dissiper nos peurs, la curiosité peut nous conduire vers une direction. C’est mon cas. Au début, je réalisais de petits dessins pour me faire plaisir ainsi qu’à mes amis. Je fabriquais de petites voitures en fil de fer… A l’école aussi, on faisait des évaluations pour compléter nos notes dans les autres disciplines. C’est après que j’ai fait la découverte du ‘’bogolan’’. Plusieurs personnes le savaient et m’ont encouragé à me présenter au concours de l’Institut national des arts de Bamako en 1997.
Quelles sont les sources d’inspiration principales qui influencent votre art et votre processus créatif ?
Ma source d’inspiration est basée sur cette philosophie bambara qui essaie de tracer l’homme au sein de la société et l’homme envers lui-même. Ce qui me pousse à me remettre en cause mais aussi à juger le monde qui m’entoure. Dans mes réflexions artistiques, j’ai compris qu’il n’y a que deux vérités: la naissance et la mort. Les autres sont des conventions. En clair, c’est mon environnement qui m’inspire.
On entend dire que les artistes ont souvent l’habitude de stimuler leur créativité. Y a-t-il quelque chose de spécifique que vous faites régulièrement pour nourrir votre inspiration ?
J’observe le monde qui m’entoure. C’est dans cette logique que je travaille. Sinon, je n’ai pas d’autres secrets.
Avez-vous, au sein de votre riche production, une œuvre qui a particulièrement eu un impact sur votre carrière ? Si oui, quelle histoire se cache derrière cette création ?
Il y a effectivement une histoire cachée derrière la plupart de mes œuvres. J’ai réalisé une œuvre en m’inspirant du proverbe bambara selon lequel: «là où les épines empêchent un œuf de passer, ce n’est pas la place d’un mouton». Cette œuvre figure dans la collection que j’ai produite pour ma soutenance. J’ai aussi fait une œuvre sur les cadenas pour illustrer certaines formes de discrimination sociale, ici au Mali et ailleurs dans le monde.
J’ai fait également un dessin sans tête pour exprimer mon mécontentement contre cette génération d’intellectuels et de cadres qui ne méritent plus de diriger notre pays parce qu’ayant échoué à lui éviter cette situation dégradante. C’est ma colère que j’exprime à travers les personnes décapitées que j’ai dessinées. Juste pour dire qu’on a, en évidence au Mali, des corps et non des intellectuels.
En plus, j’ai travaillé aussi sur les points. Lesquels signifient pour moi les questions ou les interrogations de la vie. Dans le monde du dessin, on dit qu’un trait est l’ensemble des points alignés. Selon la philosophie bambara, ‘’tout homme doit tracer son trait’’. Alors le point, c’est le début d’une phrase et la fin d’une autre. L’évolution humaine, c’est que la fin d’une histoire est le début d’une autre. Je m’exprime à travers ces différentes thématiques. A présent, je continue de me remettre en cause.
Qui parle de peinture parle de couleurs. Comment choisissez-vous votre palette de couleurs et quelle signification peuvent avoir ces choix dans vos œuvres ?
J’utilise expressément certaines couleurs dans les œuvres en fonction du thème et des grilles. J’utilise la méthode classique de la composition d’éléments et d’harmonisation de l’œuvre.
La profession d’artiste-peintre semble moins mise en valeur au Mali. Nourrit-elle son homme ? Comment vous en sortez- vous ?
La production d’artiste était très mal perçue au Mali. Mais ça commence à aller depuis l’appel lancé aux artistes d’arrêter de crier pour commencer à s’assumer plutôt. Car la liberté n’est jamais offerte, on la conquiert. C’est avec cette pensée que j’ai lancé une rébellion en 2014 en créant l’atelier ‘’Badialan’’ pour dire aux artistes qu’il est temps de sortir du système classique. L’une des méthodes pour avoir les artistes, c’est de passer par les enfants. C’est ce que nous avons adopté à l’atelier Badialan. On s’unit pour travailler et on va exposer nos productions. On invite les voisins et les acteurs du monde culturel à venir apprécier gratuitement nos réalisations. Petit à petit, les gens ont commencé à comprendre à travers les présentations faites à leur demande. Cette méthode les a motivés à acheter voire à devenir des collectionneurs locaux. Il était difficile de vendre nos productions au Mali mais ce n’est plus le cas. Des Maliens peuvent investir 5 à 6 millions dans une seule pièce. Ça veut dire que ça va.
De l’avis de certaines personnes, les tableaux sont très chers. Quel commentaire faites-vous d’une telle appréciation?
Ceux qui s’expriment ainsi ne voient que le côté argent et ignorent la valeur patrimoniale de l’œuvre. Je les invite à se ressourcer dans l’histoire de l’art pour comprendre ce monde. Une œuvre d’art n’a pas de prix. L’œuvre artistique est la seule matière qui prend de la valeur au fur et à mesure qu’elle vieillit, contrairement aux autres biens matériels tels que les voitures, motos, etc. Pour preuve, tu achètes une œuvre d’art à 200. 000 francs, mais tu peux la revendre à des millions de francs !!!
Quel message adressez-vous au public malien afin de le convaincre à s’intéresser aux œuvres d’arts produites par les artistes maliens ?
Ce que je peux dire aux Maliens, c’est de comprendre que l’achat d’une œuvre d’art est un investissement.
Comment se portent vos différents centres ? Parlez-nous des conditions de travail et des travailleurs ?
En 2014, nous étions deux à initier l’atelier ‘’Badialan’’. Aujourd’hui, nous sommes quinze. La plupart sont devenus de grands artistes internationaux à l’instar de Mohamed Diabaté, Diakaridia Traoré, Moussa Traoré, Toussaint Dembélé, etc.
D’autres jeunes artistes viendront après nous. Il faut qu’on leur prépare le terrain pour leur éviter de souffrir comme nous. D’où l’idée de créer le Centre «Makôrô», qui sera un centre d’appui aux initiatives artistiques. Je l’ai initié en 2019 avec l’appui de la Fondation Total-Mali, Orange-Mali, Bramali.
L’atelier ‘’Badialan’’ accueille gratuitement. Il faut juste lui adresser une demande. Le Centre ‘’Makôrô’’ est appelé à être un centre multidimensionnel et intercontinental. Il sera ouvert à tous les artistes du monde.
Pouvons-nous avoir une idée de vos participations aux expositions au Mali et hors du Mali ?
Je suis plutôt fréquent à l’international. Pas plus tard que le 5 septembre dernier, j’ai fait une exposition à Paris. En revanche, je suis très rare sur la scène nationale car la place doit être faite à nos jeunes frères afin qu’ils s’affirment à leur tour. Je reste cependant à leur disposition pour leur prodiguer des conseils et, éventuellement, participer à une expo avec eux s’ils le souhaitent.
Avez-vous conscience d’avoir relevé des défis ? Quid des paris qui vous restent à tenir ?
Je ne suis pas sûr d’avoir pu relever les défis. Mais je suis en train. Car vivant, on a toujours des obstacles à franchir. A mon entendement, on parle de défis lorsqu’on n’est plus et ceux qui viennent après nous diront alors qu’on a relevé les défis.
Quant aux paris qui restent à tenir, ils sont nombreux. Il faut finir le Centre ‘’Makôrô’’ et entamer un autre projet portant sur un asile d’artistes. Nous envisageons de créer également un espace où artistes et non artistes, croyants et non croyants peuvent cohabiter en harmonie.
A l’heure où notre pays, après plus de 60 ans d’indépendance, cherche à se reconstruire à partir de ses valeurs identitaires (socio-culturelles) pour avoir son mot à dire dans un monde en pleine mutation, quel appel lancez-vous à vos concitoyens en général ?
On a tendance à dénigrer nos croyances et nos connaissances sous prétexte que «la parole s’envole et seul l’écrit reste» alors que l’écriture n’a pas de valeur tant qu’on ne la fait pas circuler verbalement. Certes, je suis Minianka, Sénoufo né à Ségou d’une mère bambara. Mais je m’intéresse beaucoup aux proverbes bambaras, un patrimoine du terroir que j’essaie de valoriser. Le proverbe a une très riche valeur qu’il ne faut pas qu’on perde. C’est la seule méthode sans violence pour conseiller les populations. Lorsqu’un enfant manie bien les proverbes, on dit qu’il a profité du bon voisinage des adultes. Les proverbes sont des paroles en parabole qu’on peut utiliser pour conseiller toute une génération. Donc je ne veux pas que cette culture reste à l’ombre à cause de l’influence d’autrui. Nous existons malgré nos différences de couleurs, d’ethnies. Nous avons nos propres valeurs. Chacun est maître de son destin. Nous devons essayer de prioriser ce que nous avons et nous intéresser à l’autre comme un complément et non un fondement.
Quel message adresseriez-vous à la jeunesse malienne, surtout en cette période de refondation?
Je commence d’abord à m’adresser aux hommes de culture, ensuite à la population malienne. Il ne faut pas que nous ayons honte de ce que nous sommes. Nous devons nous donner le temps de nous remettre en cause, de nous demander ce qui nous est arrivé et pourquoi ça nous est arrivé. Nous devons être conscients de nos erreurs au lieu de rejeter éternellement la faute sur l’autre car ce serait trop facile. Nous n’avons que le Mali, nous devons nous assumer car la liberté a un prix.
Dans le domaine culturel, il faut que nous arrêtions de nous coller à l’autre. Il est temps que nous ayons plus de considération pour nous-mêmes. Chacun d’entre nous vient d’une famille. Chaque famille vient d’une ethnie ou d’une race et chaque race a ses valeurs. Donc, chaque famille a une histoire. Donnons-nous le temps de regarder d’où nous venons et où nous allons pour savoir où nous en sommes. Le passé est flou. L’avenir est incertain. Donc, c’est le présent qui est concret.
Avez-vous bénéficié, ne serait-ce qu’une seule fois, du soutien ou de l’accompagnement de l’Etat malien?
Je suis tranquillement en train de faire mon petit chemin. Certains au niveau des autorités en sont conscients. Nous avons un ministère de la Culture rempli de cadres sous prétexte qu’ils sont techniciens ou chercheurs. Mais, en vérité, ils sont spécialisés en quoi ? La plupart ne sait même pas où se trouvent les artistes, comment les artistes vivent ! Tant que ce secteur pratique sera dominé par la bureaucratie, il y aura toujours des désaccords.
Nos décideurs ont besoin d’un éveil de conscience et c’est à nous, les artistes, de les obliger à nous suivre. Nous devons leur faire comprendre qu’au moment où tout était arrêté au Mali, seule la culture continuait à fonctionner normalement. Prenons l’exemple sur notre cas, on est arrivé jusqu’à ce niveau avec le Centre sans un centime de l’Etat. Je suis passé personnellement au ministère de la Culture à l’époque pour parler de ce projet au ministre. Mais c’est resté sans suite. Nous sommes financés par les multinationales et non par l’Etat. Le seul et l’unique appui ou soutien que j’ai reçu de l’Etat est l’aide Covid-19.
Encore une fois, merci M. Sanogo, de célébrer avec nous ce 22 septembre ! Le mot de la fin vous appartient.
En cette période de refondation, j’exhorte les jeunes artistes à cesser d’être en attente des autres. Qu’ils croient en eux-mêmes. Car, c’est de nos erreurs qu’on grandit. On n’a plus droit à l’erreur. On doit être fier de notre pays et de nous-mêmes.
Propos recueillis par Boubacar Idriss Diarra